Ou comment rendre visible ce que les riches veulent cacher obstinément
« La Belgique est un enfer fiscal pour les travailleurs mais un paradis fiscal pour les plus riches. » Ce slogan du Parti du Travail de Belgique (PTB), Marco Van Hees, qui en fut le député fédéral pendant dix ans, a largement contribué à le diffuser. Et surtout à le démontrer une fois encore avec ce Guide du richard, itinéraires d’enfants-rois très gâtés !
Sous-titré « Voyage au cœur du capitalisme belge », ce livre est davantage qu’un parcours touristique, c’est aussi un traité de généalogie. Voire d’archéologie, fouillant les traces et les sources des patrimoines les plus cossus du Royaume. Mais aussi excavant minutieusement les ruines sur lesquelles ont prospéré des inégalités remarquables. Relevant et révélant au grand jour les vestiges et les reliques d’une accumulation des richesses qu’on aurait pu croire d’un autre temps. Mais qui toutefois mettent en lumière la pleine actualité de cette sentence de Victor Hugo dans L’Homme qui rit : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches » !
Tout autant, l’aspect généalogique de ce livre démonte le mythe du milliardaire qui « s’est fait tout seul », à force de travail acharné et de talents innés. Il démontre au contraire combien l’héritage est… capital ! Et combien les lois qui entourent la transmission de ce capital favorisent son accumulation et son contournement fiscal, au détriment bien sûr de la redistribution des richesses et du rôle que l’État devrait assumer dans cette mission essentielle. À ce titre, les dix premières plus grandes fortunes belges sont toutes le fruit de plusieurs générations de riches héritiers…
C’est à elles que s’intéresse le Guide du richard, et plus exactement au 1 % le plus fortuné qui comprend des noms aussi connus que Frère ou Boël mais aussi les familles de Spoelbergh (AbInbev), Lippens (Fortis) ou encore Emsens (Sibelco) qui toutes ont également été anoblies, premier réseau de l’entre-soi et de l’entregent que pointe du doigt le livre de Marco Van Hees.
Un index thématique et un index des noms servent opportunément de boussole au lecteur emmené par un auteur malicieux sur les lieux emblématiques où se sont constituées ces fortunes mais aussi où s’est forgée l’histoire économique et sociale de la Belgique.
L’exemple du Parc de Bruxelles est édifiant. Lieu symbolique de la révolution bourgeoise qui vit la création de la nation belge, il consacre l’alliance, la concentration et souvent la collusion, de nombreux lieux de pouvoir. On y trouve notamment le Palais royal, le Palais de la Nation – qui abrite la Chambre et le Sénat –, le 16 rue de la loi – siège du gouvernement –, quelques ministères mais aussi le siège de l’ancienne Société générale – pilier du capitalisme belge avant d’être vendue et devenir le siège de la banque BNP-Paribas-Fortis – et aussi quelques cercles privés offrant leurs salons feutrés à l’entre-soi de la classe dominante… Cette proximité géographique des pouvoirs autour du Parc de Bruxelles ne relève évidemment pas du hasard. Nous déambulons dans les méandres de couloirs secrets où s’écrivent des lois, se trament des opérations financières, se concoctent des politiques. De toute évidence, notre Guide est bien renseigné, et sa passion à décrire la face cachée des ors et des lambris ravit le visiteur que sont ses lecteurs, souvent aussi dépités par la porosité et la proximité qu’entretiennent tous ces milieux d’affaires politiques et économiques.
Il n’est pas impossible que certains se sentent visés tout le long de ces près de 500 pages. Personne jusqu’ici n’a démenti le moindre propos depuis sa parution en 2024 ! C’est dire ! Mais il faut être juste, le Guide du richard n’est pas une attaque individuelle contre les puissants. Non, tout au contraire, il s’agit, et Monique Pinçon-Charlot qui en signe la préface le souligne bien, d’éclairer le vampire, de « rendre visible ce que les riches cachent obstinément ». L’auteur s’attaque davantage au Veau d’or qu’à ses adorateurs. Il dénonce un système mis en place par et pour des puissants afin de maintenir leur position sociale et accroitre toujours plus leurs patrimoines. Ce système, c’est celui qui permet une accumulation monstrueuse de richesses. Ce système, c’est le capitalisme sans visage humain même s’il prend chez nous des figures bien connues comme celle du baron milliardaire Albert Frère.
Son parcours est évidemment unique mais son exemple éclaire parfaitement le comportement et le mode de fonctionnement des grandes fortunes. On lira ici avec plaisir comment Marco Van Hees déshabille la panoplie du « parfait milliardaire » qui constitue l’archétype du genre.
Mais ce que nous retiendrons tout particulièrement de ses pratiques, c’est l’enrichissement aux dépens du patrimoine public et la revente de grandes sociétés emblématiques du capitalisme belge (Tractebel, Petrofina, BBL, Royale Belge, RTL, Dupuis, etc.).
À ce jour, selon Oxfam[1], les 10 personnes les plus riches de cette planète possèdent ensemble plus de richesses que les 3,1 milliards de personnes les plus pauvres. Ce que confirme le Guide du richard pour la Belgique où les 1 % les plus riches possèdent maintenant 15 % des richesses ; ce qui est plus que la fortune cumulée des 50 % les moins riches.
En Belgique, 49, c’est le nombre de familles milliardaires. Elles détiennent ensemble 128 milliards d’euros. En 2000, il n’y avait qu’une famille milliardaire possédant 1 milliard d’euros. En 25 ans, le nombre de familles milliardaires a donc été multiplié par 49 et leur fortune cumulée par 128. De toute évidence, votre salaire n’a pas suivi la même courbe exponentielle…
Ce fossé des inégalités de revenus et de patrimoine est devenu un gouffre. Pour y remédier, l’auteur de ce livre en appelle une fois encore à lever le secret bancaire derrière lequel se dissimulent les privilèges fiscaux dont jouissent les plus aisés. Et par la même occasion, permettre à l’État de réellement jouer son rôle de garant de l’intérêt général et de l’égalité des citoyens devant la loi en établissant enfin une véritable taxation des grandes fortunes.

Pour aller plus loin, plongez-vous dans l’ouvrage de Marco Van Hees, Le guide du richard – Au cœur du capitalisme belge, éditions Couleur Livres, Mons, 2024, 486 pages, 29 €. Préface de Monique Pinçon-Charlot.
Privilégiez votre libraire préféré·e ou choisissez une librairie indépendante proche de chez vous sur www.librel.be.
[1] https://oxfambelgique.be/les-inegalites-tuent.
