L’indexation automatique des salaires n’est pas une augmentation de ceux-ci mais un rattrapage limité des effets de la hausse des prix. Ce système a démontré son efficacité depuis plus de cent ans mais le gouvernement Arizona a juré sa perte. Pourtant, il permet d’adapter salaires, pensions et allocations sociales à l’inflation et d’ainsi amortir les conséquences de l’évolution du coût de la vie.
Lors d’un débat télévisé le 5 octobre dernier sur RTL, le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a vertement traité son interlocuteur, le président du PTB Raoul Hedebouw, de menteur après que ce dernier eut réfuté l’affirmation du libéral selon laquelle les salaires allaient bien être augmentés puisque la Belgique dispose toujours d’un système d’indexation automatique des salaires.
Raoul Hedebouw a eu raison de ne pas s’en laisser conter : effectivement, l’indexation n’est pas une augmentation de salaire mais une adaptation à la hausse des prix.
Si cet ajustement n’est que partiel, il demeure essentiel pour maintenir un certain pouvoir d’achat. Et cela tout spécialement au moment où le gouvernement De Wever-Bouchez bloque les salaires réels en interdisant la moindre marge salariale via la loi de 1996Voyons cela en détail.
L’index est un indice
L’indice des prix à la consommation, qu’on appelle aussi index, est un instrument qui permet de mesurer l’évolution des prix des produits et services consommés par les ménages en Belgique. Il trouve son origine en 1919 à une époque où la forte inflation des années de guerre a engendré d’importantes revendications salariales. En 1920, Joseph Wauters (Parti ouvrier belge, ancêtre du PS), le ministre de l’Industrie et du Travail publie le premier indice des prix de détail. Soucieuses de paix sociale, de nombreuses commissions paritaires (qui viennent d’être créées à l’époque), alignent les salaires sur cet indice. Petit à petit, il en fut de même pour les allocations familiales, les pensions et plus tard encore le salaire minimum garanti.
Le principe de base est resté identique depuis le début : il s’agit d’une protection contre la hausse des prix, qui garantit de pouvoir acheter toujours autant avec son salaire, même si les prix augmentent. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une augmentation salariale mais d’une remise à niveau, incomplète et a posteriori, du pouvoir d’achat.
Un système que le monde nous envie
Parmi les produits et services consommés, un choix est opéré parmi les plus représentatifs : le « panier du ménage » contient plus de 671 « témoins ». Le choix et la pondération des témoins sont revus tous les deux ans. Tous les mois, ces prix sont relevés par Statbel, l’office belge de statistiques, qui établit l’indice des prix à la consommation. Il peut ainsi évaluer l’inflation des biens et services, c’est-à-dire le rythme auquel le coût de la vie augmente ou, pour dire les choses différemment, le rythme auquel la valeur de l’argent diminue.
Il faut noter que les salaires et les allocations ne sont pas tous indexés au même moment, ni de la même manière. Selon les secteurs d’activités ou commissions paritaires, le moment de l’indexation est différent : immédiate, deux ou trois mois après, annuelle, etc.
La Belgique est un des seuls pays au monde à connaître encore un système d’indexation automatique des salaires. La France a abandonné l’échelle mobile des salaires en 1983 et les syndicats français aspirent à la reconquérir. En effet, ce gel des salaires a contribué au recul de la part des salaires dans la richesse produite en faveur des dividendes. La CGT estime que cette suppression de l’indexation des salaires a coûté aux travailleurs pas moins de 1.500 milliards d’euros depuis 1983 !
Un système qui évolue
Le système belge n’est pas figé et a évolué ces dernières années, si bien qu’il ne colle plus exactement à l’évolution des prix. Depuis 1983, des mécanismes ralentissent volontairement l’adaptation des salaires à la hausse des prix, comme l’indice-lissé, soit la moyenne des 4 derniers indices ou bien sûr, le plus connu, l’indice-santé, introduit en 1994 par le gouvernement Dehaene afin d’en retirer les produits hypocritement jugés nocifs pour la santé (alcool, tabac, essence, diesel) mais dont la hausse des prix, particulièrement celle des carburants, s’est avérée très forte. Aujourd’hui, on utilise surtout un indice-santé lissé qui s’écarte encore davantage de l’inflation réelle.
Dans le secteur privé, l’indexation automatique n’est pas réglementée par la loi. Là, les différentes commissions paritaires ont la liberté de définir leur méthode d’indexation avec l’indice-santé lissé comme référence.
Dans le secteur public, ainsi que pour l’ensemble des allocataires sociaux, le mécanisme d’indexation est fixé par la loi. Lorsque l’indice-santé lissé dépasse un indice pivot, fixé par Statbel, les traitements de la fonction publique et les allocations sociales sont indexés de 2 % après un certain délai. Le gouvernement Arizona a décidé en avril 2025 de porter à 3 mois ce dépassement, réalisant ainsi une substantielle économie au détriment des fonctionnaires et des allocataires sociaux…
L’indexation automatique des salaires est essentielle
L’indexation automatique des salaires présente plusieurs avantages. Le pouvoir d’achat des travailleurs est garanti et leur niveau de vie est maintenu, apportant de la stabilité et de la sécurité pour chaque citoyen. L’indexation automatique des salaires permet de protéger ainsi la consommation des ménages – qui représente à elle seule plus de 50 % des dépenses dans l’économie – même en cas de crise économique. C’est un outil économique !
Ce système, calculé sur le salaire brut, assure également un maintien des recettes de l’impôt des personnes physiques et de la Sécurité sociale. En effet, en augmentant nominalement le salaire brut, l’impôt sur le revenu et les cotisations de sécurité sociale collectés augmentent mécaniquement, alimentant les finances publiques. Sans oublier qu’en soutenant la consommation populaire, l’indexation permet de maintenir d’importantes recettes de TVA et d’accises.
Par ailleurs, il veille aussi à apporter stabilité et sécurité aux entreprises cette fois, qui peuvent prévoir les hausses de salaires dans leurs budgets et financements. Clairement, l’indexation des salaires est un amortisseur des crises sociales, tout spécialement lorsque les prix de l’énergie et des matières premières s’emballent.
Des critiques injustifiées
Du banc patronal au Fonds monétaire international, les critiques fusent à l’encontre de l’indexation accusée de nuire à la compétitivité. Les employeurs seraient obligés d’augmenter les salaires à intervalles réguliers, et cela créerait de la sorte une nouvelle inflation, une spirale prix-salaire. Cette vision simpliste, à l’évidence idéologique, est fausse car l’indexation automatique n’engendre pas de dérapages salariaux. Pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, nos salaires en Belgique n’augmentent pas plus rapidement que ceux des pays voisins. C’est bien la preuve que l’indexation automatique ne peut pas être considérée comme une augmentation des salaires puisque ce mécanisme n’existe qu’en Belgique ! La loi de 1996 contraint nos salaires dans une norme salariale obligatoire qui aujourd’hui ne permet aucune augmentation des salaires réels alors que la productivité des travailleurs belges n’a eu de cesse d’augmenter, favorisant une explosion des profits et des dividendes des entreprises.
Alors que les travailleurs n’ont pas leur dû, accuser l’indexation de plomber l’économie ne manque pas d’hypocrisie puisque, sans elle, la consommation intérieure s’effondrerait purement et simplement, laissant tous les secteurs de service aux abois.
Ensuite, l’indexation n’est pas responsable de la hausse des prix car elle exclut la volatilité des prix liée aux cours du pétrole. On ne peut à la fois pénaliser les travailleurs en retirant les carburants du calcul de leur indexation et accuser celle-ci de causer de l’inflation. De surcroît, l’indice-santé est lissé sur une moyenne des 4 derniers mois, ce qui évidemment a un effet retardateur sur l’indexation qui n’est appliquée que bien après la hausse des prix elle-même.
Et comme le mécanisme de l’indexation est différent pour chaque secteur et fortement étalé dans le temps, on évite le « choc » économique auquel on assisterait si tous les salaires et allocations étaient indexés au même moment.
Les vraies causes de l’inflation
Il faut plutôt aller chercher les causes de l’inflation dans la hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires, qui ont flambé au lendemain de la guerre en Ukraine. Ou dans les droits de douane exorbitants exigés par Donald Trump. Afin de maintenir leurs marges bénéficiaires, de nombreuses entreprises ont répercuté leurs coûts de production sur leur prix de vente.
De plus en plus d’études[1] montrent en effet qu’une partie importante de l’inflation actuelle est causée par des pratiques abusives des entreprises, qui augmentent leur prix, dans une logique purement opportuniste, afin d’augmenter leurs profits. Les coûts de l’énergie et des matières premières expliquent évidemment en partie la hausse des prix, mais il y a clairement un effet d’opportunité pour augmenter les marges bénéficiaires. C’est ce qu’on appelle le phénomène de greedflation (contraction d’avarice et inflation en anglais), soit le processus par lequel les entreprises profitent de l’inflation pour gonfler encore plus leurs marges (et donc leurs prix).
En se basant sur les données Eurostat, l’économiste Olivier Malay (CSC) a calculé que cette « inflation opportuniste » s’élève à 35 milliards d’euros en 2021 et 2022. « En d’autres mots, les entreprises ont gonflé leurs bénéfices de 35 milliards d’euros simplement en augmentant leurs prix. On ne parle pas ici des hausses de prix nécessaires pour compenser la hausse des coûts de l’énergie, des matières premières ou de l’indexation des salaires. Mais uniquement des hausses de prix qui ont augmenté les bénéfices. Il s’agit d’un transfert d’argent direct des consommateurs vers les entreprises et derrière elles leurs actionnaires. »
Rappelons qu’il y a d’autres variables possibles pour les entreprises que la hausse des prix : rogner un peu leurs marges ou réduire la part des dividendes versés aux actionnaires. De même, il convient de rappeler aux autorités qu’en période de forte inflation, elles possèdent encore l’opportunité de contrôler davantage les prix, voire même de les bloquer.
À cet égard, il serait opportun de mettre sur pied, en Belgique et ailleurs, un service administratif qui aurait pour mission d’analyser les politiques de prix pratiquées par les secteurs et entreprises, de vérifier que les marges captées tout au long de la chaîne d’un produit ne sont pas excessives, de détecter des éventuelles pratiques opportunistes ou abusives, et de réguler si nécessaire. Un tel contrôle est possible : il a été mis en place avec succès aux États-Unis par le gouvernement Roosevelt pour contrôler l’inflation, dans un contexte où l’administration fiscale était beaucoup moins développée que celle que l’on connaît aujourd’hui. Ce n’est donc pas une question de moyen, mais bien de choix sur la répartition de la valeur.
Refuser les sauts d’index
Le 8 octobre dernier, Bart De Wever n’a pas exclu de procéder à un saut d’index. Qu’est-ce que cela signifie ? Concrètement, une perte de pouvoir d’achat de 2 % pour tous les travailleurs et allocataires sociaux. et cette perte se répercute sur l’ensemble de la carrière. Un seul saut d’index, comme celui perpétré par le gouvernement Michel en 2015, a fait subir à 8 millions de travailleurs une perte conséquente de leurs revenus. Par exemple, un salaire brut de 3000 € sera amputé tous les mois de 60 €. Cela fera 720 € après un an, et ainsi de suite.
De plus, les éventuelles indexations ultérieures sont calculées sur un montant inférieur que celui auquel vous auriez pu prétendre. Cette perte se répercutera sur le salaire de mois en mois, d’année en année jusqu’à la fin de la carrière et la pension. De surcroît, cet argent ne permet pas de renflouer les finances publiques, il ne profite qu’aux entreprises. La Banque nationale a d’ailleurs démontré en 2023 que l’objectif recherché par le saut d’index de 2015 n’avait pas été atteint. En effet, l’essentiel du gain réalisé a été utilisé par les entreprises pour majorer leurs marges bénéficiaires et non pour améliorer leur compétitivité …
Un outil de justice sociale
Donc, non Monsieur Bouchez, l’indexation des salaires n’est pas une augmentation salariale. Elle n’enrichit personne, c’est juste une adaptation au coût de la vie ! Ce n’est pas un outil de redistribution comme peut l’être la fiscalité progressive. Les véritables hausses de salaire proviennent de négociations salariales lors d’un accord interprofessionnel, pas de l’indexation. Mais comme ce gouvernement a bloqué toute possibilité d’augmentation des salaires en imposant une norme salariale à 0 %, ces négociations, prévues entre interlocuteurs sociaux pour la fin de l’année prochaine, s’avèrent d’ores et déjà caduques !
Par contre, l’indexation est une véritable garantie de solidarité car s’il fallait négocier des adaptations salariales à l’inflation dans tous les secteurs, les travailleurs de secteurs les plus faibles n’obtiendraient tout simplement rien du tout…
[1] Des études ont montré que 50 % de l’inflation américaine proviendraient de la hausse des marges. En Belgique, les récents rapports de la Banque nationale de Belgique (BNB) sur les taux des marges vont dans le même sens.


