Analys­­e critique du budget wallon (partie 1/3) : Un budget d’austérité

Analys­­e critique du budget wallon (partie 1/3) : Un budget d’austérité

Le budget wallon 2025 a été adopté par le Parlement de Wallonie le 18 décembre dernier. Il offre une photographie des choix politiques posés par la coalition wallonne MR-Les Engagés.

Voici un tour d’horizon en trois parties des mesures explicites et des impacts implicites de ce budget.

Sommaire :

Partie 1/3 : Un budget d’austérité

  1. Un budget sans vision, sauf comptable
  2. Une équation impossible
  3. Massacre à la râpe à fromage pour 268 millions d’euros, et ce n’est qu’un début
  4. Évaluation à géométrie variable

Partie 2/3 : Un déficit qui s’aggrave (à paraître lundi 24/02)

  1. La contradiction fondamentale de ce budget 
  2. Besoins de financement : 4,3 milliards dont 3,3 milliards sur les marchés financiers
  3. Trajectoire budgétaire : l’éternelle illusion d’un retour à l’équilibre
  4. Absence d’explications sur les politiques qui vont concrétiser la trajectoire
  5. Solde SEC 2025, une manipulation de 1,4 milliards d’euros ?

Partie 3/3 : Une dette qui se creuse (à paraître mercredi 26/02)

  1. La dette continue d’augmenter malgré les mesures d’austérité
  2. Le ratio « dette directe / recettes » continue également de se dégrader
  3. Les intérêts de la dette directe : un quasi doublement en deux ans
  4. Forte augmentation du taux implicite, mais pas (encore) d’effet boule de neige
  5. Et les intérêts de la dette indirecte ?
  6. Une règle d’or budgétaire, c’est toujours non !

 

1. Un budget sans vision, sauf comptable

Un budget est plus qu’une simple affaire de chiffres. Par les choix et les priorités qu’il pose, un budget reflète les ambitions sociales, économiques et écologiques d’un gouvernement. Et lorsqu’on examine les documents budgétaires de ce nouveau gouvernement, ce qui frappe, c’est justement l’absence d’objectifs socioéconomiques forts, de stratégie claire et de perspectives positives pour la vie des gens. Créer des emplois durables et de qualité ? Renforcer la justice sociale et fiscale ? Accompagner les entreprises dans leur transition écologique ? Renforcer les investissements dans les secteurs stratégiques ? Accélérer le redéploiement industriel ? Sauver notre biodiversité ? … autant de priorités absentes de ce budget.

Si on devait résumer ce budget wallon en une seule phrase, ce serait : « faire mieux avec moins, pour rassurer les marchés financiers », un slogan répété tant de fois par la droite depuis tant d’années. Tout le monde sait bien qu’il manque cruellement de moyens, humains et financiers, pour répondre aux nombreux défis de nos sociétés capitalistes contemporaines. Rappelons ici le chiffre avancé par l’ancien président de la Banque centrale européenne, l’Italien Mario Draghi, dans son rapport sur l’économie européenne rendu en septembre dernier : il faut investir, au minimum, 800 milliards d’euros par an au niveau européen si on veut éviter que le Continent ne décroche par rapport à la Chine et aux États-Unis et ne s’enfonce dans la récession. Mais non, ce gouvernement continue de vivre dans le passé et revient avec ses vieilles rengaines de droite : l’État est obèse, les services publics sont inefficaces, la dette est trop élevée, les fonctionnaires sont des privilégiés et des fainéants …

Qu’il faille tenir compte des déficits et de la situation budgétaire de la Région, c’est une évidence. Mais satisfaire les marchés financiers ne devrait jamais passer devant les priorités sociales. Par ailleurs, cela ne constitue pas un projet de société, d’autant plus qu’un scénario à la grecque n’est pas du tout à l’ordre du jour. Mais pour ce gouvernement néolibéral, il faut avant tout se soumettre aux desideratas des marchés financiers. Le ministre Desquesnes (Les Engagés) a lui-même déclaré : « Que cela plaise ou non, nous vivons dans des règles du jeu qui sont celles des marchés financiers[1]. »

Les objectifs budgétaires du nouveau gouvernement sont donc :

2. Une équation impossible

  • Diminuer fortement les dépenses publiques
  • Diminuer fortement les recettes
  • Revenir à l’équilibre budgétaire en 2029.

Le tout, en :

  • Évitant l’austérité
  • N’appliquant aucune nouvelle taxe
  • Améliorant la qualité des services publics et le bien-être des citoyens
  • Favorisant la croissance économique
  • Développant de nouvelles politiques
  • Garantissant la transition écologique et numérique.

Cette équation est une illusion totale.

Le gouvernement affirme qu’il n’y a pas d’austérité dans ce budget, et que toutes les coupes budgétaires annoncées seront sans conséquence, tant sur la qualité des services publics que sur le bien-être des citoyens. Réduire les recettes, ce serait améliorer le solde budgétaire. Et réduire les moyens des services publics, ce serait améliorer leur qualité ; couper dans les budgets environnementaux, ce serait améliorer la transition écologique ; réduire les dépenses, ce serait développer de nouvelles politiques. Vous l’aurez compris, le gouvernement vit dans un roman, celui de 1984[2].

Ci-dessous un aperçu des mesures d’économies qui sont annoncées et qui s’élèvent à 268 millions d’euros pour l’année 2025.

3. Massacre à la râpe à fromage pour 268 millions d’euros, et ce n’est qu’un début

Contrairement à ce que le gouvernement déclare, les mesures et la trajectoire budgétaire annoncées sont bel et bien des politiques d’austérité, et elles auront inévitablement des conséquences négatives, à court et moyen terme, à tous les niveaux : social, économique et environnemental.

Pour rappel, lors de sa conférence de presse début juillet, le président des Engagés Maxime Prévot l’a en réalité reconnu, en déclarant ceci : « si on réalisait tous nos objectifs sur une seule législature plutôt que sur deux, la pente de la trajectoire budgétaire serait si forte qu’on n’éviterait pas le sang et les larmes ». Sauf erreur, diviser par deux du sang et des larmes, cela reste du sang et des larmes.

Le gouvernement décide d’utiliser une fois de plus la fameuse technique de la râpe à fromage, c’est-à-dire de couper « un peu » dans de très nombreuses lignes budgétaires, en feignant de croire qu’en adaptant quelque peu les secteurs touchés, cela n’aura pas d’impact.

Donnons quelques exemples marquants de ces coupes et montrons quels en seront les impacts, souvent multiformes.

Attaques sur les communes et les CPAS. Deux mesures vont toucher directement les finances communales.

Premièrement, la fin de la majoration de 1 % du fonds des communes (-15 millions pour 2025). Sur l’ensemble de la législature, cela représente un manque à gagner de 251 millions. Quand on sait que d’une part, les communes sont déjà dans le rouge, et que, d’autre part, elles sont les premiers investisseurs publics du pays, concentrant environ 40 % des investissements, on comprend à quel point cette mesure va impacter le tissu économique wallon. Deuxièmement, la non-indexation des points d’« aide à la promotion de l’emploie » dits APE (-13,5 millions). Avec un manque à gagner de plus de 200 millions sur la législature, cela pourrait entrainer la perte de 2.000 emplois dans les services publics wallons, dont des centaines dans les CPAS. Or, les CPAS sont déjà débordés, et les réformes prévues au fédéral vont aggraver fortement la situation. En effet, la limitation des allocations de chômage et d’insertion à deux ans maximum pourrait entrainer l’exclusion de plus de 124.000 personnes, dont 55.000 en Wallonie.

Attaques sur le tissu associatif. Le gouvernement décide de réduire les malnommées subventions facultatives de 60 millions, soit 30 % de l’enveloppe globale. Ces subventions, loin d’être facultatives, financent tout un tissu associatif et des projets locaux (dont les CPAS) qui remplissent une fonction très importante en matière sociale, culturelle et éducative.

Attaques sur la mobilité. Même si, grâce une mobilisation importante, l’abonnement TEC à 1 €/mois pour les 18-24 ans est maintenu en 2025, le gouvernement décide cependant de geler l’indexation pour l’Office des Transports wallons (OTW : -35 millions), ce qui va signifier moins de financement pour le TEC et donc moins de mobilité. La mobilité douce (vélo-piéton) en prend aussi pour son grade : la subvention pour le réseau cyclo-piéton passe de 13 à 4 millions, le Plan Wallonie-cyclable passe de 5,4 millions à zéro euro, et les subventions pour la sensibilisation et la prestation de mobilité durable sont diminuées de 20 %.

Attaques sur le logement. Les primes Énergie sont remises en cause (les montants ne sont pas encore connus) alors que l’isolation et la rénovation des logements constituent un enjeu clé. Le budget pour le logement public est réduit de 50 millions, alors même que 45.000 familles sont toujours en attente d’un logement social, et que le secteur de la construction est en difficulté. De plus, le budget consacré à « l’allocation loyer », une aide (125 euros par mois) pour les ménages à faibles revenus (moins de 17.000 euros bruts pour un isolé) passe de 21 à 5 millions d’euros (-16 millions), alors même que cette mesure viole le principe de standstill inscrit dans la Constitution, à savoir le fait que quand une mesure octroyée touche à un droit fondamental, on ne peut pas la retirer.

Cette liste pourrait encore continuer, mais on comprend l’essentiel : ce budget nous met sur le chemin d’une société plus injuste : services publics dégradés, initiatives citoyennes affaiblies, soutiens aux plus fragiles déforcés, conditions de travail dégradées, destructions d’emplois, moins de mobilité, moins d’accès au logement, communes et CPAS dans le rouge, …

Et le pire, c’est qu’il affirme que tout cela n’est qu’un début. Citons le ministre-président Adrien Dolimont : « C’est la première fois que les efforts structurels sont aussi importants : 268 millions d’euros, c’est un effort équivalent à un peu moins de 10 % de notre déficit. C’est à la fois beaucoup pour les décisions que cela implique, mais également encore peu, malheureusement, au regard des finances de la Région. »

4. Évaluation à géométrie variable

Le nouveau Gouvernement a fait de l’évaluation un des principes clés de sa politique. Chaque dépense devrait être analysée et chaque euro devrait dorénavant être dépensé de manière efficace. Cependant, dans les faits, ce principe est appliqué de manière totalement incohérente ou contradictoire. Donnons quelques exemples.

Subventions facultatives. Le gouvernement affirme que ces subventions doivent être évaluées, mais il annonce déjà 60 millions d’euros de coupes, avant même que les évaluations soient réalisées. Couper d’abord, évaluer ensuite…

Projet de liaison Seine-Escaut. Un énorme investissement de 345 millions est programmé pour construire trois nouvelles écluses sur le réseau Seine-Escaut, alors même que deux évaluations ont été réalisées et ont abouti à des avis négatifs. Malgré ces avis négatifs, le Gouvernement poursuit ce projet, justifiant sa décision par le fait que ces travaux sont déjà entamés. Cette justification fait étonnamment écho à l’autre décision du même gouvernement de stopper les travaux d’extension du tram à Liège, dont les travaux étaient également bien entamés. 

Tremplin 24 mois +. Ce dispositif du Forem, visant à favoriser l’engagement de personnes éloignées de l’emploi (plus deux ans), a démontré son efficacité avec un taux de succès remarquable. Pourtant elle est quasiment supprimée (réduction de 90 %), privant les chômeurs de longue durée et les employeurs d’un outil qui fonctionne. Cette incohérence est d’autant plus forte que ce gouvernement affirme vouloir s’attaquer au problème du chômage de longue durée.

Air Bag. Ce dispositif, destiné à développer le secteur indépendant via des incitants financiers, a été jugé inefficace par certaines évaluations, en particulier pour son « effet d’aubaine »[3]. Cependant, le gouvernement décide de maintenir ce programme, sans aucune remise en question ou adaptation.

Les aides APE. Les aides à la promotion de l’emploi (APE), considérées par beaucoup comme essentielles pour l’emploi et la cohésion sociale, sont coupées, bien que n’ayant jamais fait l’objet d’évaluations négatives. Ce mécanisme avait par ailleurs déjà fait l’objet d’une réforme sous le précédent gouvernement.

Accompagnement des entreprises pour les programmes de recherche européens. Deux évaluations externes ont été réalisées ces dernières années et ont conclu à l’inefficacité de ce système d’accompagnement coordonné par l’AKT (anciennement Union wallonne des entreprises -UWE). Ces évaluations ont recommandé de rapatrier ce dispositif au sein de l’administration wallonne. Que fait le gouvernement ? Il le laisse aux mains de l’AKT.

Fin du Statut dans la fonction publique. Cette annonce constitue un tournant majeur. Elle n’a pourtant fait l’objet d’aucune évaluation, pour estimer tous ses impacts budgétaires, organisationnels et sociaux.

Tous ces exemples montrent le fossé énorme entre cette culture de l’évaluation qui serait au centre de la politique gouvernementale, et la réalité. À moins que ces incohérences ne mettent justement en évidence que le gouvernement vise surtout à servir un projet de société de droite, avec ou sans évaluation.


[1] Intervention en commission Mobilité du Parlement wallon le 3 décembre 2024 : https://www.youtube.com/watch?v=fIuzXoClhI0.

[2] Allusion au roman de George Orwell « 1984 ».

[3] On parle d’effet d’aubaine lorsque les bénéficiaires d’une action publique auraient dans tous les cas engagé cette action, y compris en l’absence d’une aide publique.

Olivier Bonfond
Rédacteur MaTribune.be et économiste au Centre de coordination, d’études et de formation (CCEF) |  Plus de publications

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