Alea jacta est, vraiment ?

Alea jacta est, vraiment ?

Monsieur De Wever appréciant la culture romaine et Jules César, ses premiers mots sur X à l’annonce de l’accord de gouvernement fédéral ont été ceux-là : « Alea jacta est ». Cette locution, que l’on peut traduire par « les dés sont jetés » ou « le sort en est jeté », est employée pour indiquer qu’on ne peut plus reculer, les choix sont faits, advienne que pourra. Vraiment ?

Lorsque l’on parcourt cet accord et plus particulièrement le chapitre qui concerne les pensions, on ne peut qu’être effrayé devant l’ampleur des régressions qu’il prévoit. La plupart des mesures envisagées visent à retarder le moment de la pension tout en réduisant le montant de celle-ci !

Soyons raisonnables, un policier, un pompier, un agent pénitentiaire, un conducteur de train, un militaire est-il aussi efficient à 60 ans qu’à 67 ans ?

Pouvez-vous vous imaginer un pompier de 66 ans, monter à l’échelle jusqu’au 3ème étage pour vous sauver d’un incendie ?

Croyez-vous vraiment qu’un policier de 66 ans parviendra encore à poursuivre un jeune délinquant et à l’appréhender ?

Comment un agent pénitentiaire proche de 67 ans pourra encore faire face à un condamné de 25 ans qui fait preuve de violence ? En appelant à la rescousse un policier tout aussi âgé que lui ? Impensable.

Est-ce là une manière de reconnaître à ces fonctions la pénibilité qui y est intimement liée ? Certainement pas.

1. Une reconnaissance collective

Oui, direz-vous, nous pourrions leur demander d’encadrer les nouveaux jeunes travailleurs et de les former à leur métier, mais ce Gouvernement va-t-il faire ce choix (qui a un coût) alors même qu’il cherche par tous les moyens à faire des économies ? On n’y croit pas un seul instant.

On pourrait alors envisager de réaffecter ces personnes (âgées) vers d’autres fonctions plus « administratives », moyennant bien entendu des formations adéquates. Pourquoi pas, mais là encore, combien de ces travailleurs, au vu des économies prévues dans le secteur public, pourront réellement bénéficier d’un tel reclassement ? Doit-on sacrifier la jeune génération en la privant d’un emploi utile pour la société, en voulant à tout prix conserver en service des travailleurs plus âgés soumis à une pénibilité souvent importante ?

Soyons logiques, si ces régimes de pension particuliers ont été mis en place, c’est justement pour permettre à ces travailleurs qui se sont investis tout au long de leur carrière pour la sécurité de tous les citoyens, de jour comme de nuit, de profiter d’une pension bien méritée. Ce n’est pas un luxe mais une reconnaissance pour les efforts fournis pour le bien de notre société.

Car oui, ils ont donné de leur personne, quelques fois même au détriment de leur vie familiale, en s’exposant à des risques, pour assurer la protection de toutes et de tous.

2. Plus de confusion que de transparence

Avec toutes ces réformes envisagées, la question qui reste la plus importante et qui concerne absolument tous les citoyens, c’est : « quand vais-je pourvoir partir à la pension ? »

Pour pouvoir répondre à cette question, il faut prendre connaissance de ce que contient cet accord fédéral. Une telle tâche n’est pas si aisée car il faut savoir lire entre les lignes. En effet, chaque virgule, chaque mot compte. Ils peuvent même être lus différemment selon la sensibilité de chacun, voire selon la langue maternelle. Il est amusant de constater que parfois, les versions de cet accord (francophone et néerlandophone) divergent, rendant difficile la compréhension de certaines mesures.

On ne peut également que regretter qu’une version germanophone ne soit pas (encore) disponible. Peut-être parce qu’il n’y a plus assez de traducteurs de langue allemande par suite des mesures de réduction des budgets de fonctionnement des institutions fédérales ?

Mais ne pinaillons pas et prenons plutôt un exemple clair d’une mesure qui retardera le moment où un travailleur pourra prendre sa pension.

3. Un cas concret réel

Actuellement, quand quelqu’un se demande à quelle date il pourra prendre sa pension, on regarde s’il répond aux conditions d’âge et de carrière (60 ans et 44 ans de carrière, 61 ans et 43 ans de carrière ou 63 ans et 42 ans de carrière). Pour qu’une année soit prise en compte dans ce calcul, il convient de prouver au moins 4 mois d’activité professionnelle (ou assimilée) au cours d’une année civile, c’est pourquoi, bien souvent la date de pension la plus proche s’établit autour du 1er mai…

Dorénavant, à partir de 2027, pour être prise en compte, il faudra prouver 6 mois d’activité professionnelle (ou assimilée) au cours d’une année civile.

Cela ne semble pas disproportionné diront certains, 2 mois de plus… au lieu de partir en mai, le travailleur partira en juillet. On oublie cependant que cette condition devra être remplie pour chaque année de carrière ! Et le souci réside aussi dans la première année de travail : en débutant une carrière en septembre, cette année ne sera pas prise en compte. Cette année non prise en compte aura pour conséquence qu’au total, on devra travailler… 14 mois en plus ! L’horizon fixé ainsi par l’Arizona s’éloigne toujours un peu plus… et c’est sans compter les autres mesures de ce Gouvernement.

Si, comme le dit si bien notre tout nouveau Premier ministre, « le sort en est jeté », ce sort sera, pour beaucoup, un mauvais sort.

Denis Lambotte
Conseiller juridique à la CGSP |  Plus de publications

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