Quelles conséquences des droits de douane américains sur la Belgique et la Région wallonne?

Quelles conséquences des droits de douane américains sur la Belgique et la Région wallonne?

(Dossier sur la nouvelle guerre commerciale)

Dans le domaine de la politique commerciale, la présidence de Donald Trump marque un tournant décisif. En imposant des droits de douane au monde entier, l’administration Trump a pour objectif de redéfinir les règles du commerce mondial à l’avantage exclusif des États-Unis. Va-t-elle y arriver ? Difficile de le dire, tant les inconnues restent nombreuses à ce stade. Mais ce qui est sûr, c’est que cette politique commerciale agressive comporte des risques et a déjà de nombreuses conséquences socioéconomiques, tant aux États-Unis que dans le reste du monde.

Dans ce dossier, nous faisons un tour d’horizon de ces risques et conséquences, en répondant chaque fois à une question précise.

Question 1 : est-il vrai que les droits de douane actuels sont les plus élevés depuis 100 ans ?  

Question 2 : De décisions en rétropédalages, où en sont les droits de douane aux États-Unis ?

Question 3 : quelles sont les conséquences des droits de douane américains sur l’économie mondiale et européenne ?

Question 4 : quelles sont les conséquences des droits de douane américains sur l’économie des États-Unis ?

Question 5 : quelles conséquences des droits de douane américains sur la Belgique et la Région wallonne ?

La Belgique est, comme les autres pays européens, susceptible d’être négativement impactée par les mesures protectionnistes décidées par Washington : avec environ 28 milliards d’exportations belges vers les États-Unis (7 milliards pour la Région wallonne) le poids économique du marché américain est loin d’être marginal. Si le secteur pharmaceutique, qui domine ces échanges, bénéficie, pour l’instant, d’exemptions, d’autres secteurs, comme l’agroalimentaire, la métallurgie, mais aussi la bière en canettes (cf. infra), sont directement exposées. Les entreprises pourraient voir leurs parts de marché réduites, avec des conséquences sur l’activité, l’emploi, le prix des biens en Belgique, …

Avant d’aborder ces points, commençons d’abord par donner un aperçu du commerce extérieur belge et wallon.

1. Aperçu synthétique du commerce extérieur belge et wallon

1.1. Au niveau belge

  1. Comme on le dit souvent, la Belgique est un petit pays très « ouvert » : elle exporte pour environ 500 milliards chaque année, soit presque autant que son PIB (600 milliards). Elle importe pour un peu moins : 475 milliards (graphique 1).
  2. Plus de 75 % de ses exportations (381 milliards en 2024) se dirigent vers d’autres pays européens (graphique 2).
  3. La Belgique a exporté 28 milliards d’euros vers les États-Unis en 2023, ce qui en fait son 4ème client pour les exportations belges (7,6 % des exportations belges de marchandises) (graphique 3).
  4. La Belgique exporte principalement des produits pharmaceutiques (plus de 50 %) vers les États-Unis.

Graphique 1 : Exportations & importations belges 2024 (2023)

Source :  Agence pour le commerce extérieur

Graphique 2 : Destination des exportations belges par continent

Source :  Agence pour le commerce extérieur

Graphique 3 : Destination des exportations belges par pays

Source : SPF économie

1.2. Au niveau wallon

  1. La Wallonie a exporté 64 milliards d’euros de marchandises[1] en 2023, dont 54,5 milliards (85,6 %) vers les seuls pays européens. (graphique 4)
  2. La Wallonie a exporté pour 6,8 milliards d’euros vers les États-Unis en 2024 (12 %), ce qui en fait son troisième partenaire en termes d’exportations[2].
  3. La Wallonie exporte principalement des produits chimiques et pharmaceutiques vers les États-Unis (74 % du total des exportations vers les Etats-Unis). Les machines et équipements mécaniques, électriques et électroniques viennent en deuxième position (9 % du total des exportations vers les États-Unis). (graphique 5)
  4. Les Etats-Unis se situent au 6e rang dans le classement mondial des fournisseurs de la Wallonie, derrière l’Italie, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suisse et la France. Relativement à ses exportations, la Wallonie n’importe pas énormément de biens en provenance des États-Unis : en 2023, elles se sont élevées à 1,7 milliards d’euros, soit 4,2 % du total wallon importé (42 milliards).

Graphique 4 : Destination des exportations wallonnes par continent

Source : IWEPS

 Graphique 5 : Exportations wallonnes vers les États-Unis par secteur

Source : AWEX

2. Impacts macroéconomiques globaux

Comme nous l’avons montré dans la question 3 de ce dossier, cette guerre commerciale va avoir des impacts macroéconomiques à différents niveaux : contraction économique, inflation, risques financiers, augmentation de la dette publique, … La Belgique et la Région wallonne ne sont évidemment pas immunisées contre ces risques.

2.1. Impacts directs : diminution des ventes vers les États-Unis

Ces nouvelles taxes imposées par l’administration Trump (25 % sur l’acier, l’aluminium et les voitures, 10 % sur tout le reste) vont augmenter le prix des biens wallons qui sont consommés aux États-Unis et donc les entreprises wallonnes pourraient perdre en compétitivité sur le marché américain, voire perdre des parts de marché, avec des éventuelles conséquences directes sur l’emploi.

Mais cet impact doit être nuancé pour la Belgique en général et pour la Région wallonne en particulier, car les produits pharmaceutiques sont pour l’instant exemptés, or ils constituent l’essentiel des biens exportés vers les USA (cf. supra).

Certains secteurs seront néanmoins réellement touchés, comme l’agroalimentaire, les machines et équipements, l’acier, mais aussi les bières… En effet, c’est largement passé inaperçu, mais les droits de douane imposés par les États-Unis en ce qui concerne les bières, conditionnées en canette, ont été portés à 25 %, au lieu des 5 % précédemment appliqués. Comment cela est-il possible ? Cette augmentation s’inscrit dans le cadre des droits de douane sur l’aluminium, étendus aux canettes de boisson, en tant que produits dérivés de l’aluminium. La Belgique, en tant que grand exportateur de bière en Europe, mais aussi aux États-Unis, est particulièrement touchée par cette mesure.

2.2. Impacts indirects : diminution des ventes vers l’Allemagne

De nombreux sous-traitants wallons ont leurs clients en Allemagne, qui exporte beaucoup de produits vers les États-Unis. Une baisse des exportations de l’Allemagne vers les États-Unis pourrait réduire la demande pour les produits et services wallons, notamment dans les secteurs de l’automobile et de la chimie. 

2.3. Impact sur l’inflation. Les prix vont-ils augmenter en Belgique ?

Il est très difficile de le prévoir à ce stade car cela va dépendre de plusieurs facteurs :

  1. La réponse que donnera l’Union européenne en termes de droits de douane réciproques au cours des prochaines semaines et prochains mois. Si elle répond par des nouveaux droits de douane, l’inflation augmentera quasiment de manière certaine.
  2. Les entreprises exportatrices pourraient décider de répercuter une partie des impacts négatifs de leurs exportations sur le prix des produits en Belgique, afin de récupérer une partie de leurs marges.

Prenons l’exemple de la bière belge

Les droits de douane sur la bière, traditionnellement vendue en cannettes aux États-Unis, sont maintenant fixés à 25 %. 

  • Soit les exportateurs de bière continuent à vendre la même quantité. Ce sont alors les consommateurs américains qui sont impactés via une hausse des prix. Dans ce cas, le chiffre d’affaires du producteur de bière belge n’est pas impacté et il n’y a pas de raison que les prix augmentent en Belgique.
  • Soit les exportations de bière diminuent, et alors le chiffre d’affaires diminue. Que feront les entreprises belges ? Augmenter leurs parts de marché dans d’autre pays ? Sans doute mais cela ne se fait pas en un claquement de doigt. Assumer cette perte sans réagir ? C’est peu probable. Pour récupérer leur marge, elles pourraient décider d’augmenter le prix des bières en Belgique et ailleurs. Ce n’est pas une obligation, mais elles sont libres de le faire, notamment parce qu’il n’y a pas de contrôle sur les prix. Autre possibilité, elles pourraient décider de diminuer leurs coûts, en restructurant ou en diminuant la masse salariale (en licenciant ou en réduisant les salaires).
  1. Les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement (comme cela s’est produit durant le coronavirus) pourraient entraîner une hausse des prix dans leur sillage.
  1. On pourrait également assister à une augmentation des pratiques de Greedflation (augmentation opportuniste et abusive des prix), comme cela s’est passé lors de la phase d’inflation en 2022. Le risque est grand que toute une série d’entreprises décident d’augmenter leurs prix de manière totalement opportuniste uniquement pour augmenter leurs profits. Elles le feraient en misant sur le fait que le consommateur s’attend à une augmentation du prix, et en mettant cette augmentation sur le dos de Trump, alors que c’est juste l’appât du gain qui justifierait cette augmentation. Ce serait de l’arnaque. Il faudra être attentif à cela dans les prochains mois

2.4. Afflux de produits chinois sur le sol européen et belge ?

Une idée qui circule encore largement, malgré la récente désescalade entre les États-Unis et la Chine, est que cette dernière pourrait rediriger ses surplus vers l’Europe[3], notamment dans des secteurs comme la sidérurgie, la chimie de base et les pièces automobiles, exacerbant la pression sur les industries européennes[4]

Si cette menace existe, elle doit être relativisée.

Premièrement, parce que la Chine s’est largement diversifiée et que ses exportations vers les États-Unis ont diminué ces 10 dernières années. La Chine exporte actuellement environ 450 milliards de dollars par an vers les États-Unis. Cela représente 2,6 % du PIB européen. Ce n’est donc pas si énorme et l’idée d’une inondation du marché européen est exagérée.

Deuxièmement, parce que l’UE dispose de leviers pour atténuer cette menace. Les mesures réglementaires, les normes strictes et les initiatives de diversification des approvisionnements sont autant de facteurs qui peuvent limiter l’impact de cette concurrence chinoise.

2.5. Délocalisation d’entreprises et fuite des capitaux vers les États-Unis?

Ces dernières semaines, on a entendu de grands patrons – comme le milliardaire Bernard Arnaud – mais aussi de grandes entreprises actives notamment dans le secteur pharmaceutique menacer de délocaliser leurs entreprises ou leurs investissements si on ne les « chouchoute » pas plus.

Ce risque existe mais doit également être nuancé, en particulier depuis qu’il devient de plus en plus clair que les politiques de Donald Trump comportent de nombreux risques, provoquant une perte de confiance dans le dollar et dans l’économie américaine. Un article récent de l’Écho montrait d’ailleurs que les investissements en Europe ne diminuaient pas, au contraire : « Les décisions de Trump ont accéléré les investissements en Europe. »

En guise de conclusion

Cette guerre commerciale comporte donc des risques économiques et sociaux bien réels pour l’économie européenne, belge et wallonne. Ce qu’il va se passer dans les semaines et mois à venir sera crucial. Si répondre en faisant la même chose (c’est-à-dire en imposant des droits de douane généralisés et réciproques) semble être tout sauf une bonne idée, l’Union européenne ne peut rester sans rien faire, se soumettre et espérer de la bonne volonté de la part de Washington. Elle dispose par ailleurs d’outils pour défendre ses intérêts : renforcer des collaborations avec d’autres partenaires commerciaux, développer une réelle politique de souveraineté économique, taxer les Gafam, ou encore imposer des mesures fortes en matière de normes environnementales.


[1] Ces exportations ne couvrent que les échanges internationaux et ne recensent donc pas les échanges entre les régions belges. Dans ce cas, on parlerait de flux inter-régionaux plutôt que d’exportations.

[2] Les exportations wallonnes vers les États-Unis ont augmenté en 2024 : elles sont passées de 6,1 milliards en 2023 à 6,8 milliards en 2024, soit une augmentation de 12 %. Cette augmentation est essentiellement due aux produits pharmaceutiques : +32,8 %. 

[3] Selon les statistiques officielles de Pékin, les exportations chinoises vers les États-Unis ont baissé de 12,7 % en mai par rapport à avril.

[4] Cela s’est d’ailleurs déjà produit par le passé en sidérurgie sous Bush (2002). Pour protéger son marché intérieur de l’acier, l’ancien président républicain avait introduit des quotas et droits de douane durant 3 ans sur les importations d’acier sur le sol américain. Cela avait provoqué un renvoi des exportations de brames russes – un produit sidérurgique – à bon marché vers les marchés européens, mettant en difficulté les entreprises sidérurgiques européennes, et notamment belges et wallonnes.

Olivier Bonfond
Rédacteur MaTribune.be et économiste au Centre de coordination, d’études et de formation (CCEF) |  Plus de publications

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