A part ça… Viva Eurovision

A part ça… Viva Eurovision

La RTBF a décidé que la Belgique participerait bien à l’Eurovision. Aux côtés d’Israël, donc, invité lui aussi à la « fête de la paix ». Pourquoi n’est-on pas étonné ?

Perso, ce soir-là, ce sera comme chaque année : j’irai voir un vrai concert avec de la vraie musique. Ou un vrai film. Ou boire une vraie bière et casser une vraie croûte avec de vrais amis. Tout sauf ce pauvre télé-machin kitsch. Et moins que jamais depuis que cette coupe d’Europe du télé crochet s’accommode d’un pays génocidaire. Mais il paraît que j’ai tort. Et que cette Eurovision est un « grand moment » de télé qu’il fallait sauver de l’implosion. À tout prix. Y compris celui de perdre sa boussole morale.

On résume donc les antécédents de la grosse affaire… En ce joli mois de mai 2025, l’Eurovision déroule ses paillettes à Bâle, où la candidate israélienne se produit alors que son pays largue des tapis de bombes sur Gaza, ses immeubles, ses hôpitaux, ses écoles et ses crèches dans un génocide méthodique. Malaise. Et double-malaise : Israël décroche la deuxième place du concours derrière l’Autriche, grâce au vote des téléspectateurs (mais pas des jurys nationaux) sur lequel porte des soupçons de fraude par des services israéliens. Les images des drapeaux israéliens agités dans la salle choquent autant que la suspicion de triche. Et l’Europe s’offusque (un peu). Des télés promettent même le boycott de l’édition 2026 si Israël n’est pas exclu.

Au siège de l’Union européenne de radiotélévision (UER) à Genève, il y a le feu au lac. L’UER, qui réunit les télés publiques européennes, est l’organisateur de l’Eurovision. Face à la bronca, elle promet un vote sur le sujet en novembre. Sauvée par le gong du « cessez-le-feu » à Gaza, le 10 octobre, l’UER n’organisera jamais ce vote. À la place, pour éviter une nouvelle manipulation des votes du public, elle rebidouille le règlement du concours. Et de facto l’État hébreu reste donc le « bienvenu » à l’Eurovision. Parenthèse : il ne faudrait pas qu’Israël l’emporte à Vienne en mai 2026. L’année d’après à Tel Aviv l’UER – qui est un peu la Fifa de la télé – est capable de décerner un « Prix de la Paix » à Benjamin Netanyahou. Fermeture de la parenthèse.

La décision de l’UER ne passe pas crème auprès de trois télés publiques qui boycotteront donc l’Eurovision 2026 : celles de l’Espagne, de l’Irlande et de la Slovénie. Les Pays-Bas n’enverront pas de candidat, mais retransmettront le programme. Et la Belgique ? Comme la VRT, la RTBF annonce dès vendredi matin qu’elle diffusera l’Eurovision. Et qu’elle enverra aussi son candidat à Vienne (c’est son tour). Décision justifiée par l’administrateur-général de la RTBF, Jean-Paul Philippot, dans un chef d’œuvre absolu de salmigondis que lui seul comprend. Attention, grosse noyade de poisson ! Trois, quatre : « Le Concours Eurovision est l’un de ces espaces singuliers où la diversité, l’inclusion et la liberté artistique se rencontrent. Participer à l’Eurovision en 2026 ne peut se faire sans regarder le monde tel qu’il est, et sans rappeler que le devoir d’informer doit s’effectuer en toute indépendance, celui de donner les clés aux citoyens pour décrypter les enjeux du monde est un fondement démocratique essentiel ». Euh… On va traduire ça : plutôt perdre son âme que perdre un bon gros show télé, avec ses bonnes grosses audiences et ses bonnes grosses recettes publicitaires. C’est plus clair.

Signe qui ne trompe pas, alors que l’opposition PS-PTB-Ecolo en FWB avait appelé au boycott, notre clairvoyante ministre MR des Médias a d’emblée salué le beau geste « culturel » de la RTBF. Pour Tata Jacqueline Galant, notre participation à l’Eurovision 2026 est « fidèle à la position que j’ai toujours défendue. (…) L’Eurovision doit rester un rendez-vous culturel qui nous rassemble autour de la paix. Faisons en sorte de garder la culture comme un pont entre les peuples, surtout lorsque le politique renonce à ouvrir la voie ». Qui nous rassemble autour de la paix retrouvée à Gaza, donc ? Et aussi en Cisjordanie ? Autre signe lunaire qui trompe encore moins, l’empereur Georges-Louis Bouchez a lui aussi promptement distribué ses lauriers : « Une fois n’est pas coutume : je félicite la RTBF qui a réellement fait le bon choix ». Et d’ailleurs « ce boycott n’aurait eu aucun sens puisqu’il y a un cessez-le-feu depuis le 10 octobre ». Et d’façon, il faut cesser cet « acharnement constant contre Israël ». C’est vrai ça : pourquoi donc ? Il est d’ailleurs urgent de réintégrer la Russie, injustement éjectée de la grande famille de la paix qu’est l’Eurovision depuis 2022 (et l’invasion de l’Ukraine).

En même temps, je comprends la RTBF. Enfin, je me l’explique. On va dire que s’asseoir sur ce qui se passe toujours à Gaza et en Cisjordanie consiste à faire preuve d’une certaine continuité. La RTBF fait ce qu’elle sait faire depuis qu’un « ingénieur », Jean-Paul Philippot, en a pris la tête il y 23 ans : se « gérer » dans une logique commerciale et financière. Alors oui, ok, il y reste ci et là quelques îlots de résistance. Quelques émissions RTBF conscientes d’une mission et d’une déontologie de média public. Mais peu, si peu. La RTBF selon Philippot a surtout transformé ses chaînes publiques en télés privées, où même l’info et les débats sont formatés comme des spectacles à audience.

Et que dire des radios. Avec l’aide de directeurs de radio directement importés de RTL, Pure FM a muté en une espèce de Tipik-NRJ sosotte, Classic 21 s’est transformée en Nostalgie 21 et La Première est devenue une machine à multi-rediffuser. Et puis bien sûr, il y a Vivacité convertie en copié-collé de Bel RTL. Avec son remarquable « produit » tête de gondole, l’indispensable « C’est vous qui le dites », qui doit être l’émission la plus idiotement putassière de l’histoire de la radio belge. Re-parenthèse : si d’aventure, après Benjamin Maréchal, son sémillant animateur Cyril Detaeye décidait de changer d’air, je conseillerais pour lui succéder de rapatrier un ancien de la RTBF : Christophe Deborsu. Ce qui donnerait à l’émission un côté Pascal Praud qui lui manque aujourd’hui. Re-fermeture de parenthèse.

Le « service public » RTBF a même réussi à transformer la pauvreté en business model. Dans quelques jours, « Viva For Life » cannibalisera pour la 13ème fois les antennes télé et radio. Dans le cube de l’opération d’autopromotion ertébéenne installé à Seraing, Ophélie Fontana, Fanny Jandrain et Walid mettront une nouvelle fois tout leur talent au service de la compassion envers les « enfants défavorisés ». Ils convaincront des pauvres de verser de l’argent à des plus pauvres encore. Ceci avec le soutien de généreux sponsors comme Engie et Belfius, des entreprises tellement solidaires. Peut-être même que dans une séquence « Viva Eurovision », ils nous présenteront des chanteuses et des chanteurs belges possiblement candidats au grand concours européen de la chanson. Ceux qui pourraient partager la scène avec leurs homologues israéliens. Ce serait bien. Et Tante Jacqueline serait encore plus fière de la RTBF.

Vincent Peiffer
Chroniqueur MaTribune.be |  Plus de publications

Après 40 ans au Moustique, Vincent rejoint l’équipe de MaTribune.be pour mettre son grain de sel dans notre si beau monde. Où, à part ça, tout va bien…

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