
Reynders est officiellement inculpé. Partout ailleurs, cette affaire d’État serait colossale. Mais nous sommes en Belgique…
Et donc ça y est. Didier Reynders est enfin inculpé. De blanchiment, pour l’instant. Et bien sûr il continue de se taire. Ce que je comprends. Si, Didier, je compatis même. Déjà, tu ne peux plus sortir de chez toi. Ou alors avec un sweat à capuche et des lunettes solaires. Parce que tu aurais honte ? Non, ça je ne crois pas. Quand dans sa tête on pense fermement avoir tous les droits, on n’éprouve aucune honte pour rien. C’est juste qu’au Delhaize de Uccle, tu ne veux pas croiser de regards sombres. Ou moqueurs. Ou réprobateurs. Alors tu fais du « click and collect ». C’est pratique. Et dans ta boulangerie de Burdinne, non loin de ta belle propriété campagnarde de Vissoul, tu ne voudrais pas te faire apostropher par un gueux : « Hé, Didjé, ici on vend des pistolets et des couques au beurre, pas des Subito et des Win For Life ! » Je comprends.
Je comprends surtout qu’en te terrant, tu laisses tes avocats gentiment faire trainer l’affaire en alignant des explications de loufdingues pour expliquer l’inexplicable. D’abord en te faisant passer pour ce pauvre monsieur gaga addict aux jeux de Loterie. Limite victime, donc. Puis pour ce grand amateur d’art qui achète et revend des œuvres (uniquement en cash !) à tes heures perdues. Limite mécène, donc. Peut-être que plus tard, tes avocats évoqueront un magot de cash déposé dans ta boîte aux lettres par une vieille admiratrice juste avant de décéder. Limite à l’insu de ton plein gré, donc. Et quand ils auront épuisé les justifications foireuses pour t’éviter une accusation de corruption, tes avocats vont tranquillement pouvoir proposer une « transaction pénale ». Dont, pour rappel, le principe est le suivant : si t’es riche, tu négocies une amende « amiable », tu la payes, t’as pas de procès, pas de prison, et même pas de casier judiciaire. Certains te trouveront brillant d’avoir toi-même contribué à étendre cette transaction pénale dans notre système judiciaire, jadis pour éviter à tes très riches amis fraudeurs un « excès » de justice. Et bientôt pour te l’éviter à toi. C’était très prévoyant.
Je trouve que, dans ton mutisme, tu es bien aidé aussi par la plupart de nos médias qui te laissent assez pépère. Et aussi par les partis, qui se taisent globalement, eux aussi. À part le PTB, personne ne remet en cause ladite transaction pénale que tu ne manqueras pas d’utiliser. Tout le monde s’en cale, on dirait. Alors qu’on est bien d’accord, Didier : on est sur une affaire d’État. Et une énorme. De 2008 à 2023, alors que tu déposais 700.000 euros cash sur ton compte ING puis que tu achetais pour 200.000 euros de jeux à gratter, tu étais rien moins que président du MR, ministre des Finances, puis ministre des Affaires étrangères et Commissaire européen à la Justice (!!!). Dans tout autre pays que notre nonchalant petit Royaume, tu serais assiégé, tes avocats crouleraient sous les questions liées à ton inculpation, la ministre de la Justice serait entendue à la Chambre, le Premier ministre aussi. Une commission d’enquête entendrait un peu sérieusement la banque ING, qui n’a jamais dénoncé tes dix années de versements en cash (interdits) à l’organe anti-blanchiment. La même commission parlementaire rissolerait la Loterie nationale, qui a pris quatre ans avant de signaler au Parquet tes achats « compulsifs » de billets et ceux de ton épouse, Bernadette Prignon (une magistrate !). Mais nous sommes en Belgique, et ce fatras insensé au sommet de l’État passe crème. Didier Reynders est inculpé de blanchiment ? Ah bon. Et maintenant l’info trafic et la météo…
Depuis une semaine, certains se demandent pourquoi le MR se tait dans toutes les langues, lui aussi. Tu n’y es plus affilié, paraît-il. Mais tu en fus le tout puissant président de 2004 à 2011, quand même. Son président actuel a des avis sur tout et n’importe quoi, mais sur ça non. Rien, peau de zob. Pas un tweet. Même pas pour se distancier de tes vilaines pratiques. Une « affaire privée », point. Mais je comprends aussi. S’il commentait tes chipoteries, GLB ne pourrait plus agiter exclusivement les « affaires PS », qui datent un peu maintenant, alors que tes bidouilleries à toi sentent le frais.
Et puis il devrait expliquer ce rapport maladif au fric qu’on peut avoir au MR : toujours plus, jamais assez. Des mauvaises langues pourraient même rappeler à Bouchez & Consorts que l’histoire se répète au MR. Qui est à ce jour le seul parti dont un président « oublia » de déclarer ses revenus.Feu Daniel Ducarme (père de Denis), alors qu’il transformait le PRL en Mouvement réformateur, avait « omis » de rentrer ses déclarations IPP en 1999, 2001, 2002 et 2003 (se rendant débiteur de 265.000 euros à l’égard du fisc). Un bel exemple d’étourderie libérale venue d’en-haut qui avait été suivi par feu Philippe Sonnet, échevin MR de Charleroi, poursuivi pour avoir « oublié » de déclarer ses revenus de 2002 à 2006…
Malaisant aussi de parler d’addiction au pognon quand on cumule les fonctions de président de parti, de député fédéral, de conseiller communal de Mons et de vice-président de Spa Grand Prix. Et quand sa compagne Lucie d’Amour, déjà employée au cabinet du ministre de l’Intérieur (Bernard Quintin), est aussi conseillère provinciale et amasse 42.500 euros brut par an (2.500 net par mois) comme présidente de l’ONE, fonction qu’elle occupe grâce à Chéri. Sans oublier, dans la famille Bouchez-Demaret, la belle-sœur Géraldine, qui cumule les jobs de cheffe de cabinet de David Clarinval, de présidente de la Loterie nationale (tiens !) et d’administratrice de la Sonaca. Une très profitable PME politique familiale directement inspirée de la SPRL Michel & Co, comprenant Louis Michel, Charles Michel, Mathieu Michel, Annick Noël (ex-femme de Charles et directrice générale de la province du Brabant wallon) et Amélie Derbaudrenghien (épouse de Charles, conseillère de divers cabinets MR). Donc je comprends la gêne.
Et puis, parler argent sale de Didjé, c’est plus indirectement devoir expliquer pourquoi le MR refuse obstinément de faire participer les riches et ultra-riches à la solidarité, de leur faire simplement payer une juste part de l’impôt, de traquer les milliards de la grande fraude fiscale. Et ça, c’est toujours gênant. Parce qu’inexplicable.

Vincent Peiffer
Après 40 ans au Moustique, Vincent rejoint l’équipe de MaTribune.be pour mettre son grain de sel dans notre si beau monde. Où, à part ça, tout va bien…

