Accord de gouvernement fédéral (partie 1/3) : « les pauvres sont des ânes »

Accord de gouvernement fédéral (partie 1/3) : « les pauvres sont des ânes »

Analyse de quelques éléments de discours de l’Accord de coalition fédérale (2025-2029) – volet « Social »

Comment s’adresser aux pauvres pour leur imposer la nécessité de réformes drastiques ? Comment les cinq partis au pouvoir au sein du Gouvernement Arizona (N-VA, MR, Les Engagés, Vooruit et CD&V) considèrent-ils leur rapport aux allocataires sociaux ? Quelle image pourra bien convaincre ceux-ci qu’ils doivent être « responsabilisés » et « intégrés » à leur devoir de travailleur ? Voici quelques questions émergeant d’une analyse du discours de l’Accord de coalition fédérale 2025-2029.

Le titre de ce texte pourrait apparaitre comme une formulation poujadiste visant à condamner les artisans d’un gouvernement extrêmement dur concernant les droits sociaux des plus précaires et les politiques de réduction des dépenses publiques. Pourtant, il est seulement l’explicitation de l’une des premières métaphores de l’accord : « Notre gouvernement poursuivra une politique d’activation ambitieuse. Pour ce faire, nous utiliserons le bâton et la carotte » (introduction signée Bart de Wever).

1. Responsabiliser en bon père de famille

Vient s’ajouter à cette animalisation un ton paternaliste et moralisateur. Ce ton vise à montrer que le gouvernement agit en bon père de famille (en effet, quelques rares femmes à la table des négociations, aucune dans le kern). Ces bons pères seraient soucieux de garantir un avenir difficile mais nécessitant des réformes (un avenir « responsable » diraient-ils plutôt) pour les « générations futures ». Jouer du bâton et de la carotte avec son peuple-enfant, voilà une conception politique finalement assez peu innovante, plutôt conservatrice même, à l’image des anciens régimes.

Naïvement, on imaginerait qu’une amélioration des conditions de travail soit mise sur pied pour protéger ces générations ou que soient prises des mesures fortes en matière de climat, d’environnement et de biodiversité. Non, il ne s’agit pas de ce paternalisme-là, mais bien de celui qui souhaite vider l’État de sa dimension collectiviste et redistributive. La santé fait peut-être exception, du moins jusqu’en 2026, moment où la norme de croissance sera revue à la baisse, à 2 % (contre la promesse de campagne des Engagés de la maintenir à 3,5 %). Drôle d’héritage pour des « jeunes » qui doivent être désormais bien rassurés.

Le discours de la responsabilisation (des entités fédérées, des interlocuteurs sociaux et des citoyens) vient encore accentuer ce paternalisme (plus de 110 occurrences de ce lexique de la « responsabilisation »). Les interlocuteurs sociaux, syndicats et mutuelles, sont évidemment visés en priorité. S’ils seront associés aux décisions, il est clairement indiqué que le gouvernement aura le dernier mot.

Autre manière de déconstruire tous les principes de solidarité en affirmant son autorité de père, la protection des représentants syndicaux et des candidats aux élections sociales est plus que menacée : le passage de la période de protection de 2 ans à 6 mois pour les candidats non élus pourrait bien fonctionner comme une dissuasion. En outre, les risques d’une condamnation judiciaire des « émeutiers des manifestations » sont accrus. Cette tendance accentue la criminalisation des organisations syndicales déjà initiée par le gouvernement précédent.

2. Nationalisme, inégalité et « fédéralisme de réforme renforcé »

On cherchera en outre l’universalisme humaniste des Engagés ou l’internationalisme de Vooruit dans des formulations nationalistes et inégalitaires comme celle-ci : « Nous considérons l’obtention de notre nationalité comme une faveur et non comme un droit ». On se souvient de la gestion migratoire sous Théo Francken (2014-2018), qui sera certainement prolongée dans son inhumanité par une autre nationaliste, Anneleen Van Bossuyt. Le contexte géopolitique mondial de plus en plus violent semble importer peu aux adeptes du privilège territorial et national. Paradoxalement, ce contexte est invoqué par l’accord lorsqu’il est question de justifier les mesures relatives à l’approvisionnement énergétique.      

Mentionnons l’éternelle rhétorique de la « simplification administrative » qui est un mantra des politiques néolibérales. Elle concerne principalement les procédures fiscales pour les indépendants, mais elle vise aussi le rapport entre entités fédérées et État fédéral. Pour les nationalistes flamands, c’est une manière de coupler ce néolibéralisme au confédéralisme, deux idéologies extrêmement hostiles au rôle de l’État.

Pourtant, il semble que le socioéconomique prenne le pas sur le confédéralisme, voire que le premier dissimule le second, au profit d’un « fédéralisme de réforme renforcé ». Kesako ? Il s’agit d’une phase transitoire visant à mobiliser dans un premier temps les entités fédérées sur le plan socioéconomique, en accroissant leur responsabilité, avant une éventuelle réforme de la Constitution (annoncée pour la prochaine législature). 

La limitation des allocations de chômage est une mesure à la fois communautaire et socioéconomique. Elle met en branle la solidarité nationale. Une formule anglophone est même utilisée pour montrer tout le sérieux de ce modèle du « fédéralisme de réforme renforcé » : « joint decision trap ». Il s’agit en réalité d’un concept développé, à la fin des années 1980, par le politologue allemand Fritz Scharpf, spécialiste des gouvernements fédéraux. Rien de bien révolutionnaire ni innovant donc. L’alignement politique et idéologique des gouvernements fédéraux, régionaux et communautaires (MR-Les Engagés en Wallonie et N-VA, CD&V et Vooruit en Flandre) renforcera l’impact des réformes socioéconomiques sur les différents niveaux de pouvoir : la barre très libérale et conservatrice de chacun d’eux annonce la couleur.

3. Activer les demandeurs d’emploi en les sanctionnant

De quelle couleur est-il au juste question ? Les travailleurs devront se préparer à parcourir davantage de kilomètres pour trouver un emploi. Ils devront également travailler plus longtemps, pour une plus maigre pension. « Politique d’activation » oblige.

S’ajoutera un renforcement des contrôles et sanctions des demandeurs d’emploi (le fameux bâton) : les allocations de chômage ne sont plus perçues comme un droit à une existence juste et digne mais comme « un instrument d’activation du marché du travail » (la carotte).

Il faut noter la récurrence obsessionnelle d’un adjectif, qui devient presqu’un tic de langage (parfois 3 fois dans la même phrase), à savoir le terme « efficace ». Le discours de l’efficacité (plus de 130 occurrences) est en effet au fondement de la politique de gestion fédérale annoncée : tant l’administration que les contrôles et les collaborations se devront de répondre à cette exigence. Cette efficacité, couplée à l’appel à la rationalisation des structures, entend pallier l’inefficacité des administrations et des gouvernements précédents. Quel aveu d’échec pour le MR, au pouvoir depuis plus de 25 ans sans discontinuer au niveau fédéral (à peine moins pour le CD&V).

L’une des motivations de la concertation entre État fédéral et entités régionales est la remise au travail des malades de longue durée. L’accord assume complètement le fait que le marché de l’emploi prime sur l’approche médicale (on y revient dans la deuxième partie de cet article concernant l’analyse du lexique de la « réintégration »). Le fédéralisme néolibéral agit au profit du travail, non des malades.

Ce parti pris libéral est classiquement complété par l’injonction à la « flexibilisation » des travailleurs (plus de 20 occurrences). Ceux-ci sont invités à jongler entre autoformation, flexi-jobs, autorisation du travail de nuit, travail intérimaire à durée indéterminée et « téléTRAINvail ». Métaphore oblige : des « horaires accordéons » seront proposés aux travailleurs. La « modernisation » invoquée ressemble davantage à un retour en arrière, à une conception rentable et productive du travail et à un engagement sacrificiel du salarié. On est loin du « monde d’après » souhaité par nombre d’utopistes à la suite de la pandémie de coronavirus.

Enfin, les sanctions à l’égard des chômeurs n’acceptant pas toute condition de travail seront déléguées aux organismes régionaux, en concertation avec le niveau fédéral. Délégation au profit de la punition et de l’initiative de sanction. La lutte contre la fraude sociale et l’inspection sociale font également partie de cette collaboration renforcée.

***

En guise de première synthèse provisoire, il convient de relever plusieurs tendances idéologiques participant au paternalisme inégalitaire du gouvernement Arizona. La stigmatisation des allocataires sociaux vise à les distinguer des travailleurs pour en faire une classe sociale à part, alors qu’elle se rapproche socioéconomiquement des travailleurs précarisés auxquels on les oppose. Nous analyserons la métaphore biologisante des « épaules les plus larges » dans la prochaine section de cet article. Cette métaphore inscrit dans les corps les inégalités de classe, en leur donnant une consistance imagée sans les remettre en cause.

Le fédéralisme de réforme renforcé dissimule les velléités confédéralistes des nationalistes en donnant la priorité à un programme socioéconomique de « rationalisation » de l’État : réduction des dépenses publiques, défiscalisation, allongement des carrières, priorisation du marché du travail, flexibilisation, compétitivité et surtout mise à mal de la solidarité nationale.

La stigmatisation des malades de longue durée, aux côtés des sans-papiers et des chômeurs, se double d’une survalorisation des indépendants. Nous verrons dans les parties qui suivent en quoi la maladie de ces deux groupes antagoniques est traitée différemment dans l’Accord de coalition fédérale. La vision du monde véhiculée par cet accord annonce une polarisation des positions.

Thomas Franck
Rédacteur MaTribune.be et enseignant en Lettres à l’Université de Lille |  Plus de publications

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