Les CPAS bruxellois (enfin) sous les feux médiatiques

Les CPAS bruxellois (enfin) sous les feux médiatiques

Interview réalisée en décembre 2024 par Gregory Schwandtner, adjoint de la Secrétaire générale de l’IRB.

Un reportage du magazine d’investigation Pano de la VRT met en lumière des manquements sérieux dans la distribution des aides sociales au CPAS d’Anderlecht. Celui-ci révèle un climat de clientélisme où les décisions politiques interfèreraient avec les recommandations des travailleurs sociaux. Ces révélations de la VRT soulignent des problèmes de gestion et de contrôle au sein du CPAS, exacerbés par une charge de travail élevée pour les travailleurs​. Si Pano semble tenir un scoop, le secteur ALR de la CGSP Bruxelles alerte pourtant, médiatiquement et politiquement, depuis plus de 10 ans. Nous avons rencontré Maxime Nys, Secrétaire régional adjoint du secteur pour faire le point sur une situation de plus en plus interpellante.

Depuis le reportage de la VRT, la situation des CPAS est sur toutes les lèvres. Quelle est votre analyse de la situation ?

J’ai rejoint le secteur en 2012 ; à l’époque, les difficultés des CPAS étaient déjà bien réelles. La problématique principale demeure l’énorme surcharge de travail, aggravée par l’augmentation démographique à Bruxelles. Malgré des discussions récurrentes avec les bourgmestres et les présidents de CPAS, on constate peu d’améliorations et la pénurie croissante de travailleurs sociaux ne fait qu’exacerber une situation déjà critique. En 2020, nous avons mené une enquête auprès de 200 travailleurs sociaux. Les résultats ont confirmé nos craintes de longue date : une surcharge de travail excessive, un impact négatif sur la qualité du service aux usagers et des difficultés à respecter les délais légaux dans la gestion des dossiers. L’enquête a de même mis au jour des répercussions sévères sur la santé des travailleurs comme l’anxiété, des troubles musculo-squelettiques, gastro-intestinaux, du sommeil, ainsi qu’une baisse générale de l’énergie et de la motivation.

Comment est née l’idée de cette enquête ?

Nous voulions objectiver nos connaissances du terrain via une enquête à laquelle tous les travailleurs sociaux de la Région étaient invités à participer. Sachant que la CSC et le SLFP partageaient également nos observations, nous les avons informés des résultats de l’enquête et nous leur avons proposé d’établir, ensemble, un cahier revendicatif régional. Cette initiative inédite a permis aux travailleurs sociaux de participer librement, grâce à une dispense de service. Nous avons organisé deux sessions d’assemblées générales : la première en octobre 2022, avec plus de 200 participants, et la seconde en avril 2023, rassemblant plus de 150 personnes. Avec les travailleurs, nous avons constitué un cahier de revendications que nous avons présenté aux instances politiques compétentes. Les problèmes étant systémiques, il est impératif de les aborder au niveau régional et au sein des structures de négociation qui couvrent tous les pouvoirs locaux, et pas seulement dans chaque commune isolément.

Quel est le sentiment des délégués syndicaux sur le terrain ?

Il est ambivalent. D’une part, nous sommes enfin entendus médiatiquement. D’autre part, c’est triste de constater qu’il soit nécessaire de passer par un tel reportage pour attirer l’attention. Cela fait des années que nous descendons dans la rue et que nous alertons les médias. Sur le plan politique, nous avons engagé des discussions avec tous les niveaux de pouvoir et tous les politiques concernés. Quand on les écoute, personne ne serait compétent, c’est un jeu de ping-pong constant. Tous se renvoient la responsabilité. Mais… tous affirment être à 200 % d’accord avec nous, y compris la Fédération des CPAS bruxellois qui a publié des communiqués de presse pour soutenir nos revendications.

Des budgets avaient pourtant été alloués…

En 2021, le ministre Clerfayt a débloqué un financement inédit de 150 millions € pour les pouvoirs locaux, notamment pour permettre une légère augmentation barémique. 150 millions, on est d’accord, d’un point de vue médiatique, c’est parlant, ça représente énormément d’argent. Mais les travailleurs ont peu ressenti cette revalorisation barémique comme les investissements ont principalement favorisé des initiatives qui n’augmentaient pas leur salaire. J’ai vu les feuilles de paie de certains ouvriers qui n’ont reçu qu’une augmentation salariale nette de 4 € !  Cela illustre un problème systémique où les actions concrètes restent insuffisantes. Les pouvoirs locaux continuent de solliciter des fonds supplémentaires, mais se heurtent à un manque de ressources criant à tous les niveaux, du local au fédéral.

David Leisterh est aux commandes de la formation de l’exécutif bruxellois. Il a été président du CPAS de Watermael-Boitsfort, cette expérience pourrait-elle l’avoir sensibilisé aux enjeux spécifiques des CPAS ?

David Leisterh est intelligent et bien informé sur ses dossiers, mais il adhère avant tout à la ligne politique libérale qui préconise notamment une limitation des allocations de chômage après deux ans. La Fédération des CPAS bruxellois a alerté : cette mesure pourrait priver 30 à 40.000 personnes d’allocations, ce qui augmenterait logiquement la pression financière sur les CPAS si ces personnes précarisées devaient faire appel à eux. Ce cercle vicieux, exacerbé par des années de renvoi de responsabilité entre les niveaux politiques, rend la situation encore plus précaire. D’ici peu, les CPAS devront potentiellement gérer des milliers de dossiers en plus, avec moins de personnel en raison du mal-être grandissant au travail et la pénurie de travailleurs sociaux sur le marché du travail.

À quels autres enjeux doivent faire face les CPAS bruxellois ?

Je n’aime pas le mot, mais, en termes salariaux, en termes d’attractivité de la fonction, les pouvoirs locaux ne sont « concurrentiels » avec le privé, la Wallonie, la Flandre ou la Région de Bruxelles-Capitale. Pourtant, la réalité bruxelloise est spécifique. On constate une pénurie de travailleurs sociaux. Pourtant, les offres d’emploi fleurissent, mais nos CPAS offrent moins que dans les autres régions. Un autre problème, c’est le statut, il doit pourtant être le critère clé du service public car il permet non seulement de fidéliser les agents mais également de les protéger contre toute influence politique. D’après des chiffres officiels de la Région, certains CPAS n’occupaient en 2022 que 4 % d’agents statutaires. En moyenne, les travailleurs quittent le CPAS bruxellois après deux ans de service seulement. Les constats généraux des travailleurs, communs à tous les CPAS, sont une augmentation de la charge de travail. Tout le monde réclame en premier lieu un engagement de collègues supplémentaires pour diminuer cette pression et donc améliorer leur bien-être. Contrairement à ce que la droite prétend, les travailleurs ne réclament pas toujours prioritairement des augmentations salariales.

On s’en souvient, les CPAS ont fait face à plusieurs crises récentes : l’afflux de réfugiés ukrainiens et, parallèlement, la montée des prix de l’énergie. Les autorités politiques ont-elles répondu efficacement ?

Les autorités ont offert un soutien financier non pérenne et c’est justement une aide financière pérenne que nous réclamons. La Fédération des CPAS bruxellois a sorti un communiqué de presse, le jour où les subsides s’arrêtent, ce sera la fin de quelque 300 contrats en CDD. Formellement parlant, les politiques nous diront que ce ne sont pas des licenciements. Ce qui est hypocrite, c’est que politiquement on nous parle de fin de la crise énergétique alors que les prix augmenteraient en 2025.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Tout le monde pointe du doigt le CPAS d’Anderlecht mais il n’est pas le problème, il est plutôt le symptôme d’un malaise profond et d’une problématique structurelle que nous dénonçons depuis des années. Les pouvoirs locaux expriment un manque de financement criant. Cette situation de sous-investissement suscite des interrogations sur l’existence d’une stratégie politique possible, visant à prouver, selon la droite, que les CPAS ne feraient que subventionner des profiteurs. Cette perspective suggère une volonté délibérée de vider les CPAS de leur essence et de leur fonctionnement, annulant ainsi tout soutien social structurel de l’État pour les plus démunis. Nous réclamons depuis des années un financement pérenne et pas des emplâtres sur une jambe de bois. La Région devrait être compétente, mais tous les acteurs, qu’ils soient fédéraux, régionaux ou locaux, doivent se mettre ensemble, de préférence avec les organisations syndicales, pour répondre efficacement aux enjeux de société.

Gregory Schwandtner
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