Dignité à la belge

Dignité à la belge

La reconnaissance de la Palestine ? Ah mais non, ce n’est pas dans l’accord de gouvernement Arizona !

Même les couteaux les moins aiguisés du tiroir l’ont compris : reconnaître l’État palestinien, ce n’est pas tout résoudre. Oui on sait, ça va. Mais c’est poser un acte. Enfin un premier acte. Aujourd’hui, c’est même devenu un acte de dignité face à l’ignominie qui se déroule sous nos yeux épouvantés à Gaza : anéantissement total, massacre d’une population, famine organisée, destruction des points d’eau, confiscation d’un territoire (un de plus), déplacement forcé de populations. En un mot : génocide. Un gouvernement israélien de droite dure et d’extrême droite répond à l’abject du 7 octobre par l’abject d’une éradication totale de la population gazaouie, jusqu’aux bébés. L’effrayante réalité.

D’autres pays européens ont déjà posé cet acte de dignité. Après la Suède dès 2014, l’Espagne, l’Irlande, la Norvège et la Slovénie ont récemment reconnu l’État de Palestine. D’autres le feront bientôt puisque la France d’Emmanuel Macron organise en juin (avec l’Arabie saoudite) une conférence des Nations Unies pour une reconnaissance mutuelle d’Israël et de la Palestine.

Et chez nous ? Disons que chacun, surtout certains, en a profité pour organiser un petit spectacle à la Rue de la Loi. Où la dignité est un concept très, très variable. Le Vlaams Belang s’en tamponne bien évidemment puisque tout ce charabia palestinien ne préoccupe que les « islamo-gauchistes ». Pour tous les autres partis d’opposition, ça ne fait pas l’ombre d’une rawette de pli. Pour le PS, le PTB, Ecolo, Groen, Défi et même l’Open VLD ou le très « droitiste » député indépendant Jean-Marie Dedecker, la reconnaissance par la Belgique est un préalable, un premier pas. Le seul possible pour l’instant.

Dans l’Arizona ? C’est là que le spectacle contorsionniste a pris son envol. Mais très « à s’n’aise », d’abord. La majorité, unanime, a dans un premier temps joué à la chaise vide en commission de la Chambre, où on se penchait sur le sujet. Puis, face à l’horreur quotidienne (et la bronca populaire ?), on s’est dit qu’il fallait bien y aller. Pour le CD&V, Sammy Mahdi a réveillé l’humanisme qui était en lui, en ralliant la cause de la reconnaissance. Directement suivi par Vooruit, où Conner Rousseau a qualifié l’« opération » israélienne de « génocide ». Après avoir bien tortillé du popotin, Les Engagés ont quitté la catégorie des « sans avis ». Le néo-président Yvan Verougstraete clamant subitement qu’« on ne peut pas rester au balcon ». Et plaidant pour une position européenne : « Une reconnaissance ­coordonnée de l’État de Palestine dès le mois de juin ». Il évoquera même un « risque de génocide ». Un « risque »… Le même jour à Gaza, 57 personnes sont mortes de faim et de soif. Et donc mardi matin, poussé par les siens, leur binamé ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot, s’est enfin exprimé : « La reconnaissance est inscrite dans les astres ». On a failli attendre.

Au MR, seule la parole sacrée de Saint-GLB compte. Bouchez allait-il utiliser le massacre à Gaza pour un nouveau solo ? Je rassure ses fans : oui ! Dans une ouverture très trumpienne, l’omni-président avait précédemment garanti que la population palestinienne « a quadruplé depuis 1940, donc il n’y a pas de génocide ». Voilà. Et sinon ? Georges-Louis se demande : « Je ne vois pas le lien entre la situation humanitaire à Gaza et la reconnaissance de la Palestine ». Qui ne « résoudrait rien ». Sa contre-solution à lui ? D’abord un désarmement du Hamas, une redéfinition précise des frontières, une sécurité garantie pour Israël et la Palestine, une solution à deux États, une reconnaissance mutuelle de ceux-ci, une sécurité pour Israël et la Palestine. Rien que ça. Et ce n’est pas tout ! Là tout de suite, GLB veut répondre à l’urgence avec «une force internationale pour créer un couloir humanitaire, afin de sassurer que laide parvienne aux populations». Avec l’aimable coopération de l’armée israélienne, pour sûr.

Un numéro de duettistes que GLB effectue avec Bart De Wever. Après avoir lâché une larme sur les enfants fauchés de Gaza, le Premier ministre N-VA s’est « repris ». En précisant que « faire des gestes symboliques, ça peut être intéressant pour l’opinion publique ici, mais ça ne va pas aider à la réalité sur le terrain ». D’ailleurs la reconnaissance d’un État palestinien, « ce n’est pas compris dans l’accord de gouvernement ». Et donc, rien alors ? Si, si ! Bédéwé veut lui aussi une reconnaissance mutuelle. Et donc des interlocuteurs crédibles. En Israël, ils existent puisque, attention bijou!, « Israël est un pays démocratique ». Tandis qu’en face, l’Autorité palestinienne est détruite, comme le reste : « Et on ne va pas négocier avec des terroristes (du Hamas), quand même ! » Donc pas de reconnaissance palestinienne de la Belgique, pour BDW. Et aucune pression sur Netanyahou et sa phalange d’extrême-droite qui, en attendant que tous ces préalables surviennent d’on ne sait où, continueront de « génocider » sans entrave.

Le show s’enlisait. Jusqu’à la surprise du bouquet final : mardi en début de soirée, l’Arizona trouvait tout soudainement son accord pour une résolution sur « la situation humanitaire et sécuritaire à Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est » ! La Belgique soutiendra l’initiative de la France à la prochaine conférence de l’ONU « qui doit établir un chemin vers une solution à deux États avec une reconnaissance mutuelle d’Israël et la Palestine ». Mais attention, il y a des conditions très « réalistes » : le Hamas devra préalablement avoir été démantelé, les otages israéliens auront été libérés, un interlocuteur palestinien démocratique sera au pouvoir, les frontières du territoire seront clairement définies. Donc, en pratique, zéro reconnaissance par la Belgique seule ? Voilà. Et la qualification de « génocide », elle est dans l’accord ? Non plus. Et nous avons là un parfait copié-collé de la position N-VA/MR ? C’est ça. Et le CD&V, Les Engagés et Vooruit se sont aplatis, alors ? Comme de coutume. Oui mais, démocratiquement, c’est pas un peu un monde à l’envers ? Beaucoup, oui. La Chambre aurait pu (aurait dû) faire son job : voter. Et là, dans l’opposition et dans l’Arizona, ils auraient été 88 députés sur 150 à trancher pour la reconnaissance de la Palestine, face aux 62 parlementaires N-VA et MR assortis de la chouette fréquentation du Vlaams Belang. Mais en Belgique, c’est une minorité qui impose. Souvent.

Vincent Peiffer
Chroniqueur MaTribune.be |  Plus de publications

Après 40 ans au Moustique, Vincent rejoint l’équipe de MaTribune.be pour mettre son grain de sel dans notre si beau monde. Où, à part ça, tout va bien…

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