France | Vers la fin de la V ème République ?

France | Vers la fin de la V ème République ?

En soutenant obstinément une politique qui a fait exploser tout autant la dette de la France que les inégalités sociales, le Président Emmanuel Macron a fait converger les crises sociale, financière et économique vers une crise institutionnelle. Le point d’orgue du blocage se trouve dans le droit que s’est arrogé Emmanuel Macron de ne pas respecter le résultat des élections législatives de 2024. Tant sur le fond, en refusant d’appeler à gouverner le Nouveau Front Populaire arrivé en tête, que sur la forme en nommant, trois fois de suite, des Premiers ministres issus d’un des camps défaits.

« Imaginez un pays imaginaire où un président nommerait trois fois de suite un Premier ministre du camp politique qui a perdu les élections. Non je déconne. Mais imaginez quand même ! »

En prononçant ces paroles dans une interview accordée à BFM le 9 septembre dernier, Marine Tondelier, la Secrétaire nationale des Ecolos, donnait le ton de la séquence politique qui s’ouvrait à l’annonce de la nomination de Sébastien Lecornu comme Premier ministre, quelques heures après la chute du gouvernement Bayrou.

Car il y a en effet quelque chose de dystopique à voir le Président que l’on dit le plus mal élu de la Ve République, choisir sans légitimité et sans vergogne un de ses plus fidèles ministres. Le pied de nez, pour ne pas dire le doigt d’honneur, aux Français ne laisse plus aucun doute sur la dérive autocratique de la Ve République !

Champ de ruines

Cette dérive ne date pas d’aujourd’hui. Dès son premier mandat en 2017, l’affaire Benalla et, bien sûr, le mouvement des Gilets jaunes ont démontré la violence avec laquelle les mouvements de contestation sont réprimés. Le consentement au projet du candidat Macron, celui basé sur la start-up nation, les auto-entrepreneurs et autres premiers de cordée, c’est-à-dire les formes libéralisées de la réussite individuelle, n’a rapidement plus fait consensus. Les Français d’en bas, ceux qui ne sont rien, en ont eu très vite marre de traverser la rue pour trouver un job qui n’existe pas[1]. Bref, le ruissellement promis n’était en fait qu’une vaste blague. Mais surtout une aubaine exceptionnelle pour le patronat et les riches, qui ont vu leurs contributions fiscales fondre comme neige au soleil. Fin 2017, deux lois emblématiques donnaient le ton. En même temps[2] qu’était supprimé l’impôt sur la fortune (ISF), Macron abrogeait l’allocation personnalisée au logement (APL), qui permettait aux étudiants et aux classes populaires de soutenir des loyers de plus en plus inabordables…

L’élection présidentielle de 2022 arrive sur fond d’explosion des inégalités en France. Loin d’être un gage de stabilité, la réélection de Macron en 2022 n’est due qu’au barrage républicain contre Marine Le Pen. En effet, arrivé en tête du deuxième tour de l’élection présidentielle avec la présidente du Rassemblement national (RN), Macron n’a dû sa réélection qu’à la mobilisation, également des électeurs de gauche, contre la possibilité de voir l’extrême droite accéder à la présidence de la République.

Le contexte de l’époque évoque davantage la désolation que le renouveau. La crise énergétique mondiale, liée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, instaure une forte inflation partout en Europe. Le paysage politique est marqué par l’éclatement durable des partis politiques classiques, mais aussi et surtout par la dislocation du traditionnel axe gauche-droite autour duquel l’alternance politique semblait encore possible.

Les législatives de 2022 font émerger l’existence de trois blocs électoraux de force comparable : un bloc libéral, un bloc d’extrême droite et le bloc populaire. Auxquels il faut ajouter un quatrième bloc, tout aussi imposant que les autres, celui des abstentionnistes et ses 12 millions d’inscrits sur les listes électorales qui ne se sont pas rendus aux urnes…

Le contexte social évoque lui aussi un champ de ruines. La politique de l’offre des gouvernements Macron a exacerbé les inégalités. Déserts médicaux, saturation des urgences, fermeture des maternités, élitisme de l’enseignement, détérioration des conditions de travail, pauvreté des moins qualifiés sont autant de maux sociaux qu’ignorent superbement les très arrogants Premiers ministres Elisabeth Borne et Gabriel Attal. Les quartiers populaires se soulèvent lors des émeutes de 2023. La France des Outre-Mer souffre également du total mépris de  ses difficultés. L’empoisonnement des sols aux pesticides et le manque d’eau en Guadeloupe, l’emprisonnement en métropole des indépendantistes de Kanaky Nouvelle-Calédonie, l’absence de véritable solidarité à Mayotte après le passage du cyclone Chido n’en sont que quelques exemples. Pareillement, l’épisode des mégabassines et les condamnations de la France pour inaction climatique montrent que les promesses de Macron sont aussi creuses que les poches des 10 millions de personnes qui vivent désormais sous le seuil de pauvreté…

Valorisation de l’extrême droite

Ce bilan négatif explique qu’aujourd’hui Emmanuel Macron ne récolte plus que 17 % de cote de popularité. Cette impopularité se concentre autour de deux points de bascule de la dérive autocratique dont nous parlions plus haut.

Tout d’abord, la réforme des retraites reculant l’âge du départ à 64 ans ne passe pas auprès des travailleurs. Adoptée en 2023 à coups de 49.3 – cet article de la Constitution qui permet d’adopter une loi sans qu’elle ne soit votée par le Parlement –, elle est contestée par l’ensemble des syndicats dans un mouvement social de grande ampleur, qui réunit pendant plusieurs mois plus d’un million de personnes. Si la réforme s’applique à ce jour, elle constitue actuellement la plus grosse pierre d’achoppement des gouvernements de Macron car elle symbolise une ligne de démarcation nette entre ceux qui défendent la mesure, quitte à l’accommoder, et ceux qui continuent de se battre pour l’abroger complètement.

Vient ensuite le vote de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, dite loi Immigration. Cet épisode met en évidence la porosité des politiques de Macron aux idées d’extrême droite, puisque le projet de loi valide un concept cher à Marine Le Pen, la préférence nationale qui remet en cause le principe du droit du sol. Partiellement censuré par le Conseil constitutionnel, le texte de cette loi accordant une préférence nationale aux Français en matière de prestations sociales est adopté grâce aux voix du RN, qui revendique une « victoire idéologique ». Espérant capter une part de son électorat, Emmanuel Macron a donné la main à l’extrême droite et n’a pas hésité, notamment en matière d’immigration, à la renforcer idéologiquement.

À partir de ce moment s’est cristallisé un véritable renversement de valeurs, qui participe à la confusion politique qui règne en France. Le Rassemblement national, plus légitimisé que jamais, a soudain fait partie d’un soi-disant arc républicain. Ce néologisme macronien aux contours très fluctuants désigne une coalition transpartisane, de la gauche à l’extrême droite, qui soutiendrait la politique du gouvernement. Ce soi-disant arc républicain, hors duquel aucune légitimité démocratique ne pourrait se trouver, a un double but. Tout d’abord, en exclure, en la diabolisant, La France Insoumise (LFI), radicalement opposée aux politiques macroniennes, et de la sorte briser l’alliance (Nouvelle union populaire écologique et sociale, Nupes) qu’elle forme avec les autres partis de la gauche traditionnelle (Ecolo, PS et PC). Ensuite, en purgeant le RN des tares racistes du FN, continuer sa banalisation et le rapprochement de la droite classique à ses thèses.

Point de bascule

Fort de ce soutien, appuyé massivement par les médias du milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré, le RN remporte les élections européennes de juin 2024 avec 31,37 % des suffrages exprimés, soit plus du double de la coalition Ensemble (14,60 %) réunissant les partis soutenant Emmanuel Macron. À gauche, chaque parti y est allé seul, rompant de fait l’alliance de la Nupes qu’ils avaient forgée au lendemain de l’élection présidentielle de 2022. C’est un électrochoc. Alors que rien ne semble s’opposer à la dynamique de l’extrême droite, Macron prend la décision, et sûrement le risque, de dissoudre l’Assemblée nationale et d’appeler à de nouvelles élections législatives.

À cette annonce et contre toute attente, la gauche arrive à se réunir à nouveau au sein d’un Nouveau Front populaire (NFP) et à remporter, de manière relative, ces législatives. Le scrutin majoritaire français reconduit les trois blocs électoraux sans qu’aucun n’ait la majorité absolue. Toutefois, le NFP devient la coalition disposant du nombre de sièges le plus important au Parlement[3]. C’est le troisième échec électoral d’affilée de Macron. À la veille des Jeux olympiques de Paris, le NFP s’accorde à proposer le nom de Lucie Castets (PS) comme Première ministre. Après avoir tergiversé, Emmanuel Macron refuse de l’appeler à former un gouvernement sous prétexte que, sans majorité, elle subirait une censure immédiate. Cet hypocrite déni de démocratie est à la base de la profonde crise institutionnelle que connaît la France.

Hors sol, Macron s’accorde avec Les Républicains, parti ayant obtenu le moins de voix aux législatives, pour former l’éphémère gouvernement de Michel Barnier, qui sera renversé après seulement 3 mois par la motion de censure de LFI du 4 décembre 2024. Son successeur, François Bayrou, allié de toujours de Macron, lui a succédé sans charisme. Il ne doit d’être resté en poste pendant neuf mois qu’à la versatilité du PS et à l’opportunisme du RN[4], qui ont refusé de voter à six reprises les motions de censure déposées par LFI. Son gouvernement chute malgré tout le 9 septembre après avoir demandé une confiance qu’il n’a pas réussi à obtenir, une première dans toute l’histoire de la Ve République. C’est un désaveu cuisant de 364 voix contre 194 ! Il faut dire que, fragilisé par le scandale Betharram, Bayrou a réussi à faire l’unanimité contre lui après son refus de revoir la réforme des retraites et surtout après avoir annoncé, à grands cris d’orfraie, un budget d’austérité particulièrement drastique. Le même jour, du haut d’un piédestal de plus en plus vacillant, le Président Macron appelle son fidèle ministre des Armées, Sébastien Lecornu, à remplir, sans majorité parlementaire, la même mission impossible : imposer un budget de 40 milliards d’économies pour combler un déficit qu’il a lui-même creusé en favorisant les riches…

Vers la VIe République !

Ses options sont très limitées. Soit, comme en Italie, il intègre complètement l’extrême droite à son gouvernement (avec le tollé que l’on imagine), soit il recherche, à la manière de la grande coalition en Allemagne, à consolider un socle commun avec les Républicains et à l’élargir, autant que faire se peut, à tous les partis disposés à négocier dans le cadre imposé. Cette dernière option semble avoir sa préférence puisqu’il tente déjà de constituer un Front républicain dont, finalement, seul serait exclu LFI…

L’impasse politique actuelle pourrait-elle être résolue par une nouvelle dissolution, par de nouvelles élections législatives ou même par une élection présidentielle ? On peut en douter, car le profond dégagisme que manifeste la population envers Macron consolide une opposition frontale à ses politiques néolibérales qui ont ruiné la France et désespéré tant de personnes.

En fait, nous avons sous les yeux la mort d’un système. Celui de la verticalité du pouvoir incarné dans le présidentialisme quasi absolu d’une Ve République à bout de souffle. La France du général de Gaulle de 1958 n’a plus rien à voir avec celle d’aujourd’hui. L’exigence démocratique actuelle dépasse la seule convocation d’élections. Elle appelle davantage un renouveau complet d’institutions capables de refonder le lien entre la participation citoyenne et sa représentation politique. C’est l’espoir que porte l’appel pour une VIᵉ République et la convocation d’une Assemblée constituante initiés depuis de nombreuses années par Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise.


[1] Ces petites phrases, récurrentes dans les discours d’Emmanuel Macron, d’ailleurs appelées « macronades » caractérisent une communication politique marquée par l’arrogance et le mépris.

[2] Expression emblématique de la campagne présidentielle de Macron en 2017.

[3] Sur 577 sièges, la majorité absolue est de 289. Le NFP en obtient 180, le RN (et alliés) 160 et le bloc macroniste 163.

[4] Le PS ne s’est pas associé aux motions de censure de LFI car il a cru pouvoir négocier des compromis, promis par Bayrou, au sortir d’un « conclave » entre interlocuteurs sociaux sur les retraites. Dans les faits, cette inconstance a précipité la fin du NFP. Le RN ne s’est pas opposé aux budgets Bayrou par calcul politique. En effet, si de nouvelles élections anticipées étaient convoquées, Marine Le Pen ne pourrait pas s’y présenter après sa condamnation en première instance à cinq ans d’inéligibilité immédiate pour détournements de fonds publics.

Pierre Vermeire
Rédacteur MaTribune.be |  Plus de publications

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