Les élections locales 2024 – un test démocratique ?

Les élections locales 2024 – un test démocratique ?

Cela devait être un moment essentiel de la démocratie, dans la foulée d’un précédent choc, celui du résultat des élections législatives (fédérales, régionales et européennes) de juin 2024. Le 13 octobre dernier, les élections communales (et provinciales, là où il y en avait[1]) allaient confirmer ou, au contraire, infirmer, les résultats du printemps et donc influencer la politique au plus haut niveau, c’est-à-dire surtout au fédéral, où il fallait encore créer un gouvernement alors. Création jusque-là postposée, selon plusieurs commentateurs, dans l’attente justement du résultat des scrutins locaux. Le raisonnement était celui-ci : si les lignes tracées par les résultats globalisés bougeaient en octobre comme en juin, c’était un tournant politique qui se confirmait. Dans le cas contraire, on pouvait penser que « l’électeur » aurait eu comme un remords.

Rappel des faits et bilan électoral avec six mois de recul.

Aux communales, du local avant tout

Le soir de l’élection bien sûr, des télés aux réseaux sociaux en passant par les QG de parti on était dans le mood tremblement de terre, de « raz-de-marée » libéral (Georges-Louis Bouchez) en « vague bleue se fracassant sur le mur rouge » (Paul Magnette). Logique : en politique, il faut aussi de l’émotion après pour montrer qu’on avait eu raison de mobiliser avant.

Les communales, faut-il encore le rappeler, sont d’abord un scrutin local. Et les électeurs ne sont pas des imbéciles. Le Montois, le Namurois, le Liégeois savent très bien que dans l’intimité relative de l’isoloir, ils jugent une gestion locale. Et pas le bruit du néolibéralisme, la résurrection centriste des catholiques ou l’angoisse des socialistes devant un avatar d’union de la gauche.

Un copier-coller du 9 juin dans les provinces ?

Si on veut vraiment retrouver de quoi tracer un parallèle entre les scrutins de juin et d’octobre, c’est peut-être vers le scrutin provincial qu’il faut jeter un œil. Les provinces, importantes en termes de moyens et de compétences, sont une institution de plus en plus floue aux yeux de l’électeur et de plus en plus décriées. Les hommes et femmes politiques provinciaux sont rarement des stars, ce qui veut dire que l’effet de proximité qui influence grandement les choix au plan communal est absolument marginal.

À la limite, le scrutin provincial est encore plus « pur » de personnalisation que les votations régionales ou fédérale. D’autant que les électeurs ne sont pas non plus des girouettes et qu’il ne s’est écoulé que quatre mois entre les deux scrutins, ce qui n’est pas grand-chose…

Alors là, oui, il y a similitude et même accentuation des tendances entre juin et octobre : Les Engagés bondissent jusqu’à retrouver le score du PSC de la fin des années 70, le MR s’installe comme premier parti francophone, le PS est à son point bas depuis la deuxième guerre mondiale, le PTB est à l’étiage, Ecolo s’écrase et Défi doit être admis aux urgences de la clinique politique.

Notons aussi, pratiquement, que dans toutes les provinces wallonnes, des coalitions MR-Les Engagés, répliques des gouvernements wallon et francophone, auraient suffi  à faire une majorité, même si cela aurait été de justesse dans le Hainaut.

Le pouvoir, point-barre

Mais revenons à nos moutons, ceux du pré communal. Pour constater que ce qui s’est passé lors de la mise en place des majorités en Région wallonne[2] obéit finalement à une vieille règle de base de la politique : faire tout ce qui est possible pour arriver au pouvoir. Les états-majors des partis ont peut-être donné des consignes, mais discrètes, puisque les présidents savent eux-mêmes à quel point l’envie d’être bourgmestre (ou à tout le moins de participer au pouvoir municipal) passe au-delà du reste, y compris des grands principes. C’est que le bourgmestre est un homme puissant, et la fonction un gage de visibilité politique.

À Tournai, Ecolo n’a pas hésité à s’associer à la femme politique la plus pro-nucléaire du pays pour entrer au collège communal. À Wavre, emblème libéral, Les Engagés ont flingué le MR, leur si cher allié à la Région, pour promouvoir un vieux de la vieille à la tête d’une tripartite avec le PS et Ecolo. À Herstal, un peu battus, les socialistes ont jugé plus confortable de s’associer avec un MR certes en progrès, mais troisième parti de l’échiquier, et surtout bien plus prévisible que le PTB, arrivé deuxième. Le souffle nouveau ventera dans d’autres cieux. Et ce ne sont que trois exemples parmi d’autres…

Bien sûr, tout cela est démocratique, et même pleinement. Le vote à la proportionnelle, qui est la règle chez nous, a pour conséquence nécessaire la mise en place de coalitions qui se feront parfois contre une liste (ou un homme). Le débat est infini et les arguments dans l’un ou l’autre sens sont tous pertinents, mais le malaise perce parfois sous les accords majoritaires.

La Région wallonne avait d’ailleurs acté cet inconfort intellectuel en prévoyant, dès les élections de 2006, que le bourgmestre était automatiquement le candidat qui avait recueilli le plus de voix de préférences sur la plus forte des listes de la coalition appelée à former le collège échevinal. De même, à Bruxelles, le bourgmestre doit avoir le soutien de la majorité du conseil communal, mais aussi de la liste sur laquelle il était candidat. Et depuis ce scrutin 2024, la Flandre a mis en place un droit d’initiative qui fait en sorte que le candidat le mieux élu de la liste la plus forte est chargé de constituer une majorité. S’il échoue au bout de quinze jours, le mieux élu de la deuxième liste en importance s’y attelle et ainsi de suite.

Ces trois pistes (bel exemple de la souplesse du régionalisme en termes de proximité citoyenne) prouvent que chaque Région a voulu s’attaquer à l’impression négative que l’électeur peut ressentir lors de la mise en place concrète des majorités après le vote. L’impression de décalage entre le scrutin et ses conséquences ne doit pas être prise à la légère à un moment où les fondements politiques de la démocratie sont remis en cause.

Le droit est un devoir

Il faut ainsi se pencher sur ce qui a été la grande originalité des élections communales de 2024 : la fin du vote obligatoire en Flandre. Les Flamands n’étaient plus « convoqués » au bureau de vote, mais seulement « invités » … Et 64 % d’entre eux ont accepté l’invitation, un chiffre qui a manifestement surpris les commentateurs du Nord du pays.

C’est cette surprise qui est surprenante. Le chiffre de participation est pourtant tout à fait comparable à ce qu’il est dans d’autres pays et d’ailleurs étonnamment proche de la moyenne OCDE (ou de l’Allemagne, pour prendre un pays voisin).

Il faudra bien sûr tenter d’affiner les conséquences sur le scrutin de la fin de cette obligation (mais il n’y a pas eu anormalement de séismes locaux) et déterminer qui a séché l’isoloir. Mais à première vue, les non-participants sont comme toujours dans ce cas à chercher du côté des plus jeunes, des plus âgés, des personnes à plus faible revenu ou à plus faible niveau d’éducation.

L’occasion « grandeur nature » de rouvrir le dossier. La Belgique est un des rares pays au monde où le vote est obligatoire, mais est-ce un mal ? Le fait de voter est-il un luxe, un droit ou un devoir ? Il y a matière à débats pour l’avenir.

L’extrême droite au rapport

La Flandre était aussi scrutée pour les scores de l’extrême droite, puisque, aux dernières élections pour le Parlement flamand, le Vlaams Belang, parti clairement en rupture démocratique, avait réalisé le deuxième score, avec 22,7 %, juste derrière la N-VA (23,9 %) et loin devant le troisième, les socialistes de Vooruit (13,8 %). On s’est consolé comme on pouvait : le VB n’était pas le premier parti de Flandre, contrairement à ce que craignaient les sondages, mais…

Mais le risque était évident aux communales, même aux yeux de ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ne croient guère aux influences réciproques scrutins fédéraux/scrutins locaux. Et en fait, le Belang est arrivé en tête seulement dans deux communes, Ninove et Denderleeuw. Dans la première, une personnalité locale, Guy D’Haeseleer (qui promet de foutre les francophones venus de Bruxelles hors de sa ville) a mené une campagne massive et a convaincu une majorité absolue d’électeurs de lui donner le mayorat, qu’il exercera sans le soutien d’autres partis[3]. À Denderleeuw, le VB est arrivé en tête, mais sans majorité absolue. Bénéficiant du « droit d’initiative » évoqué plus haut, il n’a finalement pas trouvé d’allié et restera dans l’opposition.

Restent les communes de Brecht, Izegem et de Ranst, qui illustrent parfaitement que les grands principes sont peu de choses face à l’attrait du pouvoir. Dans les trois cas, le VB a été associé à la majorité, rompant ainsi ce qu’on appelle le « cordon sanitaire », à savoir un « accord politique conclu entre partis démocratiques pour empêcher toute participation au pouvoir de partis d’extrême droite », comme le définit le Crisp dans son Vocabulaire Politique.

Que tout cela se passe dans de petites communes, pour des questions mesquines de politicaillerie locale, ne doit pas faire baisser le niveau de vigilance. La vraie leçon est que le VB devient lui aussi capable d’être un parti de proximité au plan local.

En Flandre, il reste six années pour empêcher qu’il n’y ait d’autres Ninove, avec un constat simple : la réponse démocratique à ce défi n’est toujours pas trouvée. Que fera la Flandre si en octobre 2030 une vingtaine de communes basculent, interdisant désormais tout retour en arrière et enterrant pour de bon le cordon sanitaire ?

Autosatisfaction

L’absence de réponse adéquate aux défis de l’actuelle fièvre de la démocratie apparaît aussi du côté francophone. Chacun des partis a mis de côté les constats locaux pour se persuader que les stratégies en cours sont, pour chacun d’eux, les bonnes. Une vieille ficelle post-électorale, il est vrai…

Le MR voit dans les résultats des deux suffrages la confirmation que le renouveau libéral passe par une radicalisation du discours. Les Engagés concluent de ces mêmes résultats que le renouveau de l’ancien PSC passe par l’accentuation du centrisme, un projet qui était déjà celui de Gérard Deprez, président de ce parti de 1981 à 1996. Et voilà mariés le feu et l’eau. Chacun sa part.

Le PS fait l’analyse que les communales montrent que le pire est passé et qu’une simple cure d’opposition sera un antibiotique suffisant. Ecolo se console en cherchant à se convaincre que le yo-yo est une pratique politique alternant sanction au pouvoir et régénération par l’opposition. Le PTB enfin montre (à Bruxelles) qu’il est prêt au pouvoir, mais conserve l’argument politique selon lequel « on » (le PS) l’empêche d’y aller vraiment là où il a tout son poids, dans ses bastions autour de Charleroi et de Liège. Le front de gauche n’est pas né, mais c’était impossible, n’est-ce pas, puisque c’étaient des élections locales… Chacun chez soi. Et évitons les remises en cause.

Politiquement, en Wallonie en tous cas, PS et PTB ne sont pas encore mûrs pour une alliance. Ils se regardent en adversaires électoraux sans encore envisager qu’ils puissent se grouper « demain pour que l’Internationale soit le genre humain ».

Bien sûr, il y a eu un accord de participation à Mons entre le PS, le PTB et Ecolo, mais on ne doit même pas penser qu’il s’agit là d’une exception dans le paysage politique. C’est en réalité une combinaison de l’arithmétique électorale (le PS avait besoin d’un appoint de sièges pour décrocher la majorité au conseil communal) et de la stratégie de la hargne développée par Georges-Louis Bouchez, président du MR et tête de file libérale à Mons : il était humainement inimaginable que Nicolas Martin, devenu depuis mayeur PS, s’associe aux Bleus après s’être fait traiter de tous les noms les plus fleuris pendant des mois.

En 2024, le juin politico-électoral a certes été un peu secouant, mais octobre semble finalement bien plan-plan. Confortés dans leurs certitudes qui sont aussi leurs souhaits, les partis ont vite repris leurs habitudes. Ce n’est pas ça qui va redonner du lustre à une démocratie qui est désormais plus menacée qu’elle n’est défendue. La prochaine fois, peut-être ?


[1] Rappelons qu’on ne vote plus pour un Conseil provincial dans les 19 communes de la Région de Bruxelles-Capitale.

[2] Alors que le cas communal schaerbeekois a enfin trouvé sa résolution en mars dernier, l’exécutif régional bruxellois attend toujours…

[3] Si l’enquête ouverte sur une possible fraude électorale ne rebat pas les cartes.

Fabrice Jacquemart
Journaliste, retraité de Form'action André Renard |  Plus de publications

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