Sommaire :
Analyse critique du budget wallon (partie 1/3) : Un budget d’austérité (publié le 20/02/2025)
- Un budget sans vision, sauf comptable
- Une équation impossible
- Massacre à la râpe à fromage pour 268 millions d’euros, et ce n’est qu’un début
- Évaluation à géométrie variable
Analyse critique du budget wallon (partie 2/3) : Un déficit qui s’aggrave
- La contradiction fondamentale de ce budget
- Besoins de financement : 4,3 milliards dont 3,3 milliards sur les marchés financiers
- Trajectoire budgétaire : l’éternelle illusion d’un retour à l’équilibre
- Absence d’explications sur les politiques qui vont concrétiser la trajectoire
- Solde SEC 2025, une manipulation de 1,4 milliards d’euros ?
Analyse critique du budget wallon (partie 3/3) : Une dette qui se creuse
- La dette : elle continue d’augmenter malgré les mesures d’austérité
- Le ratio « Dette directe / Recettes » continuent également de se dégrader
- Les intérêts de la dette directe : quasi doublement en deux ans
- Forte augmentation du taux implicite, mais pas (encore) d’effet boule de neige
- Et les intérêts de la dette indirecte ?
- Une règle d’or budgétaire, c’est toujours non !
Le gouvernement wallon présente donc un budget 2025 avec 17,7 milliards de recettes et 20,6 milliards de dépenses, et donc un déficit budgétaire de 2,9 milliards.

Le déficit SEC, c’est-à-dire validé par l’Union européenne après une série de corrections comptables, s’établit quant à lui à -2,3 milliards d’euros.
Comment le déficit SEC s’améliore-t-il de 600 millions par rapport au déficit brut ? Essentiellement via une nouvelle opération de trésorerie de 600 millions.
Cela fait plusieurs années que le gouvernement réalise ce type d’opérations. Il est déjà allé chercher 700 millions d’euros dans les trésoreries des unités d’administration publique (UAP) en 2024. Il convient de rester attentif à ce genre d’opérations. Elles ne sont pas reproductibles à l’infini et vont mettre en difficulté les moyens d’action de ces UAP.
1. La contradiction fondamentale de ce budget
La priorité affichée de ce gouvernement était donc la réduction des déficits sur 2025-2029 et l’amélioration de la trajectoire budgétaire. Il réalise dans ce budget 2025, selon ses propres déclarations, un effort historique de 268 millions d’euros. Dans cette optique, on pourrait alors s’attendre à avoir un déficit plus faible en 2025 qu’en 2024. Il n’en est rien. Le déficit SEC est identique à celui de 2024, à savoir 2,3 milliards.
Comment est-ce possible ? Parallèlement à toutes ces réductions budgétaires désastreuses, le gouvernement n’a rien de trouvé de mieux à faire que de concrétiser deux réformes fiscales qui vont diminuer les recettes de 1,5 milliards d’euros d’ici 2029.
La première réforme est la baisse des droits d’enregistrement (passant de 12 % à 3 %), qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2025, et qui va coûter 250 millions d’euros. Toutes ces « économies » ne servent donc en réalité qu’à compenser une perte de recettes liée à une seule réforme fiscale, réforme qui est par ailleurs totalement injuste et inefficace. En effet, sans rentrer dans les détails ici, plusieurs analyses ont démontré que cette réforme, au départ visant un objectif légitime d’amélioration de l’accès à la propriété, ne va profiter financièrement qu’aux ménages ayant des revenus élevés et achetant les logements les plus chers, tandis que tous les autres y perdront au change (notamment à cause de la suppression du chèque-habitat).
Mais ce n’est pas tout. Le gouvernement a également fait passer une autre réforme, à savoir la réduction drastique (-50 %) des droits de succession, qui fera perdre à la Région 400 millions d’euros par an à partir de 2028, date de son entrée en vigueur.
Avec ces deux réformes, le gouvernement nage en pleine contradiction : d’un côté, il place la réduction des déficits comme la priorité des priorités, de l’autre, il procède à des réformes qui aggravent le déficit de plusieurs centaines de millions d’euros.
L’éditorialiste Bertrand Henne résume la situation avec d’autres mots : « On frise la dissonance cognitive. (…) De deux choses l’une. Si la situation budgétaire n’est pas aussi catastrophique, que répondre à tous ceux qui sont touchés par les nombreuses économies annoncées ? Au contraire, si dans les prochaines années, le scenario à la grecque se produit, que répondre à ceux qui diront : « Mais pourquoi diable s’être privé de centaines de millions de rentrées fiscales ? » »[1].
Ces deux réformes fiscales ont par ailleurs une conséquence très importante : pour espérer respecter la trajectoire budgétaire qu’il s’est fixée, le gouvernement va devoir réaliser des efforts beaucoup plus importants que ce qui était prévu jusqu’alors, à savoir un effort structurel cumulatif d’environ 150 millions (1 % des recettes). Ainsi, par exemple, le gouvernement prévoit-il en 2028 des économies de plus de 550 millions sur une seule année (150 millions + les 400 millions perdus via la réforme des droits de succession qui entrera en vigueur cette année-là) ? Ce sera impossible budgétairement, et socialement et économiquement destructeur. Cela ne tient pas la route.
Ajoutons que les récentes décisions prises par le nouveau gouvernement fédéral, en particulier en matière de réforme des droits aux allocations de chômage et d’insertion, devraient coûter 270 millions d’euros à la Région wallonne, selon les premières estimations du Ministre-Président Adrien Dolimont. Et le retour à l’équilibre s’éloigne encore plus …
2. Besoins de financement : 4,3 milliards dont 3,3 milliards sur les marchés financiers
Afin d’équilibrer ses comptes, le gouvernement devrait a priori « emprunter » 4,3 milliards d’euros : 2,9 milliards de déficit et 1,4 milliards arrivant à échéance. Le Conseil régional du Trésor a cependant fixé la balise à 3,3 milliards d’euros pour les emprunts sur les marchés financiers en 2025. Afin de respecter cette balise, le gouvernement décide de :
- S’endetter anticipativement en 2024 pour l’année 2025 pour un montant de 120 millions ;
- S’endetter à la Banque européenne d’investissement (BEI) pour un montant de 275 millions ;
- Inscrire une sous-utilisation de crédit pour l’année 2025 pour un montant de 610 millions.

Les deux premiers financements sont des opérations comptables, des vues de l’esprit. En effet, emprunter anticipativement, cela reste emprunter, et cela fait augmenter la dette ; tout comme emprunter à la BEI plutôt qu’aux marchés financiers, cela reste emprunter, et cela fait augmenter la dette.
Par ailleurs, inscrire une sous-utilisation de crédit n’est pas du tout apprécié par la Cour des comptes. Le Ministre-Président se justifie en disant que c’est habituel : « La sous-utilisation des crédits est maintenue au même niveau que l’année passée. Ici aussi, on peut considérer que c’est relativement prudent au vu de l’inexécuté des budgets des dernières années en proportion, soit environ 3 % d’inexécution du budget[2]
Le conseiller à la cour des comptes, M. Rion répond : « à titre personnel, en tant que technicien, je trouve que la sous-utilisation est une mauvaise technique. Ce n’est pas raisonnable. Vous avez un budget. On sait tous autour de la table que le budget, par définition, est une prévision et qu’il va y avoir des différences en plus et en moins, et en dépenses et en recettes. Mais, prévoir d’entrée de jeu que les crédits de dépense que l’on va prévoir sont surestimés à concurrence de 609 millions d’euros, 1 milliard d’euros ou encore 1,3 milliard d’euros – selon les réalisations, on constate que cela évolue –, cela pose un problème sur la crédibilité de la prévision budgétaire. À titre personnel, si je devais faire une critique par rapport à toutes ces mécaniques de calcul, je trouve qu’à terme il faudrait faire disparaître cette ligne « sous- utilisation de crédits ». On sait très bien que dans un budget, par définition, on fait des ajustements et que seul le compte a le chiffre définitif. Mais utiliser la sous- utilisation comme moyen de pilotage budgétaire, j’avoue que c’est un peu surprenant, avec toutes les questions que cela peut poser[3]. »
3. Trajectoire budgétaire : l’éternelle illusion d’un retour à l’équilibre
Lors des débats budgétaires en décembre 2024, le gouvernement a confirmé la trajectoire présentée en juillet 2024 lors de la Déclaration de politique régionale (DPR), à savoir un retour à l’équilibre SEC en 2029 pour la Région wallonne.
Évolution du déficit SEC

Ce premier graphique donne à nouveau l’illusion d’un retour à l’équilibre d’ici quelques années. Cela devient une habitude du gouvernement, et est sans doute lié à cette idée qu’un État ne doit pas dépenser plus que ce qu’il gagne, ce qui est totalement faux par ailleurs. Bien sûr, il ne s’agit en aucun de s’endetter pour le plaisir de s’endetter. Il est toujours préférable de financer le développement humain par des ressources non génératrices d’endettement, mais il est parfaitement normal et légitime qu’un État s’endette, notamment pour financer des grands projets d’infrastructures, des investissements stratégiques et productifs, ou encore pour financer la transition énergétique et écologique.
Pour rappel, lors de la précédente législature, le gouvernement présentait déjà une trajectoire avec un retour à l’équilibre en 2024. Dans ce cas, il s’agissait de sortir de toutes les dépenses exceptionnelles : relance, Covid-19, inondations, Ukraine, énergie.

Mais la réalité fut tout autre, avec un déficit 2024 (solde brut à financer) s’élevant à 3 milliards d’euros.

Cette fois-ci, l’illusion d’un retour à l’équilibre provient du fait que le gouvernement décide de prendre en compte le déficit SEC, et non plus le solde brut à financer. À nouveau, si on prend ce solde brut à financer, la réalité est tout autre, avec un déficit qui s’élèverait à 1,5 milliards en 2029.

Choisir de prendre en considération le déficit SEC plutôt que le solde brut à financer ne constitue pas une erreur en soi. En effet, c’est ce montant que prend en compte l’Union européenne. Cependant, cela ne devrait pas permettre de créer cette illusion que la Région wallonne va revenir à l’équilibre d’ici quelques années. Par ailleurs, c’est contradictoire avec les années précédentes, où le ministre du Budget wallon – alors Adrien Dolimont (MR) – répétait à plusieurs reprises, en s’appuyant sur les analyses de la commission externe de la dette, que c’est le solde brut à financer qu’il faut prendre en compte. Le 26 septembre 2023, il déclarait une fois de plus : « Dans un tableau budgétaire, le chiffre le plus important, c’est le solde brut à financer[4]. ». Alors que toutes les trajectoires présentées lors des précédentes années montraient l’évolution du solde brut à financer, ces graphiques ont maintenant disparu de la circulation…
Notons également que cette amélioration des soldes budgétaires d’ici 2029 résulte surtout de la diminution progressive des dépenses liées au Plan de relance. En effet, celles-ci devraient passer de 2,2 milliards d’euros en 2025 à 150 millions d’euros en 2028 et 2029.
4. Absence d’explications sur les politiques qui vont concrétiser la trajectoire
Alors que les niveaux de déficits et la trajectoire SEC sont fixées quasiment à l’euro près jusqu’en 2029, aucun détail n’est fourni sur la manière d’atteindre cette trajectoire. C’est le grand flou concernant les projections pluriannuelles qui détaillent les politiques qui vont permettre d’atteindre l’équilibre structurel d’ici 2029.
Pour rappel, en Flandre, le gouvernement a donné, quelques jours après sa constitution, une trajectoire budgétaire détaillée, politique par politique, avec un plan d’action clair et des moyens identifiés chaque année pour concrétiser ses objectifs budgétaires.
Quels secteurs vont être impactés, année après année ? Quelles mesures d’économies sont prévues et pour quel montant ? Quelles sont les économies identifiées ? Autant de questions qui restent à l’heure actuelle sans réponse.
La Cour des comptes n’est pas non plus très convaincue : « D’après le Gouvernement, la trajectoire intègre les conséquences de la réforme des droits d’enregistrement et de succession ainsi que l’effort de soutenabilité graduelle préconisé́ par la commission précitée, à concurrence d’un montant cumulatif de 1 % des recettes[5]. »
Ajoutons un autre élément critique de la Cour par rapport à cette trajectoire : « La trajectoire ne reprend pas les nouveaux emprunts à conclure pour couvrir les déficits successifs dans la mesure où les projections relatives à la dette sont établies sur la base de son échéancier actuel et de ses refinancements[6]. »
5. Solde SEC 2025, une manipulation de 1,4 milliards d’euros ?
Un autre élément problématique dans ce budget est le solde SEC pour l’année 2025. Comme nous l’avons vu ci-dessus, celui-ci s’élèverait, selon les dernières projections du gouvernement, à 2,3 milliards d’euros.
Cependant, lors des projections de l’ancien gouvernement, et cela jusqu’en novembre 2023, la trajectoire prévoyait un solde SEC de -900 millions d’euros. Cela fait une différence de 1,4 milliards d’euros.
Le gouvernement aurait-il délibérément aggravé fortement le déficit afin de pouvoir montrer une trajectoire qui s’améliore ? Il est permis de douter, d’autant plus que, ne l’oublions pas, le gouvernement vient de faire passer deux réformes fiscales qui, toutes choses égales par ailleurs, vont avoir pouvoir conséquence de dégrader cette trajectoire de plusieurs centaines de millions d’euros d’ici 2029.
Lors des débats budgétaires, de nombreuses questions ont été posées à ce sujet par les parlementaires. Les réponses données par le Ministre-Président Dolimont ne sont pas satisfaisantes et ne permettent pas de justifier d’où vient cette énorme différence.
***
Contrairement aux affirmations du nouveau gouvernement MR-Engagés, ce budget est tout sauf courageux ou raisonnable économiquement : le déficit s’aggrave, le retour à l’équilibre en 2029 est illusoire, et aucune mesure n’est prise pour réduire notre dépendance aux marchés financiers. Par contre, une chose est sûre, les mesures d’austérité sont nombreuses, de nombreux secteurs et politiques publiques vont être touchées négativement et les impacts sociaux, économiques mais aussi budgétaires ne vont pas tarder à se faire sentir.
[1] Voir sa chronique du 5 décembre 2024 sur la radio publique La Première, en version écrite (https://www.rtbf.be/article/les-ambiguites-du-budget-wallon-pour-eviter-un-scenario-a-la-grecque-11473128) ou audio (https://auvio.rtbf.be/emission/les-coulisses-du-pouvoir-l-edito-politique-11443).
[2] Parlement de Wallonie – Session 2024-2025 – CRIC n° 46 – Commission des affaires générales, du budget, des relations internationales et du bien-être animal – Mardi 3 décembre 2024, p. 21, https://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2024_2025/CRIC/cric46.pdf. »
[3] Ibid., p. 30.
[4] https://www.lesoir.be/539595/article/2023-09-26/le-budget-wallon-la-fois-en-equilibre-et-en-deficit.
[5] Parlement de Wallonie – Session 2024-2025 – CRIC n° 46, op.cit., p. 25.
[6] Loc. cit.
