Ceci n’est pas une Fête du Travail

Ceci n’est pas une Fête du Travail

Le 1er MAI N’APPARTIENT QU’AUX TRAVAILLEURS

À Marie Blondeau, 18 ans, Fourmies

Le 1er Mai n’est pas la fête « du travail ». Nuance. Grosse nuance : c’est la Fête « des travailleurs ». Depuis toujours. C’est même une journée de revendications et de solidarité internationale voulue dès le départ comme journée de grève. Tout ça pour obtenir la réduction du temps de travail à une journée de huit heures.

Voici donc l’histoire du 1er Mai. Elle débute au XIXsiècle, à un moment où la classe ouvrière commence à s’organiser pour sortir de la misère et de la précarité de ses conditions impitoyables de travail.

Une date symbolique

La date du 1er mai n’a pas été choisie au hasard. L’histoire commence aux États-Unis. Lors de leur congrès de 1884, les syndicats américains veulent imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à 8 heures, alors qu’il n’était pas rare que les travailleurs de l’époque prestent près du double. Ils choisissent la date du 1er mai car elle correspond au moving day, c’est-à-dire le début de l’année comptable et le renouvellement (ou non) des contrats et des loyers.

De nombreuses manifestations et grèves ont lieu partout en Amérique. Celle du 1er mai 1886 est suivie par plus d’un million d’ouvriers. L’activité syndicale américaine, notamment celle de l’American Federation of Labour,est déterminante dans cette histoire (Pinard 2000). À Chicago, le 3 mai, des briseurs de grève tuent 4 ouvriers. Une marche de protestation est organisée le lendemain et, en soirée, au moment où les ouvriers commencent à se disperser dans Haymarket square, la police charge les manifestants. Une bombe explose. Un policier est tué et dans le chaos qui s’ensuit, sept autres mourront ainsi que plusieurs ouvriers. Trois syndicalistes anarchistes sont jugés et condamnés à la prison à perpétuité. Cinq autres seront pendus le 11 novembre 1886 malgré l’inexistence de preuves et un procès caduc[1]. Cette injustice va profondément marquer les esprits (Cennevitz 2023).

Le combat pour une journée de travail de huit heures

En 1889, la IIe Internationale socialiste se réunit à Paris, à l’occasion du centenaire de la Révolution française. C’est au cours de ce Congrès que va naître réellement la journée internationale des travailleurs.

Le 20 juillet 1889, sur proposition de Raymond Lavigne, alors secrétaire de la Fédération nationale des syndicats, les délégués adoptent à l’unanimité une résolution appelant les travailleurs à organiser « une grande manifestation internationale à date fixe, de manière que, dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent en demeure de réduire légalement à huit heures la journée de travail ». Au cours des débats, la date retenue est fixée au 1er mai, en référence au Massacre de Haymarket square et à la décision prise en 1888 par l’American Federation of Labor de faire du 1er mai 1890 un temps fort de lutte pour la journée de huit heures (Deneckere et alii. 1997).

Le Triangle rouge

Les premières manifestations du 1er Mai ont lieu en 1890. Les ouvriers portent un triangle de tissu rouge à la boutonnière. Il symbolise le partage harmonieux de la journée en trois (8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisir).

Le deuxième 1er Mai en 1891 est tragiquement endeuillé par ce qui se passe à Fourmies, petite ville textile du Nord de la France, où tombent les premiers martyrs de la journée internationale des travailleurs (De Cock 2024 : 284-285). La troupe tire à bout portant sur la foule pacifique des ouvriers, que la droite tente de présenter comme des agitateurs (Gacon 2014). Le bilan est lourd : neuf morts dont huit de moins de 20 ans.

Avec le massacre de Fourmies, le 1er mai s’enracine dans la tradition des luttes ouvrières les plus dures.

Une journée de luttes et de revendications

Ce carnage annonce celui de la grande boucherie de la Première Guerre mondiale contre laquelle se sont toujours opposés les militants ouvriéristes et la gauche pacifiste-internationaliste. Après ce conflit meurtrier orchestré par les puissants, les gouvernements ne peuvent plus considérer tous ces soldats « morts pour la patrie » comme de la vulgaire chair à canon et à usine. Le Traité de Versailles de 1919 impose « l’adoption de la journée de huit heures ou de la semaine de 48 heures comme but à atteindre partout où elle n’a pas encore été obtenue ».

Les manifestations du 1er mai s’ouvrent alors à d’autres revendications. Face à l’hécatombe de tant de travailleurs, et sous la pression de l’expérience révolutionnaire de 1917 en Russie, plus que jamais l’exigence de l’égalité réelle marque les consciences. En Belgique, en 1919, le suffrage universel des hommes est obtenu (il faudra attendre 1948 pour étendre ce droit à toutes les femmes). Toujours en 1919, les travailleurs français conquièrent la journée de 8 heures. Et en 1921, en même temps que la liberté d’association et le droit de grève, les travailleurs belges arrachent la journée de 8 heures et l’octroi de la semaine de 48 heures sans perte de salaire.

La Fête des travailleurs volée aux travailleurs par l’extrême droite ?

La Russie soviétique, sous l’autorité de Lénine, décide en 1920 de faire du 1er mai une journée chômée. Cette initiative est peu à peu imitée par d’autres pays, non san récupération… Mussolini transforme le 1er Mai en Fête nationale et du travail et décrète en 1923 la journée de travail de huit heures et la semaine de quarante heures. Cependant, il faut noter que Mussolini veut absolument tuer les syndicats et les milieux proches des socialistes et des communistes en glorifiant les corporations et en soumettant les travailleurs à une conception nationaliste et passéiste du travail docile.

Jouant sur la mystification et désireuse de s’attacher la classe ouvrière, l’Allemagne nazie va encore plus loin : Hitler fait, dès 1933, du 1er mai une journée chômée et payée. La France l’imitera sous l’Occupation, en 1941, en vue de subvertir le sens originel et de le faire correspondre à l’idéologie de la « révolution nationale » du Maréchal Pétain : Travail, Famille, Patrie. Alors que dans le même temps, les syndicats sont dissous au profit des « corporations », la fête des travailleurs est usurpée par la Fête du Travail dont l’emblème devient non plus l’églantine, trop rouge, mais le muguet, symbole du printemps mais surtout associé au culte de la Vierge Marie, les clochettes blanches figurant les larmes de la mère du Christ (Dalisson 2008).

La Libération

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les manifestations reprennent. En 1946, face à un pays détruit qui pense déjà à son redressement économique, le Parlement belge adopte une loi signée par le socialiste Léon-Elie Troclet qui rend légal et obligatoire le congé du 1er mai.

Le 1er Mai, jour férié, est une conquête du mouvement ouvrier. Cette conquête démontre la détermination des travailleurs unis pour la justice sociale, l’égalité des droits et la paix mondiale. C’est pourquoi cette lutte est celle de la solidarité internationale des travailleurs, puis des travailleuses (dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, mais plus encore après la Seconde), en vue de leur émancipation. L’institutionnalisation de la fête des travailleurs le 1er Mai dans la seconde moitié du XXe siècle ne doit pas occulter cette histoire des luttes, des revendications ouvrières et des fédérations syndicales.

Le risque d’une réappropriation par les droites au XXIe siècle ?

Il est de plus en plus fréquent de voir plusieurs partis de droite se réapproprier la fête du 1er Mai en y induisant une nouvelle conception du travail, celle de la flexibilité (l’antienne « travailler plus pour gagner plus »), de la déréglementation, de la méritocratie, de la négociation individuelle et du sacrifice. Cette conception est aux antipodes des revendications d’émancipation, de conquête d’un temps de travail non contraint et de libération collective ayant sous-tendu les mouvements sociaux depuis la fin du XIXe siècle.

Contre la « fête du travail » des droites, « la fête des travailleurs » est celle des longues luttes sociales du mouvement ouvrier et syndical, qui n’a cessé d’être molesté par la police durant toute son histoire (c’est un euphémisme pour ceux qui l’ont payé de leur vie). Ces violences policières se sont souvent produites avec le soutien de gouvernements libéraux-autoritaires.

Les termes ont une importance : parler « du travail », c’est le réduire à une conception univoque qui nie l’individu qui le produit et le dépossède du fruit de son travail ; défendre « les travailleurs et travailleuses », c’est tout le contraire, c’est reconnaître en eux l’humanité du travail comme seule source de richesse et de valeur.

Bibliographie

Cennevitz, Martin. 2023. Haymarket. Récit des origines du 1er mai. Montréal : Lux.

Dalisson, Rémi. 2008. « Représenter le travail sous Vichy : mise en scène de l’entreprise et persistance d’une subversion ouvrière en France, 1940-1944 ». In Chevandier, Christian et Daumas, Jean-Clause. Travailler dans les entreprises sous l’Occupation. Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté. P. 453-468.

De Cock, Laurence. 2024. Histoire de France populaire. D’il y a très longtemps à nos jours. Paris : Agone.

Deneckere, Gita et alii. 1997. « Premiers mai ». In Boll, Friedhelm, Prost, Antoine et Robert, Jean-Louis. L’Invention des syndicalismes. Paris : Editions de la Sorbonne. P. 199-217.

Gacon, Stéphane. 2014. « Héros et criminels : la figure du peuple en lutte dans les débats d’amnistie de la question sociale sous la Troisième République ». In Cahiers d’histoire. N°125. P. 119-137.

Pinard, Rolande. 2000. « De la démocratie syndicale en Amérique ». In La Révolution du travail. De l’artisanat au manager. Rennes : PUR.


[1] En 1893, ces anarchistes furent innocentés et réhabilités par le gouverneur de l’Illinois, qui confirma que c’était le chef de la police de Chicago qui avait tout organisé, et même commandité l’attentat pour justifier la répression qui allait suivre…

Pierre Vermeire
Rédacteur MaTribune.be |  Plus de publications
Thomas Franck
Rédacteur MaTribune.be et enseignant en Lettres à l’Université de Lille |  Plus de publications

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