
Maxime Prévot confond le Gruyère et l’Emmental. Mais l’« Engagé » se dissout parfaitement bien dans le caquelon de l’Arizona.
Normalement, vu la hargne de plus en plus ultradroitière du MR et de la N-VA, on aurait pensé que les « Engagés » allaient pouvoir se distinguer. Et facilement. Être un peu la gauche de l’Arizona, si on veut. Ou au moins se profiler comme le porteur d’une certaine attention sociale et d’une espèce de tempérance dans un gouvernement de brutes. Et donc, qu’est-ce qu’il en est-il après quatre mois de mariage fédéral à cinq ? Eh bien on ne sait pas. On ne voit pas. Les Engagés sont-ils d’ailleurs dans la coalition arizonienne ?
Prenons Maxime Prévot. À ce qui paraîtrait que depuis février, il serait notre ministre des Affaires étrangères. Mais comme Bart De Wever et Theo Francken parlaient politique extérieure à sa place, on n’avait pas vraiment remarqué. Et puisque Georges-Louis Bouchez causait pour toute la francophonie de l’Arizona, on a cru avoir perdu Maxime. Heureusement, on le voyait de temps à autre porter l’attaché-case d’Astrid en mission économique.
Et donc au parti, on a dû lui dire : Max, houhou Max ! Tu n’existerais pas un peu, tu ne dirais pas un truc ou l’autre, parfois ? Alors Maxime s’est (un peu) réveillé. On ne va pas dire qu’il s’est « engagé » à quoi que ce soit de précis, parce que ce serait un peu violent. Mais disons qu’il a apporté comme un soupçon de rawette de chniquet de début de point de vue. En début de semaine dernière dans le magazine flamand Humo, voilà qu’il déclare ceci : « Je ne sais pas quelles autres horreurs doivent se produire à Gaza avant qu’on parle de génocide. » Bonne nouvelle : alors qu’on le pensait atteint d’aphasie, Maxime Prévot parle. Et c’est donc le ministre des Affaires étrangères qui s’exprime (enfin) sur le génocide perpétré par Israël, ceci au nom de la Belgique et de son gouvernement ? Ah non, ça non. Ce serait trop. Maxime précise toute de suite dans la même phrase qu’il déclare ça « à titre personnel ».
Donc, si vous voulez, Maxime dispose de deux costumes. Celui de l’homme Prévot, qu’il enfile quand il veut dire un truc (rarement). Puis dans la même interview, quand on lui demande de parler au nom du gouvernement, il file vite au vestiaire pour changer de costard et se déguiser en ministre des Affaires étrangères. Ou plutôt en ministre du Suivisme. Question d’Israël, il laisse les vrais patrons N-VA et MR de l’Arizona décider : pas de génocide, point.
Dans sa penderie, Maxime dispose même d’un troisième costume : celui de vice-Premier ministre. Celui-là, il ne l’a encore jamais enfilé. L’inflexion des « Engagés » dans le kern gouvernemental, disons qu’on a beaucoup de mal à l’entre-apercevoir. Même de manière très fugace. Ça a failli, pourtant. Toujours la semaine dernière, mais dans une interview au Soir, cette fois. Un peu poussé il est vrai par l’avalanche de bidouilleries ultra-libérales qui pleuvaient sur la future taxation des plus-values financières, le très engagé Maxime tentait une sortie : « Cette taxe ne doit pas devenir un gruyère ! » Bien ça.
Sauf que, Maxime, il y a un gros, gros stûûût dans ta belle sortie « engagée ». Parce que tu sais quoi ? Il n’y a pas de trous dans le gruyère. Aucun. Pas même des petits trous, ni des trous de seconde classe. C’est dans l’Emmental qu’il y a des trous. Des gros trous, des trous de première classe. Et donc là, si on suit ta déclaration au pied de la lettre, ça voudrait dire que pour toi et tes Engagés, il ne faut surtout pas que la taxe sur les plus-values soit dépourvue de trous. Et que cette taxe doit donc devenir un Emmental plein de gros trous : des tas d’exceptions, d’exemptions ou de dérogations dans lesquelles les « épaules les plus larges » s’engouffreront goulument avec l’aide de leurs « conseillers en patrimoine ».
Et donc j’ai une requête. Plutôt que de t’emberlificoter dans des images fromagères foireuses, tu ne préciserais pas simplement ce que Les Engagés veulent vraiment ? Genre cash et pas toursiveus. Un peu comme chez Vooruit, tu vois ? Conner Rousseau a prévenu les copains MR, N-VA et CD&V qui affinent leur Emmental fiscal plein de trouloulous : pas question d’exonération de la taxe sur les plus-values au-dessus de 10.000 euros, punt aan de lijn. Et même, pas de vote de limitation du chômage tant que cette taxe sur les plus-values n’est pas bétonnée. C’est clair. C’est net. C’est précis.
Je dis surtout ça par respect pour tous ces électeurs qui ont voté « Les Engagés ». Et qui pourraient penser qu’ils ont voté MR, parfois. Souvent. En même temps, je trouve que tu fais preuve d’une certaine honnêteté à parler en langage frometons. On est d’accord que qui dit fromage dit fondue. Dans la fondue savoyarde, par exemple, il y a du beaufort, du comté, parfois de la tomme de Savoie, parfois du gruyère de Savoie. Dans la fondue suisse, c’est moitié-moitié gruyère et vacherin. Mais dans le caquelon, quand le dosage des différents fromages n’est pas bon, certaines saveurs disparaissent. Et d’autres, surdosées, prennent tout le goût. C’est la fondue Arizona, si tu veux.

Vincent Peiffer
Après 40 ans au Moustique, Vincent rejoint l’équipe de MaTribune.be pour mettre son grain de sel dans notre si beau monde. Où, à part ça, tout va bien…