De décisions en rétropédalages, où en sont les droits de douane aux États-Unis ?

De décisions en rétropédalages, où en sont les droits de douane aux États-Unis ?

Dossier sur la nouvelle guerre commerciale

Dans le domaine de la politique commerciale, la présidence de Donald Trump marque un tournant décisif. En imposant des droits de douane au monde entier, l’administration Trump a pour objectif de redéfinir les règles du commerce mondial à l’avantage exclusif des États-Unis. Va-t-elle y arriver ? Difficile de le dire, tant les inconnues restent nombreuses à ce stade. Mais ce qui est sûr, c’est que cette politique commerciale agressive comporte des risques et a déjà de nombreuses conséquences socioéconomiques, tant aux États-Unis que dans le reste du monde.

Dans ce dossier, nous faisons un tour d’horizon de ces risques et conséquences, en répondant chaque fois à une question précise. 

Question 1 : est-il vrai que les droits de douane actuels sont les plus élevés depuis 100 ans ?  

Question 2 : De décisions en rétropédalages, où en sont les droits de douane aux États-Unis ?

Depuis son arrivée à la Maison Blanche, le président Trump a accumulé une série de décisions pour faire augmenter les droits de douane sur les produits importés vers les États-Unis. Tous les pays du monde et quasiment tous les biens sont concernés. Sauf que, pour toute une série de raisons, économiques et géopolitiques, la grande majorité de ces décisions a été annulée, modifiée, diminuée, reportée… Dans cette cascade de décisions et de rétropédalages, essayons d’y voir un peu plus clair.

Le 10 février 2025, le Président américain Donald Trump a signé deux « proclamations » fixant au 12 mars la date d’entrée en vigueur des nouveaux droits de douane de 25 % sur toutes les importations d’acier et d’aluminium aux États-Unis « sans exception ou exemption ».  

1. L’acier et l’aluminium : de 2 % à 25 %, sans exemption

Il faut se souvenir que lors de son premier mandat (2017-2021), Trump avait déjà pris la décision d’augmenter fortement les droits de douane sur l’acier et l’aluminium. Alors qu’ils se situaient entre 0 % et 2 %, en mars 2018, Trump imposait alors des droits de douane de 25 % sur l’acier et 10 % sur l’aluminium, pour tous les pays.

Lors de la présidence de Joe Biden (2021–2024), les droits de douane de 25 % ont été maintenus mais en 2022, un accord a été signé entre les États-Unis et l’Union européenne (UE) qui remplace les droits de douane par un système de quotas tarifaires, ce qui a permis à l’UE d’exporter une quantité déterminée d’acier sans droits de douane, au-delà duquel le tarif de 25 % s’appliquait. D’autres accords similaires ont été signés avec le Japon et le Royaume-Uni.

La nouvelle administration Trump (2025-…) a donc supprimé cet accord et réinstauré des droits de douane de 25 % pour l’acier et l’aluminium à tous les pays, excepté pour le Royaume-Uni qui vient de signer un accord commercial avec les États-Unis (voir-ci-dessous)

Canada : de 25 % à 50 %, puis retour à 25 % la même journée

Le 11 mars 2025, réagissant à l’annonce par la province canadienne de l’Ontario d’une surtaxe de 25 % sur les exportations d’électricité vers trois États américains, le Président américain a tout d’abord annoncé qu’il doublait les droits de douane sur l’acier et l’aluminium avec ce pays, avant d’y renoncer quelques heures plus tard, donc retour à 25 %. Dans le même temps, la province de l’Ontario annonçait qu’elle suspendait également sa surtaxe de 25 % sur les exportations d’électricité après une discussion « productive » avec le ministre américain du Commerce.

Royaume Uni : 0 %

Dans le cadre d’un nouvel accord commercial signé en mai 2025 entre les États-Unis et le Royaume-Uni (voir ci-dessous), les droits de douane américains de 25 % sur l’acier et l’aluminium britanniques ont été supprimés.

Le 26 mars 2025, le Président américain Donald Trump a annoncé l’imposition de droits de douane supplémentaires de 25 % sur les voitures et sur les pièces détachées automobiles importées aux États-Unis[1], en plus des 2,5 % existants (taux de base).

2. Voitures et pièces détachées automobiles : de 2,5 % à 27,5 %, avec des exemptions

Cette mesure a été, et c’est le moins qu’on puisse dire, très mal accueillie par le secteur, qui s’est organisé ces dernières décennies sur la base de chaînes d’approvisionnement mondialisées. Face à la grogne et à la pression des grands constructeurs automobiles américains, comme Ford, General Motors et Stellantis, qui se sont rendus à la Maison Blanche en avril, plusieurs mesures d’atténuation ont été prises.

Constructeurs américains

  • Exemption pour le Canada et le Mexique : les importations automobiles en provenance du Canada et du Mexique évitent la taxe, à condition qu’elles respectent les règles de l’accord de libre-échange États-Unis-Mexique-Canada (USMCA, anciennement ALENA), à savoir qu’au moins 75 % des composants de la voiture proviennent d’Amérique du Nord. Ainsi, les importations automobiles du Canada et du Mexique qui respectent ce critère continuent d’entrer aux États-Unis au taux de base de 2,5 %, sans être soumises à la taxe de 25 %.
  • Exemption de taxes cumulatives :un véhicule ou une pièce détachée déjà soumis à la taxe de 25 % sur l’automobile ne sera plus en plus frappé par les droits sur l’acier, l’aluminium ou d’autres taxes liées aux importations mexicaines ou canadiennes
  • Note de crédit pour les pièces détachées :les constructeurs assemblant des véhicules aux États-Unis pourront bénéficier d’une note de crédit équivalant à 3,75 % de la valeur totale des véhicules assemblés aux États-Unis. Concrètement, pour un véhicule de 50.000 dollars fabriqué aux États-Unis, l’entreprise pourra importer jusqu’à 1.875 dollars de pièces sans payer de taxe[2]. Cette mesure ne s’applique pas aux pièces détachées importées de Chine.

Constructeurs européens

Les constructeurs automobiles européens ne bénéficient pas d’exemptions aux tarifs douaniers américains de 25 %. Cependant, certains d’entre eux – comme Volkswagen et Stellantis – ont obtenu une exemption car leurs véhicules respectent les règles d’origine de l’accord États-Unis–Mexique–Canada (voir ci-dessus). En revanche, ce n’est pas le cas pour BMW, dont l’essentiel de la production et de l’assemblage se fait au Mexique.

Royaume-Uni : quotas à 0 %

Dans le cadre d’un accord signé en mai, les États-Unis ont abaissé les tarifs sur les voitures britanniques de 25 % à 10 % pour un quota annuel de 100.000 véhicules. Ce quota correspond au volume des exportations britanniques vers les États-Unis en 2024. Les exportations dépassant ce seuil restent soumises à un tarif de 27,5 % (taux de base de 2,5% + la taxe supplémentaire de 25%).

Malgré ces mesures d’atténuation, tous les constructeurs, y compris américains, anticipent une augmentation des coûts de production. Par exemple, Ford estime que les nouvelles taxes pourraient entraîner des coûts supplémentaires de 1,5 milliards de dollars en 2025.

L’impact sur les consommateurs devrait également être très important, avec une augmentation significative des prix des véhicules. Selon plusieurs estimations, pour les véhicules assemblés en Amérique du Nord, l’augmentation pourrait varier entre 4.000 et 10.000 dollars par véhicule, tandis que le prix d’un véhicule électrique pourrait augmenter jusqu’à 12.000 dollars.

3. Le « Liberation day » : une taxe « universelle » de 10 %, et de 20 % pour l’UE

Le 2 avril 2025, lors de ce qu’il a appelé le « Liberation Day », Donald Trump a signé un décret prévoyant des « droits de douane réciproques » et des taux spécifiques pour chaque pays ou région, avec un minimum de 10 % pour tous les pays. 

Tableau présenté à la presse par Donald Trump le 2 avril 2025.

L’UE se voit imposer un droit de douane de 20 %. Cependant le 10 avril, Donald Trump a annoncé un moratoire de 90 jours sur l’entrée en vigueur des droits de douane réciproques majorés à 20 % pour l’Europe. Le taux de ces droits de douane est donc pour le moment maintenu à 10 % pour l’UE.

NB 1 : Il s’agit bien d’une taxe supplémentaire : ces droits de douane annoncés s’additionnent aux taux de base de 2,5 % déjà en vigueur pour chaque pays concerné. Cependant, ils ne s’additionnent pas aux droits de douane de 25 % précédemment annoncés sur l’acier et l’aluminium.

NB 2 : Certains produits sont exemptés de cette nouvelle taxe, comme le cuivre, les semi-conducteurs, les produits pharmaceutiques[3], certains minerais critiques et les produits énergétiques. 

Ce taux plancher de 12,5 % (taux de base de 2,5% + 10%), celui de 27,5 % sur les voitures, et de 25 % sur l’acier et l’aluminium s’appliquent donc pour l’instant aux pays de l’UE (dont la Belgique et ses régions). À échanges constants, cela devrait représenter des taxes de 52 milliards d’euros sur les exportations européennes, contre 7 milliards auparavant.

Malgré cela, l’UE a décidé de n’appliquer à ce stade aucune riposte, également pendant 90 jours. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré le 1er avril : « Nous voulons donner une chance aux négociations ».

Le 23 mai, estimant que les négociations en cours « ne vont nulle part », le Président américain a menacé l’UE d’appliquer 50 % de droits de douane aux produits européens importés aux États-Unis à compter du 1er juin. Trois jours plus tard, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et Donald Trump ont annoncé que ces droits de 50 % étaient désormais suspendus jusqu’au 9 juillet, afin de donner du temps à une nouvelle négociation…

4. Guerre commerciale vis-à-vis de la Chine : de 34 % à 145 % en une semaine, puis un recul à 30 %

Contrairement à quasiment tous les autres pays du monde, qui se sont soumis au Président américain en négociant, les autorités chinoises ont décidé, tout en se montrant disposées à rechercher un compromis, de tenir tête à Washington. Deux jours après le « Liberation day », la Chine a riposté et imposé des droits de douane identiques sur les produits américains, soit 34 %. Le 10 avril, Donald Trump augmentait les droits de douane sur les produits chinois à 145 %. Le lendemain, la Chine portait ses droits de douane sur les produits américains à 125 %…

Face à cette détermination de la Chine, qui a répondu coup pour coup, mais aussi et surtout aux réactions des marchés financiers, le Président Trump a déclaré le 24 avril que les surtaxes de 145 % étaient « très élevées » et qu’elles allaient « baisser de façon substantielle ». Il a déclaré qu’elles « ne resteront en aucun cas proches de ce chiffre », en ajoutant cependant que « l’on ne reviendra pas à zéro » et, dans son style habituel : « Nous allons être très gentils, ils vont être très gentils et nous verrons bien ce qui se passe ».

Dans les jours qui ont suivi, en réponse aux préoccupations exprimées par les grandes entreprises technologiques américaines concernant l’impact potentiel de ces tarifs sur les prix à la consommation et les chaînes d’approvisionnement, l’administration Trump a pris une mesure d’exemption concernant les produits électroniques tels que les smartphones, ordinateurs portables, disques durs, écrans plats et certains composants électroniques.

Enfin, le 12 mai 2025, un « accord de désescalade temporaire » a été signé entre les deux pays. Les États-Unis ont abaissé leurs droits de douane sur les produits chinois de 145 % à 30 %, tandis que la Chine a réduit les siens de 125 % à 10 %, pour une période initiale de 90 jours. Washington a précisé que ce niveau serait maintenu à condition que Pékin renonce à toute nouvelle mesure de rétorsion et accepte de réengager des négociations structurelles sur l’accès au marché.

4. Nouvel accord commercial avec le Royaume-Uni

Le 8 mai 2025, Donald Trump a donc annoncé un « accord commercial majeur » avec le Royaume-Uni, son premier accord depuis le début de son mandat. Récapitulons les principaux points de l’accord :

  • Le Royaume-Uni bénéficiera d’une réduction de 10 % sur les droits de douane pour les 100.000 premières voitures exportées aux États-Unis, mais aucune augmentation des ventes n’est possible.
  • L’acier et l’aluminium britanniques seront exemptés de droits de douane, mais ces secteurs représentent une part faible des exportations britanniques vers les États-Unis.
  • L’accord inclut également un accès réciproque au marché de la viande bovine et la suppression des droits de douane sur l’éthanol américain.

Les deux parties continuent de négocier pour parvenir à un accord plus large, notamment sur les produits pharmaceutiques et la réduction des droits de douane restants.

Cet accord conclu entre Washington et Londres est perçu par de nombreux analystes comme une capitulation du Royaume-Uni, qui, isolé depuis le Brexit, a accepté des concessions unilatérales, notamment sur les normes alimentaires, les médicaments et certains produits industriels, sans contrepartie équivalente. Du côté américain, avec une croissance en berne et des préoccupations concernant l’emploi et l’économie, cet accord permet surtout à Trump de donner une apparence de succès à sa politique commerciale agressive et extrêmement volatile.

L’Union européenne, en tant que bloc économique, dispose potentiellement de moyens de pression qui peuvent lui permettre de résister aux exigences américaines et de négocier un accord plus équilibré. L’enjeu, pour Bruxelles, est non seulement économique mais aussi politique : faire la démonstration que l’Europe unie peut défendre ses intérêts face aux offensives commerciales de Washington.

Dernier rebondissement : tous les droits de douane de Trump suspendus… puis rétablis provisoirement

Le 29 mai dernier, le Tribunal de commerce international des États-Unis (ITC) a jugé que Donald Trump avait outrepassé ses pouvoirs constitutionnels en imposant des droits de douane généralisés sans l’aval du Congrès. Cette décision suspendait tous les nouveaux droits de douane imposés par Donald Trump. Mais à peine 24 heures plus tard, une Cour d’appel américaine a rétabli ces taxes à titre provisoire, en attendant une décision sur le fond. Si la justice confirme qu’elles sont anticonstitutionnelles, ces taxes pourraient encore être annulées dans les prochaines semaines. 


[1] La taxe sur les voitures est en vigueur depuis le 3 avril 2025 tandis que la taxe sur les pièces détachées automobiles est en vigueur depuis le 3 mai 2025.

[2] En réalité, l’entreprise doit d’abord payer la taxe sur les pièces puis envoyer une note de crédit à l’Administration et ensuite se faire rembourser.

[3] Cette exemption sur les produits pharmaceutiques est très importante pour la Région wallonne, étant donné qu’ils représentent environ 75 % des exportations vers les États-Unis. Nous traiterons ce point dans une prochaine question.

Olivier Bonfond
Rédacteur MaTribune.be et économiste au Centre de coordination, d’études et de formation (CCEF) |  Plus de publications

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