
Un fêlé d’armes tue un autre fou furieux d’extrême droite aux USA, et notre droite à nous dénonce la « violence politique » de la gauche belge…
Heureusement qu’on les a, dites. Et alors ils avaient l’air sincèrement affectés. Pas après l’assassinat, en juin dernier, de la sénatrice démocrate du Minnesota, Melissa Anne Hortman, et de son mari par un militant américain d’extrême droite. Non, là, ça ne valait pas qu’on en fasse un pataquès. Donc pas un mot, pas l’ombre d’une indignation. Mais avec Charlie Kirk, ça c’est autre chose ! Le garçon était certes un peu « emporté » comme « influenceur » au service de Donald Trump, mais pardon, là c’est du grave !
Donc nos édiles de la droite-droite MR/N-VA se sont mués en vaillants lanceurs d’alerte, défenseurs de la démocratie et de la liberté d’expression. À commencer par Bart De Wever : « La violence politique est une attaque contre la démocratie et la liberté d’expression partout dans le monde. Elle ne peut être acceptée. » Sobre, sec et minimaliste, on va dire. Avec Theo Francken, on entre dans une autre dimension : celle d’une proximité proche des mamours. L’hommage est celui d’un ami de la grande famille nationaliste. Dans son tweet, Theo illustre son message d’une photo de feu Charlie, sa femme et ses deux enfants, avec ce petit mot tout mamée : « All my prayers go to your family and friends. » Parce que Theo fait des prières, aussi. Trop chou.
Évidemment, Georges-Louis Bouchez ne pouvait pas manquer l’occasion d’une bonne petite récupération. Ce qu’il fit dimanche au congrès de rentrée du MR à Walibi. Avec toutes les précautions nécessaires, d’abord : « Tout oppose le projet libéral à Charlie Kirk mais personne ne doit payer de sa vie ses opinions. » Puis en mode Bouchez pur porc qui charge la gauche en n’oubliant pas la bonne louche de victimisation et en ramenant bien sûr l’affaire à sa personne : « Je voudrais lancer un message à la gauche car j’ai été stupéfait de voir sur les réseaux sociaux des militants et même des représentants dire que ce monsieur avait eu ce qu’il cherchait. (…) S’il n’y a pas de place pour les fascistes, ce que je partage, il n’y en a pas plus pour les communistes, les extrémistes de gauche, toutes ces structures qui, parce qu’elles considèrent détenir la vérité, être la parole du bien, pensent qu’elles peuvent faire usage de la violence, violence que notre formation politique subit, que je subis au quotidien. » Et c’est un agresseur-insulteur-dénigreur pathologique qui vous le dit. C’est dire la pertinence.
Donc on résume… Le meurtre d’une élue démocrate par un facho trumpiste est un malheureux fait divers comme il y en a tant aux États-Unis. Celui d’un suprémaciste raciste ultra-violent est beaucoup plus alarmant, et c’est la faute à la gauche. Et hop ! Du vrai petit Trump. Mais soyons indulgents. Trop pressés de bidouiller leur récup’, nos lanceurs d’alerte ne savaient peut-être pas qui était vraiment feu leur nouvel ami de circonstance. Peut-être même en entendaient-ils parler pour la première fois. Donc Bart, Theo, Georgie, je me propose de vous le présenter. Attention, ça pique aux yeux.
Charlie Kirk, 31 ans, était influenceur d’extrême droite et bras droit de Donald Trump pour la propagande Maga à destination de la jeunesse. Brillant diffuseur de haine sur ses réseaux sociaux, il y dégueulait un tas de monde et de choses. Au choix : les femmes indépendantes, les étrangers, l’écologie, la science, les homosexuels, les trans, les droits humains. Complotiste aguerri, il a déversé des tombereaux de fake news sur les adversaires de Trump. Quelques citations du brave gars, peut-être ? Une première, disons généraliste : « Je ne supporte pas le mot empathie en réalité. Je pense que l’empathie est un terme inventé. » Une autre ? Votre Charlie était bien sûr un fervent défenseur des armes en liberté. En 2023, après une ixième fusillade aux USA, cette fois dans une école du Tennessee, voici ce qu’il déclare : « Je pense que ça vaut le coup de payer le prix de quelques morts par armes à feu chaque année pour préserver le Deuxième Amendement et protéger nos autres droits donnés par Dieu. »
Les Noirs, maintenant ? OK. Avec un Martin Luther King en entrée : « Affreux… ce n’était pas une bonne personne. » Puis les lois abolissant la ségrégation raciale aux États-Unis en plat : « Nous avons fait une énorme erreur en adoptant le Civil Rights Act[1] dans les années 1960. » Et celle-ci en dessert : « Des Noirs rôdent pour attaquer des Blancs pour s’amuser. » Et le pousse-café avec Charlie prenant l’avion, pas toujours rassuré : « Si je vois un pilote noir, je vais me dire : bon sang, j’espère qu’il est qualifié ! » Voilà pour le racisme et le suprémacisme blanc. Qui en veut encore ? Bart ? Theo ? Georges-Louis ? Allez, pour le plaisir, une qui va vous plaire sur « la gauche », envers laquelle feu Charlie vouait évidemment une haine totale : « Ils (la gauche) ne s’arrêteront pas jusqu’à ce que toi, tes enfants et les enfants de tes enfants soient éliminés. » Kirk était même en connexion avec le divin : « Les démocrates représentent tout ce que Dieu déteste. » Et d’ailleurs, « Joe Biden mérite la peine de mort ».
Et avec ça, ce sera ? Mettez-moi encore une tranche de Kirk sur l’immigration : « Les migrants haïtiens sont infestés par le vaudou démoniaque. Ils vont devenir vos maîtres. » Et donc il faut agir pour se protéger : « Je crois que nous devons envisager sérieusement de tirer près des migrants pour les dissuader. » J’en ai encore des tas, en voici une sélection plic-ploc : « Le changement climatique d’origine humaine est un mythe. » Et puisque tous les musulmans sont terroristes : « Quand des musulmans gagnent des élections, souvenez-vous du 11 septembre. » Une dernière pour la route, en apothéose anti-avortement : « Je forcerais ma propre fille à garder l’enfant, même en cas de viol… »
Ah oui, j’allais oublier. Sur le site de son mouvement « Turning Point USA », Charlie Kirk a établi une « Liste noire » numérique où sont « dénoncés » les professeurs (noirs) qui contestent les délires Maga La journaliste et prof d’université Stacey Patton y figure : « Dès que mon nom a été mentionné en 2024, la machine à harcèlement s’est mise en marche. Ma boîte mail et ma messagerie vocale ont été inondées. Des hommes crachaient leur venin, me menaçaient de violences. Ils ont inondé les lignes de communication de l’université pour exiger mon licenciement. La sécurité du campus m’a proposé une escorte. La liste de surveillance de Kirk a terrorisé des légions de professeurs à travers le pays : des professeurs noirs, des universitaires homosexuels et tous ceux qui remettaient en question la suprématie blanche, la culture des armes à feu ou le nationalisme chrétien. Certains ont reçu des menaces de mort. D’autres ont dû quitter le monde universitaire. » Voili-voilà à qui nos lanceurs d’alerte ont adressé leurs hommages très sélectifs. À un champion intergalactique de la crapulerie qui maniait l’ultra-violence politique au service d’une société de haine, qui l’organisait, la diffusait et bien sûr la monétisait puisqu’il était devenu multimillionnaire. Mais pourquoi donc ne suis-je pas étonné ?
[1] NDLR : Le Civil Rights Act de 1964 est une loi votée par le Congrès américain a mis fin à toutes formes de ségrégations et discriminations fondées sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale.

Vincent Peiffer
Après 40 ans au Moustique, Vincent rejoint l’équipe de MaTribune.be pour mettre son grain de sel dans notre si beau monde. Où, à part ça, tout va bien…