Analyse de quelques éléments de discours de l’Accord de coalition fédérale (2025-2029) – volet « Social »
Après avoir pointé, dans la première partie de cette analyse, le paternalisme du gouvernement Arizona, notamment à travers la métaphore du peuple-enfant en âne, il convient de porter un regard sur une autre métaphore utilisée : celle des « épaules les plus larges ». Elle dit, elle aussi, beaucoup de la vision de classes qui sous-tend l’accord des 5 partis (N-VA, MR, Les Engagés, Vooruit et CD&V).
1. Toucher aux pensions mais ne pas inquiéter les créanciers de la dette
Premièrement, il est tout à fait révélateur de noter que l’Accord de coalition fédérale met en évidence deux causes de la croissance de l’endettement : le vieillissement de la population d’une part et l’augmentation de la charge des intérêts de la dette d’autre part. Si une réforme des pensions est bien à l’ordre du jour pour répondre à la première cause, a contrario, aucune solution au deuxième facteur n’est proposée.
La réforme des pensions vise à maintenir plus longtemps les personnes au travail et à réduire les montants perçus, avec une suppression des régimes particuliers et dérogatoires. Les arguments de la transparence et de la modernisation sont une nouvelle fois invoqués pour justifier la mise à mal de droits sociaux.
La concertation sociale est également visée par ce discours de modernisation. On parle de « concertation sociale moderne ». Cette modernité fait primer l’autorité de l’exécutif sur le rôle des interlocuteurs sociaux : « Si la concertation sociale n’aboutit pas à un accord sur un dossier après une période prédéterminée et suffisamment longue, il incombera au gouvernement de décider ».
Or la concertation sociale relative aux pensions s’annonce plus que tendue. Doit-il d’ailleurs y avoir concertation ou lutte face à tant de mépris ? Sont annoncés des « corrections » (entendons des réductions), un ajustement des pensions du secteur public sur celles du secteur privé, une non prise en compte de périodes d’« inactivité » ou encore une remise en cause de la pension de survie. Les femmes seront plus durement touchées.
On aimerait autant de transparence à propos de la charge des intérêts de la dette, des créanciers bénéficiant de ces intérêts et du coût réel de ces charges, comparées au coût des pensions. Ce qui serait absolument nécessaire, c’est une mise à contribution ou, du moins une identification, des bénéficiaires des intérêts de la dette, qui constituent une charge majeure dans l’endettement public. On aurait besoin d’un audit en somme. Or, rien de tel n’est explicité ni envisagé.
À la place et comme en réponse à la pression exercée sur les classes les plus défavorisées, le gouvernement répète avec obsession que « les épaules les plus larges » portent le budget de son accord. Qu’en est-il réellement ?
2. Une métaphore virile et biologique
Cette formule métaphorique des « épaules les plus fortes » ou « épaules les plus larges » a déjà été abondamment utilisée dans les médias. Elle revient à plusieurs reprises dans l’accord (6 occurrences) afin de justifier l’« équité » de l’accord. En utilisant cette image du corps physique, de la musculature, les locuteurs transforment une inégalité de classe, c’est-à-dire créée par la société, en une inégalité de nature, qui préexisterait. Le biologique prend le pas sur le social, une manière de ne surtout pas chambouler cette inégalité et de la graver dans les lois de la nature. Certes l’inégalité est atténuée par une petite participation fiscale de ces « épaules les plus larges » (les plus forts), mais on est loin d’une réelle redistribution collective des richesses par un impôt sur leurs patrimoines, capitaux et rémunérations.
D’une part, la fiscalité sur les plus-values financières (donc sur du capital engrangé par du capital) ne touche que celles qui dépassent 1 million d’euros (taxées à 2,5 % jusque 2,5 millions d’euros). Les plus-values de plus de 5 millions d’euros seront taxées à 5 % et celles supérieures à 10 millions à hauteur de 10 %. Une tranche manque étrangement : celle comprise entre 2,5 et 5 millions d’euros. Oubli ou cynisme politique ?
Le citoyen qui bénéficie des quelque 1 à 2 % d’intérêts sur son compte-épargne se rend vite compte de la somme considérable dont il aurait besoin pour arriver à cette plus-value (en fait, il n’y arrivera jamais et il le sait). Les « épaules les plus larges » survivront à cette imposition sur leurs bénéfices financiers, elles ne risqueront en aucun cas de devenir de « maigres petites épaules ». La biologie a cette chance d’être régie par des lois qui ne changent pas structurellement.
D’autre part, le grand crédo de l’accord en matière d’emploi est l’accentuation de la différence entre le salaire minimum et l’allocation de chômage – allocation présentée comme une « inaction », jamais comme un statut nécessitant démarches et engagements, donc travail. Une volonté d’ajuster l’allocation à chaque cas particulier, à chaque situation financière et statut, est explicitée. On s’écarte un maximum des principes d’allocations et de droits universels. Pour les pauvres, en revanche, les lois peuvent changer, les toucher fondamentalement dans leur existence.
3. La méritocratie, aussi pour l’aide sociale
Alors que la métaphore des « épaules les plus larges » atténue les rapports de classe, une nouvelle discrimination sociale est construite en cherchant à distinguer les travailleurs à faible revenu des chômeurs. Il s’agit d’opposer deux catégories qui ne sont pas si éloignées sur le plan sociologique et économique. Notons que l’augmentation du salaire net inférieur se fera par une diminution fiscale, non par une augmentation du salaire brut. Cette augmentation du salaire brut aurait pu accroitre les cotisations sociales des employeurs, ces « épaules les plus larges ». Or, c’est l’inverse qui est proposé, à savoir une compensation sous la forme de déductions pour les entrepreneurs et d’un plafonnement des cotisations sociales patronales.
De manière générale, la fiscalité est allégée, ce qui contraste avec la volonté de combler le déficit de la dette. On renverra à la section « fiscalité » qui détaille une série d’allègements pour les grandes entreprises, les PME et les employeurs de manière générale. Le déficit budgétaire est pourtant le premier argument invoqué dans l’Accord de coalition fédérale pour justifier les coupes dans les structures collectives de l’État. C’est la preuve que les mesures sont idéologiques plus qu’économiques.
La dégressivité des allocations de chômage dans le temps est accentuée. Or, les mesures précédemment prises par le gouvernement Di Rupo (2011-2014) ont montré la conséquence d’un engorgement des CPAS. Leur situation financière s’est dégradée en même temps que celle des communes. Une augmentation du financement fédéral est toutefois promise aux CPAS. Mais elle sera soumise à certaines conditions de « responsabilisation » de ces derniers et à des résultats d’« intégration » sur le marché du travail de leurs bénéficiaires.
On constate qu’un vocabulaire commun, celui de l’intégration (ou de la réintégration), est utilisé tant pour le chômeur que pour l’immigré ou le malade de longue durée, tous trois étant sommés de s’intégrer ou de sortir du droit commun.
À propos des malades de longue durée, il est révélateur d’observer qu’il est majoritairement (voire uniquement) question de la réintégration du travailleur dans la chaîne du travail, assez peu (voire pas du tout) de sa convalescence et de l’accompagnement de ses soins. Les médecins jugés trop conciliants devront quant à eux être « responsabilisés » (cf. le lexique de la responsabilisation évoqué dans la première partie). Cette asymétrie sous-entend que le malade de longue durée n’est pas vraiment malade.
Cette violence symbolique est encore accentuée par la différence de traitement entre le salarié et l’indépendant, qui sera aidé « s’il n’est pas en mesure de gérer ses activités ». L’indépendant est donc, quant à lui, vraiment malade. On sent bien, notamment dans la section « Indépendants et PME : récompenser l’entrepreneuriat », toute l’admiration du gouvernement pour les indépendants, « souvent très passionnés par leur métier ». Il serait utile d’étendre cette étude sociologique fouillée aux salariés et fonctionnaires, quant à eux certainement « dépassionnés » selon la grille de lecture du gouvernement. Afin de récompenser les courageux indépendants pour leur passion, un volet de déductions et d’exonérations fiscales sera mis en œuvre.
Enfin, pour pallier la fraude sociale, les contrôles domiciliaires seront accentués. Une réelle logique de stigmatisation-punition des « tricheurs » d’en bas sous-tend l’accord de gouvernement.
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En synthèse, on reviendra sur cette stigmatisation sociale généralisée des plus précaires. On pointera le paradoxe d’un durcissement des conditions d’accès à une régularisation pour les sans-papiers et le vieillissement de la population (couplé à une baisse de la natalité). Ce durcissement s’appliquera même à des personnes ayant un contrat de travail, le député libéral Denis Ducarme l’a assumé sur les ondes de La Première le 5 février 2025. Ce dernier a par ailleurs utilisé la métaphore de la « submersion migratoire » qui est empruntée à l’extrême droite (l’accord parle quant à lui de « flux »).
Pourtant, le gouvernement invoque dans le même temps le manque d’actifs par rapport au vieillissement de la population, ce qui justifierait selon lui des coupes dans le système des pensions. Or, l’accueil de la main d’œuvre étrangère et sa participation au système de solidarité sociale seraient bien plus avantageux que les politiques coûteuses de répression migratoire. C’est bien d’une approche idéologique qu’il s’agit, autant sur le plan des pensions que de la politique migratoire.
Dans la dernière section de notre analyse, il sera question des politiques climatiques et environnementales qui ne répondent en rien aux enjeux de la surproduction capitaliste.

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