TotalEnergies condamnée pour greenwashing – un pas vers la justice climatique ?

TotalEnergies condamnée pour greenwashing – un pas vers la justice climatique ?

Après trois ans de bataille juridique, le 23 octobre 2025, TotalEnergies a été condamnée par le tribunal judiciaire de Paris pour pratiques commerciales trompeuses concernant ses communications mensongères sur la neutralité carbone et la transition énergétique qu’elle prétend mettre en œuvre. Cette première condamnation est un précédent juridique majeur mais que dit-elle de la justice climatique ?

L’action en justice, initiée en 2022 par d’importantes ONG environnementales (dont Greenpeace France, Notre Affaire à Tous et Les Amis de la Terre France), dénonçait le porte-à-faux entre le discours pro-environnement de la multinationale et la réalité de ses investissements et de sa production majoritairement fossile.

À l’époque, en 2021, Total venait de se renommer TotalEnergies pour pointer son ambition d’être « la compagnie de toutes les énergies », du pétrole à l’électricité éolienne et solaire. Elle voulait changer d’image et ne plus être associée uniquement aux énergies fossiles. L’entreprise multinationale avait alors dit vouloir atteindre la neutralité carbone en respect de l’Accord de Paris, soit une réduction nette de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et nulle d’ici 2050 afin que l’augmentation moyenne de la température mondiale ne dépasse pas 1,5°C d’ici la fin du siècle. Elle vantait également le gaz comme « l’énergie fossile la moins émettrice de gaz à effet de serre », malgré son bilan climatique contesté lié aux fuites de méthane, réchauffant l’atmosphère. Le procès a démontré que TotalEnergies faisait exactement le contraire en continuant et en intensifiant ses projets d’extraction de carburants fossiles.

Une victoire totale ?

Le tribunal judiciaire de Paris a jugé, parmi les communications visées, que certaines allégations mises en ligne sur leur site, constituaient des pratiques commerciales trompeuses. En conséquence, il a estimé que les messages environnementaux de la compagnie « étaient susceptibles d’altérer le comportement d’achat du consommateur » et « de l’induire en erreur », notamment en laissant croire que la compagnie pétrolière pourrait atteindre la « neutralité carbone » en 2050 tout en continuant à augmenter sa production de pétrole et de gaz. En effet, selon Greenpeace France, les énergies fossiles représentaient en 2024 encore plus de 97 % de la production énergétique globale de TotalEnergies et près de 80 % de ses investissements…

La multinationale polluante devra verser 8.000 euros à chacune des trois ONG plaignantes pour préjudice moral, ainsi que 15.000 euros pour les frais de justice. Surtout, TotalEnergies devra retirer de son site internet les messages incriminés et publier un lien vers le jugement dans un délai d’un mois, sous peine d’une astreinte de 20.000 euros par jour. La multinationale pétrolière devra donc cesser ses allégations trompeuses. En revanche, le tribunal a débouté les associations sur les allégations environnementales de TotalEnergies concernant le gaz et les agro-carburants. Le tribunal a estimé que ces messages relevaient d’une simple communication et ne pouvaient pas être considérés comme des publicités adressées au consommateur. Le tribunal ne s’est donc pas prononcé sur leur caractère éventuellement trompeur.

Au lendemain de cette décision, TotalEnergies a annoncé qu’elle ne ferait pas appel. Le groupe se justifie par le fait que le jugement ne concerne que trois paragraphes se référant à son scénario pour atteindre la neutralité carbone et indique qu’ils « seront remplacés par une description plus factuelle de la mise en œuvre de sa stratégie multi-énergies ».

En attendant, ce verdict représente une première mondiale contre une entreprise pétrolière. Il marque une victoire significative pour le combat contre l’écoblanchiment, cette pratique marketing, aussi appelée greenwashing, qui consiste à faire croire aux consommateurs que le produit ou le service qu’ils achètent est plus écologique qu’il ne l’est réellement. Ce précédent majeur va faire date car, pour la première fois, la politique de dissimulation des responsabilités climatiques des puissants groupes pétro-gaziers a été remise en question.

Qui est la multinationale TotalEnergies ?

Créée en 1924 par l’État français, TotalEnergies est devenue au fil du temps l’une des multinationales les plus puissantes du monde. Elle est devenue la somme de trois sociétés distinctes. La Compagnie française des pétroles (CFP), tout d’abord, créée en 1924 pour gérer les concessions reçues par la France au Moyen-Orient après le dépeçage de l’Empire ottoman. Ensuite, en 2000, la CFP a absorbé la compagnie pétrolière Elf créée en 1967 par le général de Gaulle qui voulait sécuriser l’approvisionnement énergétique stratégique de la France, notamment à partir de ses anciennes colonies. Enfin, la troisième composante du groupe est belge, résultant de la fusion en 1999 avec PetroFina (Compagnie financière belge des pétroles) alors détenue par le Groupe Bruxelles Lambert (GBL), la holding des financiers Albert Frère et Paul Desmarais.

Le groupe Total développe ses activités sur toute la filière pétrolière et gazière, de l’exploration au développement en passant par la production. C’est un des plus importants producteurs de gaz naturel dans le monde. Il assure également des activités de raffinage, de distribution et de transport de produits pétroliers et de pétrole brut dans le monde entier. Présent dans 130 pays, disposant de plus de 882 filiales, le groupe fait partie des 10 premiers raffineurs de pétrole dans le monde. Plus de 98.000 collaborateurs sont employés par l’entreprise et ses filiales. Son chiffre d’affaires s’élève aujourd’hui à environ 171,5 milliards de dollars.

Actuellement, les principaux actionnaires du groupe sont des investisseurs institutionnels (comme le fonds d’investissement BlackRock), les grands salariés de l’entreprise et environ 450.000 actionnaires individuels. En 2023, année la plus chaude jusqu’alors enregistrée, TotalEnergies a annoncé le plus gros bénéfice de son histoire : 21,4 milliards de dollars, en grande partie grâce à la vente de pétrole et de gaz.

Alors que, depuis mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie démontre que l’arrêt de tout nouveau projet d’exploitation d’énergies fossiles est une condition sine qua non pour obtenir la neutralité carbone, TotalEnergies continue de déployer des infrastructures climaticides, tels le mégasite d’exploitation gazière Arctic LNG 2 actuellement en construction dans l’Arctique russe ou le développement de 400 puits de forages pétroliers en Ouganda. Greenpeace soulève ainsi plus de 33 bombes climatiques à travers le monde, liées aux investissements de TotalEnergies…

Les Nations unies et les scientifiques ont démontré que les productions de pétrole et de gaz doivent baisser de 4 % et 3 % par an d’ici à 2030 pour freiner le réchauffement planétaire. La part et la responsabilité des groupes pétro-gaziers dans le réchauffement climatique représentent un enjeu essentiel de la transition énergétique dont nous connaissons maintenant, depuis les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), toute l’extrême urgence.

Impact et conséquences de la condamnation

Dès lors, au-delà des sanctions immédiates, la condamnation de TotalEnergies est plus que symbolique. Elle établit un précédent juridique fort. Cette décision envoie un signal à l’ensemble des acteurs de l’industrie des énergies fossiles. Dorénavant, les compagnies comme TotalEnergies ne pourront plus prétendre pouvoir mettre sur un même pied d’égalité les énergies vertes (notamment l’éolien et l’énergie solaire) et les énergies fossiles (notamment le gaz et le pétrole) tout en continuant d’investir massivement dans ces dernières.

Ce qui ressemble à un petit pas dans la lutte contre le réchauffement peut aussi s’interpréter comme un bond de géant vers le respect de la justice climatique. Oxfam définit la justice climatique comme la prise en compte des questions d’équité sociale dans la lutte contre le réchauffement du climat. L’ONG postule « qu’en raison d’inégalités structurelles, la crise climatique exacerbe les injustices existantes et a un impact disproportionné sur les personnes et communautés marginalisées et discriminées. »

La crise climatique se conçoit donc comme un problème systémique et global. La résoudre implique dès lors d’importants changements « au niveau des structures sociales, politiques et économiques, afin de corriger les injustices passées et présentes. »

Partout dans le monde, le dérèglement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre amplifie des situations météorologiques extrêmes et imprévisibles qui entraînent notamment la perte des récoltes et la mort du bétail. En conséquence, des millions de personnes souffrent de la faim et sont contraintes de quitter leur foyer. Les rapports d’Oxfam démontrent que le réchauffement global et les déprédations de l’environnement ont d’abord des conséquences négatives sur les populations, et tout particulièrement sur les plus pauvres et les plus vulnérables. Ainsi, les 1% les plus riches de l’humanité émettent autant de gaz à effet de serre que 66 % des plus pauvres.

C’est pourquoi le « petit pas » de la condamnation pour greenwashing de TotalEnergies est en réalité un bond de géant. Non seulement, elle donne à l’Accord de Paris et aux rapports du GIEC une force juridique pour exiger des réductions d’émissions de CO2, mais elle crée de la sorte une jurisprudence qui force les multinationales et les États à respecter réellement leurs engagements climatiques. En pointant du doigt cette forme d’inaction climatique qu’est le greenwashing, ce jugement permet d’obliger les entreprises et les décideurs politiques à réformer en profondeur les pratiques et lois en faveur de la justice climatique.

Un procès qui nous concerne tous

C’est pourquoi Greenpeace Belgique porte une grande attention aux arrêts de ce jugement pour greenwashing car elle est elle-même engagée, depuis 2022, aux côtés de l’agriculteur belge Hugues Falys, dans une procédure juridique contre TotalEnergies. Un nouveau procès donc, lancé en mars 2024, mais qui cette fois concerne directement la responsabilité écologique de la multinationale pétrolière dans le dérèglement climatique et non une simple communication trompeuse. Mettre en lumière les mensonges de la multinationale pour ensuite l’obliger à tenir réellement ses promesses de réduction de ses émissions de CO2 est un des enjeux capitaux du Farmer Case.

Le Farmer Case est le premier procès climatique contre une multinationale de l’énergie en Belgique. Il est intenté par un agriculteur bio, Hugues Falys, et trois associations (Greenpeace Belgique, FIAN Belgium et La Ligue des Droits humains) contre TotalEnergies à cause des événements climatiques extrêmes qui ont frappé sa ferme ces dernières années et qui lui ont causé des dommages importants, notamment des pertes de rendement. De surcroît, ils dénoncent le fait que les colossaux profits de TotalEnergies sont investis dans des projets fossiles et la rémunération des actionnaires plutôt que dans une véritable et efficace transition énergétique.

C’est un procès qui nous concerne tous car, outre l’indemnisation des dommages subis par l’agriculteur, l’action en justice requiert du tribunal de contraindre TotalEnergies à sortir des énergies fossiles, sur base des objectifs de l’Accord de Paris, conformément à ses propres engagements de transition écologique.

Hugues Falys et les associations pointent le contraste saisissant entre les impacts toujours plus dramatiques du réchauffement du climat et l’inaction des gouvernements et des grandes entreprises. Alors que les mobilisations citoyennes sonnent le tocsin, faire appel à la justice s’avèrera peut-être un moyen efficace de mettre les grandes industries fossiles devant leurs responsabilités. La décision du tribunal de l’entreprise de Tournai est attendue au printemps 2026.

Pierre Vermeire
Rédacteur MaTribune.be |  Plus de publications

ARTICLES APPARENTÉS

Laisser un commentaire

Le trait d'Oli x