Hautes tensions, basses pensions

Hautes tensions, basses pensions

Plus de 30.000 manifestants pour défendre les pensions ce lundi 13 janvier 2025… bien plus qu’attendu par les médias et de quoi rappeler aux négociateurs fédéraux qu’un rapport de force, cela peut s’inverser !

La complexité du sujet aurait pu prêter à défaitisme : en effet, qui comprend les enjeux financiers et sociaux des pensions ? Pourtant, cette mobilisation témoigne du travail de fond qui est effectué pour rendre ces enjeux visibles et intelligibles à toutes et tous.

Comprendre pour pouvoir choisir et agir avec stratégie, voilà l’objectif du texte qui suit.

Les pensions sont un sujet permanent d’actualité, au centre de toutes les attentions et sur lequel tout le monde a quelque chose à dire. Alors que tout le monde ne peut pas s’improviser expert en la matière, nous sommes confrontés à de très (trop ?) nombreux avis, critiques ou analyses sur le sujet.

Dans le chaos d’informations mais aussi bien souvent de désinformations qui nous submerge, il n’est pas toujours facile de bien saisir l’enjeu des débats autour des pensions, ni même de se faire une idée claire sur le sujet.

Pour essayer de comprendre de quoi il est question, il faut d’abord s’interroger sur ce que sont les pensions en Belgique, et quelle est leur raison d’être. 

1. Trois pensions différentes ?

Les pensions belges font partie du système de la sécurité sociale et permettent aux citoyens qui répondent à certaines conditions de bénéficier d’un revenu de remplacement (minimum), permettant de leur assurer une certaine sécurité financière une fois qu’ils atteignent l’âge de la retraite.

Quand on parle des pensions, on pense bien entendu à ce qu’on appelle le « premier pilier » de pension, à savoir la pension légale qui se fonde sur le principe de la solidarité : on ne cotise pas pour sa pension personnelle mais les retenues effectuées sur le salaire permettent à ceux et celles qui ont travaillé avant nous de bénéficier d’une pension. Ce premier pilier est financé par les cotisations des travailleurs actifs et des employeurs.

Depuis plusieurs années, certains disposent en plus, à côté de ce premier pilier, d’une pension complémentaire dite « deuxième pilier », constituée par des employeurs privés et dans certains cas publics (ainsi que par les travailleurs qui y contribuent).

Enfin, on peut aussi citer le « troisième pilier » qui, lui, repose entièrement entre les mains des travailleurs, et qui se constitue sous la forme d’assurance-vie ou d’épargne pension individuelle.

On ne peut que regretter que le premier pilier ne soit pas à lui seul suffisant que pour garantir un niveau de vie digne à partir de la retraite et que le citoyen soit obligé de compléter sa pension légale quand il en a les moyens (et tant pis pour celles et ceux qui n’en ont pas). Le développement de ces autres piliers est le signe d’un glissement d’un système collectif vers un système individualiste auquel tout le monde n’a pas accès. Les pensions sont complexes car à côté des différents régimes de pensions selon le type d’emploi concerné (indépendants, salariés et fonctionnaires), il existe aussi plusieurs types de pensions (pension de retraite, de survie, de conjoint divorcé, …).

Ces différents régimes ont été mis en place afin de répondre aux spécificités des travailleurs qui évoluent dans ces secteurs. Quant aux différents types de pensions, ils sont le reflet des réalités sociales et sociétales et permettent de prendre en compte les situations professionnelles et familiales en vue d’accorder à chacun un montant de pension (même si celui-ci est parfois faible).

2. Une inégalité de genre inacceptable

Si on regarde les pensions par le prisme de l’égalité entre les hommes et les femmes, on peut constater que l’écart dans le montant des pensions est encore très important.

Sur base d’une étude récente qui ne prend en compte que les pensionnés qui ont réalisé leur carrière dans un seul régime professionnel, on arrive aux constats suivants.

  1. En moyenne, tous régimes confondus, les femmes perçoivent une pension légale inférieure de 19 % à celle des hommes. Si l’on tient compte d’un deuxième pilier de pension, cet écart passe même à 21 %.
  2. En regardant plus attentivement ces données, avec une distinction par régime de pensions, on constate que cet écart peut aller jusqu’à 28 % dans le régime des salariés, voire monter à 52 % dans le régime des indépendants. C’est dans le régime des fonctionnaires que l’égalité entre les pensions des hommes et des femmes est la mieux garantie puisque l’écart n’atteint que 3 %. C’est en grande partie en raison du système de rémunération, d’évolution des carrières mais aussi des périodes assimilées que cet écart peut être réduit à ce niveau.

Les périodes assimilées, ce sont ces périodes d’inactivité pendant lesquelles le travailleur ne travaille pas mais maintient ses droits (congé de maternité, congé d’adoption, crédit-temps, chômage économique, invalidité, jours de grève…). Ces périodes qui interrompent une carrière professionnelle sont « assimilées » à des périodes d’occupation et entrent donc en ligne de compte dans le calcul de la pension. Elles jouent un rôle important pour compenser (au moins partiellement) l’impact de certaines absences sur le montant des pensions et ainsi lutter contre la pauvreté au moment de la pension. Et ce sont les femmes qui sont le plus impactées par ces interruptions de carrière et donc risques de pauvreté, particulièrement par le soin aux enfants et aux aînés.

Cette différence de montants entre les pensions des hommes et des femmes reste donc importante, même si on constate une légère amélioration au fil des ans. Il faut espérer que les futures réformes ne perdront pas de vue ces données et que les mesures envisagées n’aggraveront pas la situation.

3. Démystifier le coût des pensions

Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, les pensions belges ne sont pas trop élevées si on les compare avec d’autres pays. En effet, si l’on regarde les chiffres des pays européens, le taux de remplacement des pensions belges n’est que de 61 %, ce qui classe la Belgique à la 15e place. Le taux de remplacement désigne le pourcentage de l’ancien revenu professionnel qui sera perçu au moment de la retraite. La Belgique était, en 2022, juste en dessous de la moyenne de l’OCDE. À titre d’exemples, selon l’OCDE, le pourcentage de différence entre le dernier salaire et le montant de la pension en France est de 72 % alors qu’au Grand-Duché du Luxembourg, il est de 87 %, et même 93 % pour les Pays-Bas. Le montant des pensions belges est donc loin d’être l’un des plus élevés en Europe.

Certes, il est vrai que le coût des pensions ne cesse d’augmenter, augmentant de fait les dépenses publiques. Cette augmentation est due en partie au vieillissement démographique (il y a de plus en plus de pensionnés par rapport aux travailleurs actifs qui cotisent pour les pensions). Un tel phénomène incite bien entendu à avoir une réflexion sur l’avenir de nos pensions mais celle-ci se limite bien souvent à prévoir des réformes jugées « nécessaires » pour garantir la pérennité des pensions mais qui reviennent systématiquement à réduire le montant de ces pensions, sans réfléchir à des alternatives de financement. Par exemple, ne pourrait-on pas remettre en question le système de réduction des cotisations de sécurité sociale accordées aux employeurs et qui a un impact important sur le financement de notre sécurité sociale ?

Parmi toutes les réformes qui ont déjà été réalisées, on peut se focaliser sur quelques exemples particulièrement éloquents : le relèvement de l’âge de la pension, le renforcement des conditions d’accès à une pension minimum garantie ou encore le remplacement de la pension de survie par l’allocation de transition.

4. Reporter l’âge de la pension ?

Depuis le 1er janvier de cette année, l’âge légal pour prendre sa pension est passé à 66 ans. Ce relèvement de l’âge légal se poursuivra encore en 2030 pour atteindre 67 ans. Cette réforme concerne tous les travailleurs (salariés, indépendants et fonctionnaires), sans tenir compte de la pénibilité de certaines fonctions. Or, il est plus difficile de poursuivre une activité lorsque celle-ci entraîne des risques non négligeables pour la santé.

À l’heure actuelle, il n’existe aucun système commun qui tienne compte de la pénibilité dans l’ensemble des régimes de pensions. Il existe fort heureusement des mécanismes qui prennent en compte cette « pénibilité », mais ceux-ci ne concernent pas toutes les fonctions « pénibles » ni tous les régimes professionnels. Ces mécanismes sont d’ailleurs régulièrement remis en question par certains politiciens et leur avenir n’est pas forcément assuré. Si l’âge légal a été relevé, il est encore possible de bénéficier d’une pension anticipée lorsque certaines conditions sont remplies : 60 ans et 44 ans de carrière, 61 ans et 43 ans de carrière ou encore 63 ans et 42 ans de carrière. Fort heureusement, ces années de carrière nécessaires pour pouvoir partir de manière anticipée prennent en compte non seulement les périodes prestées mais aussi les périodes assimilées. Mais pour combien de temps encore ?

5. Rendre plus dur l’accès à une pension minimum garantie ?

En effet, on constate que la notion de « travail effectif », si chère au MR, a déjà fait son apparition dans certaines dispositions en matière de pensions. Sous ce vocable de « travail effectif », on ne prend en compte que les périodes pour lesquelles on a perçu un salaire, réduisant les périodes assimilées à leur strict minimum. Ainsi le travail réel est valorisé, au détriment des réalités sociales et même familiales.

Pour les pensions de retraite ou de survie relativement faibles, notre système de pension prévoit la possibilité d’obtenir un supplément de pension afin d’atteindre un montant minimum garanti. Depuis le 1er janvier 2025, outre une condition de carrière (20 ou 30 ans selon le régime), il faut, pour bénéficier de ce supplément de pension, démontrer aussi une période de travail effectif (5.000 jours pour les salariés, 189 mois pour les fonctionnaires et 64 trimestres pour les indépendants). À défaut de remplir cette condition, ce supplément n’est plus accessible (des mesures transitoires ont cependant été prévues pour les personnes nées avant le 1er janvier 1969).

6. Remplacer une pension de survie par une allocation temporaire ?

La pension de survie est une pension versée à la suite du décès du travailleur, sous certaines conditions, à ses ayants droits (conjoint, orphelins). Souvent considérée comme un piège à l’emploi et comme un frein à la constitution des droits individuels de pension particulièrement pour les femmes, cette pension a été, elle aussi, réformée à plusieurs reprises.

Actuellement, une pension de survie ne peut plus être accordée que si le bénéficiaire est âgé de minimum 50 ans. Si l’époux n’a pas atteint cet âge minimal, la pension de survie ne lui sera versée qu’au moment de l’âge légal de sa retraite (ce droit sera revu à ce moment). Entre-temps, une allocation de transition lui sera accordée. Contrairement à la pension de survie, cette allocation est cumulable sans limite avec toutes formes de revenus (professionnels ou de remplacement), mais elle est temporaire : après un temps limité (18 mois, 36 mois ou 48 mois selon qu’il y a des enfants à charge et qu’ils sont ou non handicapés), elle cesse d’être versée.

7. Nos pensions, une variable d’ajustement budgétaire

Ces quelques exemples de mesures illustrent parfaitement une tendance que l’autorité suit afin de pouvoir faire face à l’augmentation des coûts en matière de pensions : réduire le montant des pensions et chercher à retarder le moment où celle-ci pourra être perçue.

On le voit, les pensions sont bien souvent perçues par nos politiciens comme une variable d’ajustement budgétaire. Lorsque les coûts des pensions s’élèvent, ils décident d’en durcir les règles, réduisant au fur et à mesure le montant de celles-ci et leurs conditions d’accès. Or, nous sommes tous et toutes susceptibles d’en bénéficier.

Faut-il continuer, comme le font certains politiciens, à dresser un régime contre un autre afin de supprimer les « avantages » de l’un – évoquant des « privilèges » –, sans pour autant améliorer les pensions des autres ? Ne devrait-on pas plutôt chercher à rehausser les montants de toutes les pensions trop basses afin que chacun, finalement, puisse bénéficier d’une pension digne de ce nom ?

Il faut espérer que les futures réformes ne se contenteront pas de réduire les droits de pension existants et/ou de les rendre de plus en plus inaccessibles. Dans une telle situation, le coût des pensions sera certes réduit mais au détriment de toute une série de citoyens qui basculeront alors dans la précarité. Doit-on s’orienter vers une telle société où la solidarité ne serait plus que lettre morte ? Quels sont les choix de société que nous citoyens souhaitons poser collectivement ?

Les différents partis mettent souvent les pensions en avant dans leur programme. Rarement pour les améliorer, trop souvent pour en réduire les bénéfices.  À la fin des années septante, il y avait une série télévisée, L’âge de cristal, qui décrivait une société qui avait mis en place un mécanisme pour réguler sa population âgée et préserver ainsi ses ressources en éliminant les citoyens passés 30 ans, sous couvert d’une renaissance mystique. Il faut espérer que nous n’en arrivions pas là passés 60 ans et que nos futurs décideurs auront à cœur de préserver le bien-être des citoyens et de rechercher, ailleurs, des solutions alternatives en vue de financer nos pensions (et les leurs).

Denis Lambotte
Conseiller juridique à la CGSP |  Plus de publications

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