Matribune.be est un nouveau média qui assume un engagement politique en faveur des luttes collectives, de l’émancipation égalitaire et des justices sociale et environnementale. En proposant des articles de fond, des billets critiques, des interviews vidéo et des dessins humoristiques, ce média souhaite occuper une place originale par un engagement dans le paysage médiatique actuel.
Le panorama de la presse en Belgique francophone est pluriel, une caractéristique qu’on dit propre aux régimes démocratiques. On y trouve des journaux d’information quotidiens (comme Le Soir, La Libre ou L’Echo), des périodiques d’investigation critique (tels Wilfried et Médor), des revues d’opinion (mentionnons Politique et La Revue Nouvelle), des magazines commerciaux ou d’information grand public (Moustique, Le Vif et Paris Match Belgique) ou encore des quotidiens locaux à sensation et/ou sportifs (La Meuse, La DH, etc.). Ce rapide tour d’horizon n’est évidemment pas exhaustif.
Pour autant, cette pluralité n’est pas une condition suffisante pour une réelle information démocratique.
Revendiquer une place à part dans le paysage médiatique
D’une part, parce que la diversité n’a plus cours quand on regarde qui sont les propriétaires de la plupart des médias dominants : les grands groupes économiques privés y sont largement majoritaires. Ce sont de riches familles (Rossel, Hurbain, le Hoday, De Nolf) qui se partagent une importante part du gâteau (disons plutôt du « marché ») médiatique. Il n’est bien entendu pas question de nier l’intérêt d’une telle information médiatique, qui garde une indéniable légitimité par l’ampleur de son travail et de son lectorat. En outre, les chaînes télévisées et radiophoniques publiques dépendant de la RTBF poursuivent un travail journalistique capital, mis à mal par des politiques de réduction budgétaire. L’indépendance des médias vis-à-vis de l’économie et la liberté critique sont donc deux conditions nécessaires à l’exercice démocratique.
Matribune.be entend dès lors proposer, modestement, un autre regard, un pas de côté, une alternative crédible et argumentée. Cette ambition se veut complémentaire au travail des journalistes professionnels, sans prétendre le concurrencer. L’apport critique de Matribune.be est cependant singulier par l’engagement assumé de ses contributeurs et contributrices. L’objectivité n’est pas la froide description d’une société, sans sujets ni points de vue. Elle est le résultat de la mise en relation et de la confrontation d’individus et de groupes qui délimitent un monde commun. Plus encore, l’objectivité démocratique n’est pas une réalité définitive et immuable, qui s’imposerait comme une évidence, mais à l’inverse le fruit d’un dialogue émergeant d’un dissensus collectif.
Assumer un point de vue situé
D’autre part, on constate que l’engagement politique et social en faveur d’une redistribution collective et d’une justice sociale effective est marginal dans la liste des médias que nous avons esquissée en introduction. Toute démocratie vit pourtant de ses contradictions ; elle s’organise suivant des logiques de pouvoir et de contre-pouvoir, à partir d’intérêts divergents. Ces intérêts sont défendus par des groupes sociaux. Ce sont leurs rapports de force dynamiques qui déterminent comment est organisée la société. Cette organisation peut renforcer soit le pouvoir dominant (et donc se diriger vers plus de verticalité) soit, au contraire, son contrôle par des contre-pouvoirs (et donc œuvrer à une plus grande horizontalité). La réalité démocratique n’est donc pas un état figé mais la reconnaissance d’un conflit permanent entre des intérêts qui peuvent s’opposer ou converger.
MaTribune.be voudrait occuper une place critique dans ce panorama en assumant la marginalité de son engagement politique et social. Ce média veut contribuer, avec d’autres, à la défense d’une nécessaire démocratie conflictuelle, mais non polémique.
Prolonger un rôle de contre-pouvoir démocratique
Mais comment définir un contre-pouvoir ? Tout média critique d’opinion est-il un contre-pouvoir ? Comment ne pas être un discours de plus dans la masse de la production éditoriale ?
La notion de « corps intermédiaire » est ici déterminante. Les corps intermédiaires (telles les structures syndicales, les associations et les organisations populaires notamment) se situent à l’intersection des individus et des institutions politiques qui nous gouvernent. Ils font le pont avec des réalités et intérêts de larges (ou moins larges) groupes sociaux. En ce sens, ils participent à la circulation et à la diffusion du débat politique, et même à son enrichissement. En effet, certains de ces corps intermédiaires organisent une éducation permanente et populaire qui est le ciment d’une démocratie égalitaire effective.
Si les médias ne sont pas des corps intermédiaires, ils peuvent eux aussi servir à l’enrichissement du débat démocratique par la pluralisation des voix et des points de vue. Toute réalité sociale est complexe et est traversée de lectures idéologiques, de points de vue partiaux et partiels. Proposer la critique de ces lectures idéologiques revient à ouvrir le monde à sa diversité d’interprétations. « Média d’opinion » ne signifie pas « Média de propagande idéologique ». Bien au contraire, un média d’opinion rend visible les points de vue situés des acteurs politiques et économiques, leurs angles morts. Il déconstruit l’évidence d’un regard « neutre » sur le monde social pour reconstruire un dialogue conflictuel.
Participer au débat public
Favoriser une égalité d’expression (et pas seulement une « liberté d’expression »), une (in)formation politique et critique ainsi qu’une diffusion massive et gratuite de l’argumentation rigoureuse revient à limiter la concentration du pouvoir dans les mêmes mains. Cette concentration médiatique et la soumission au profit publicitaire peuvent cultiver un entre-soi idéologique. C’est pourquoi la création d’un espace de publications s’extrayant complètement de ces logiques est nécessaire.
Un média critique d’opinion conçu comme un contre-pouvoir porte en effet un projet opposé mais complémentaire. Du moins, il ne nie pas d’être situé dans une société inégalitaire qu’il entend modestement transformer par son action informative. Il ne réfute pas non plus la qualité d’une certaine presse privée, sur laquelle il peut d’ailleurs s’appuyer.
Pluraliser la parole, donner à penser à travers un autre prisme, argumenter à rebours, faire un pas de côté dans une société productiviste et marchande… Toutes ces démarches ne prétendent pas détenir une vérité, « la » vérité, mais au contraire ouvrir à la critique et à la remise en question.
Élargir les perspectives du débat sociétal ne se résume pas à donner des réponses formatées, claires, univoques et dogmatiques. Les dirigeants politiques actuels se sont fait les garants de cette rhétorique de la « transparence » et de la « clarté ». Cette rhétorique dissimule une idéologie qui s’ignore : « montrer » de façon transparente annihile toute contestation possible. Contre ce pragmatisme idéologique de la transparence, il convient de proposer aux lecteurs et aux lectrices d’un média critique les outils nécessaires à la formation d’une raison politique éclairée. Celle-ci prend le temps nécessaire à l’argumentation et à la déconstruction rhétorique. Elle assume la complexité et la possible opacité des choses que l’on nous présente comme relevant du « bon sens » ou du « constat implacable » (formules on ne peut plus idéologiques).
Quel type de média voulons-nous donc proposer ?
Un média qui sort des principes de la rentabilité immédiate. Un média qui n’est pas là pour satisfaire des actionnaires. Un média qui ne se soumet pas aux injonctions de la publicité. Un média qui engage la liberté d’expression hors de l’idéologie pour qu’elle devienne accessible à tout un chacun. Un média horizontalement dirigé vers son lectorat plutôt que vers sa direction. Un média critique qui ne délaisse ni l’investigation empirique ni l’ambition de théoriser à partir d’elle. Un média enfin qui, tout en scrutant constamment l’actualité culturelle, économique, sociale et politique, privilégie un questionnement collectif et non la reconduction du prêt à penser.