Analys­­e critique du budget wallon (partie 3/3) : Une dette qui se creuse

Analys­­e critique du budget wallon (partie 3/3) : Une dette qui se creuse

Sommaire :

Analyse critique du budget wallon (partie 1/3) : Un budget d’austérité (publié le 20/02/2025)

  1. Un budget sans vision, sauf comptable
  2. Une équation impossible
  3. Massacre à la râpe à fromage pour 268 millions d’euros, et ce n’est qu’un début
  4. Évaluation à géométrie variable

Analyse critique du budget wallon (partie 2/3) : Un déficit qui s’aggrave (publié le 24/02/2025)

  1. La contradiction fondamentale de ce budget 
  2. Besoins de financement : 4,3 milliards dont 3,3 milliards sur les marchés financiers
  3. Trajectoire budgétaire : l’éternelle illusion d’un retour à l’équilibre
  4. Absence d’explications sur les politiques qui vont concrétiser la trajectoire
  5. Solde SEC 2025, une manipulation de 1,4 milliards d’euros ?

Analyse critique du budget wallon (partie 3/3) : Une dette qui se creuse

  1. La dette continue d’augmenter malgré les mesures d’austérité
  2. Le ratio « dette directe / recettes » continue également de se dégrader
  3. Les intérêts de la dette directe : un quasi doublement en deux ans
  4. Forte augmentation du taux implicite, mais pas (encore) d’effet boule de neige
  5. Et les intérêts de la dette indirecte ?
  6. Une règle d’or budgétaire, c’est toujours non !

Comme nous l’avons montré dans les deux première parties (ici et ici), la priorité affichée de ce gouvernement serait la réduction des déficits et la maitrise de l’endettement, via des mesures d’austérité. Non seulement cette orientation constitue une grave erreur, mais elle s’avère également totalement inefficace, tant du point de vue des déficits (voir partie 2) que de l’évolution de la dette et des intérêts de celle-ci.

1. La dette continue d’augmenter malgré les mesures d’austérité

Pour rappel, la dette wallonne a fortement augmenté ces dernières années. La dette de la Région wallonne (dette directe) a plus doublé depuis 2019 : elle est passée de 12,6 milliards d’euros en 2019 à 28,2 milliards d’euros en 2024.

Malgré les efforts structurels annoncés, la dette directe va continuer d’augmenter les prochaines années pour atteindre 36,5 milliards en 2029.

Entre 2019 et 2023, la dette brute consolidée – dette de la Région wallonne + dette des unités d’administration publique (UAP) – a augmenté́ de 13,3 milliards d’euros, soit +57,2 % en 5 ans. Cette hausse globale provient essentiellement de celle de la Région (dette directe) qui a augmenté́ de quelque 100,3 % alors que la dette indirecte (dette des UAP) demeurait relativement stable (+5,7 % au cours de la même période).

La dette brute consolidée de la Région devrait passer de 38 milliards d’euros en 2024 à 41,1 milliards en 2025.

Le gouvernement déclare qu’avec les efforts structurels décidés pour les cinq années à venir, la dette à la fin 2029 devrait s’établir à 47,5 milliards d’euros. Les efforts consentis permettraient alors d’éviter un accroissement de notre dette avoisinant les 2 milliards d’euros. Cela signifie que, sans toutes ces mesures d’économies qui sont programmées, la dette se serait établie à 49,5 milliards en 2029. Et encore, c’est loin d’être sûr, cela reste des prévisions, et de nombreux facteurs, externes ou non, pourraient provoquer une nouvelle augmentation de la dette. On a envie de dire : « tout ça pour ça ? »

2. Le ratio « dette directe / recettes » continue également de se dégrader

La Cour des comptes souligne que le ratio « dette directe / recettes » va continuer à se dégrader dans les années à venir, passant de 160 % des recettes en 2024 à 190 % en 2029.

Contrairement à ce qu’il faisait ces dernières années, le gouvernement prend maintenant en compte le ratio « dette directe / recettes » et non plus « dette brute / recettes », en se fixant l’objectif d’atteindre un ratio de 180 %.

Est-ce à nouveau un moyen facile de faire apparaitre les chiffres sous un meilleur jour ?

En effet, les chiffres utilisés jusqu’alors par le gouvernement (et la commission externe de la dette) montraient un ratio « dette / recettes » passant de 200 % en 2023 à 242 % en 2029.

Par ailleurs, rappelons que cette affirmation, selon laquelle la dette deviendrait insoutenable lorsque le ratio dette /recettes dépasse 180 %, est totalement fausse et ne se base sur aucune étude ni réalité́ économique.

3. Les intérêts de la dette directe : un quasi doublement en deux ans

Les intérêts de la dette directe wallonne vont fortement augmenter au cours des années qui suivent. Ils ont déjà augmenté de 120 millions rien qu’en 2024. Ils vont doubler entre 2023 et 2025, passant de 370 millions à 605 millions en 2025.

NB : La Cour des comptes remarque également que les intérêts de la dette ont été sous-estimés de 50 millions d’euros en 2024.

Cette forte augmentation en 2025 s’explique aisément :

  • L’emprunt de 1,4 milliards d’euros arrive à échéance. Il a été contracté en 2020 à très bas taux (0,5 %). Il coûtait donc 7 millions d’euros par an en intérêts à rembourser. Il va être refinancé via un nouvel emprunt sur les marchés financiers, mais cette fois à un taux d’environ 3,5 %. Ce nouvel emprunt va donc maintenant coûter annuellement 49 millions d’euros.
  • Le déficit de 2,3 milliards sera financé par de nouveaux emprunts sur les marchés financiers. Cela va coûter annuellement 80 milliards d’euros en intérêts de la dette.

On le voit, cette tendance à l’augmentation est forte, et presque inéluctable dans le cadre de taux d’intérêts qui restent élevés. Les intérêts de la dette vont-ils devenir la première dépense de la Région wallonne, comme c’est déjà le cas en France, et empêcher la Région de répondre à ses obligations sociales et démocratiques ? N’est-il pas temps de remettre en cause ce paiement aveugle et d’affronter les marchés financiers ?  

Ajoutons que la Cour des comptes critique le gouvernement sur l’absence d’analyse sérieuse de ces évolutions : « Pourtant obligatoire, aucune analyse de la sensibilité́ des charges de la dette à une variation des taux d’intérêt et de croissance n’a été présentée dans l’exposé général du budget. La Cour des comptes relève en outre que si le risque de taux relatif à la dette existante est limité, compte tenu de son profil, d’importantes opérations de refinancement seront réalisées au cours de ces prochaines années à des conditions peut-être moins favorables[1]. »

4. Forte augmentation du taux implicite, mais pas (encore) d’effet boule de neige

Alors qu’il avait tendance à diminuer depuis de nombreuses années, le taux implicite (ratio intérêts payés/dette totale) se met à augmenter rapidement : il passe de 1,5 % en 2023 à 2 % en 2025. À l’heure actuelle, notamment du fait d’un niveau d’inflation élevé, l’effet boule de neige n’est pas encore à l’ordre du jour. Pour rappel, on parle d’effet boule de neige en économie lorsque le taux moyen implicite de la dette devient supérieur à la croissance réelle du PIB (hors inflation). Un effet d’emballement se produit alors.

Mais cet effet pourrait se concrétiser dans un avenir plus ou moins proche. Citons encore la Cour des comptes :

« En raison des taux d’intérêt historiquement bas qui ont prévalu jusqu’au début de 2022, le taux d’intérêt implicite de la dette directe régionale (soit 1,5 % au 31 décembre 2023) reste encore inférieur au taux d’inflation (4,1 % en 2023 et 3,2 % en 2024). Malgré l’existence d’un déficit important et le ralentissement de la croissance économique, cette situation permet d’éviter les conséquences néfastes découlant de l’activation de l’effet boule de neige. Cependant, le ralentissement de l’inflation, qui retomberait sous les 2 % dès 2025, combiné à la hausse probable du taux d’intérêt implicite en raison de l’augmentation des taux de référence sur les marchés financiers depuis 2022 et au maintien d’un déficit élevé, pourraient créer les conditions propices à l’activation de cet effet boule de neige[2]. »

Signalons que, même sans cet effet boule de neige, l’augmentation actuelle (quasi doublement en deux ans) est telle qu’elle doit nous alerter et nous pousser à réfléchir sérieusement à remettre en cause le paiement aveugle des intérêts de la dette.

5. Et les intérêts de la dette indirecte ?

Les intérêts de la dette indirecte sont les intérêts payés par les organismes d’intérêt public (UAP), tels que la Sofico, l’OTW etc. Ces organismes publics s’endettent et doivent donc payer des intérêts. Ces intérêts doivent être pris en compte car ils rentrent dans le périmètre consolidé du budget de la Région wallonne.

En 2022, ils s’élevaient à 331 millions (voir graphique ci-dessous). En 2023, ils ont fortement augmenté pour s’élever à 402 millions d’euros. Malheureusement, aucun chiffre n’est disponible pour les années 2024 et 2025, mais vu l’augmentation généralisée des taux d’intérêts, il est plus que probable qu’ils ont continué à augmenter.

Source : Rapport de la Cour des comptes – Projets de décrets contenant les budgets de l’année 2024 de la Région wallonne – 24 novembre 2023, https://www.ccrek.be/fr/publication/budgets-de-la-region-wallonne.

Ce montant de 400 millions d’euros payés en 2023 est interpellant. Il signifie que, pour la première fois, les intérêts de la dette indirecte dépassent ceux de la dette directe : 372 millions payés en 2023. Cela est d’autant plus interpellant qu’on parle d’une dette trois fois moins élevée (11 milliards pour la dette indirecte et 30 milliards pour la dette directe). Cela signifie donc que le taux d’intérêt moyen que les UAP doivent payer aux créanciers est trois plus élevé que les taux dont bénéficie la Région wallonne. Cela s’explique essentiellement par le fait que les UAP empruntent directement aux banques et non pas aux marchés financiers.

Ajoutons que, dans tous les cas, si on prend en compte les intérêts de la dette indirecte, nous sommes déjà en réalité à 1 milliard d’euros payés chaque année par la Région en intérêts de la dette aux grandes banques. On pourrait faire beaucoup d’investissements utiles avec un milliard d’euros par an…

6. Une règle d’or budgétaire, c’est toujours non !

Sans donner beaucoup plus de détails, le Ministre-Président a confirmé lors des débats budgétaires de décembre 2024 que la volonté́ du prochain gouvernement était d’inscrire une règle d’or budgétaire dans un décret : « la Région poursuivra l’actualisation des travaux sur la soutenabilité́ de la dette et mettra prochainement au point une règle de soutenabilité́ de la dette via un cadre décrétal[3]. »

Soyons clairs : la maitrise des déficits et de l’endettement doit faire partie des objectifs à poursuivre, mais se soumettre uniquement à cet objectif est tout sauf une bonne idée. Cela peut être un remède pire que le mal, en poussant à toujours plus d’austérité, en produisant un effet récessif, et donc en aggravant le déficit et la dette. La priorité des priorités doit être la création d’un cadre propice à un développement économique et humain solide, égalitaire et durable.


[1] Rapport de la Cour des comptes – Projets de décrets contenant les budgets de l’année 2024 et les budgets de l’année 2025 de la Région wallonne – 28 novembre 2024, p. 37, https://www.ccrek.be/fr/publication/budgets-de-l-annee-2025-de-la-region-wallonne.

[2] Loc. cit.

[3] Parlement de Wallonie – Session 2024-2025 – CRIC n° 46 – Commission des affaires générales, du budget, des relations internationales et du bien-être animal – Mardi 3 décembre 2024, p. 21, https://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2024_2025/CRIC/cric46.pdf.

Olivier Bonfond
Rédacteur MaTribune.be et économiste au Centre de coordination, d’études et de formation (CCEF) |  Plus de publications

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