
La grande idée clarinvalesque absolument vitale pour notre économie : augmenter les plus hauts salaires du privé en rabotant leurs cotisations patronales…
Il y en a qui ont quand même bien plus de neurones que nous. Et qui s’en servent beaucoup, beaucoup mieux que nous. Un beau jour, dans le cerveau d’un ministre du gouvernement Arizona s’est produit un truc. Une fulgurance. Ce ministre a dit aux autres ministres : hé les gars et les gattes, j’ai une idée pour améliorer la vie des Belges, qui est quand même notre mission première. Écoutez-moi ça : on doit absolument donner la possibilité aux patrons et aux gros cadres des entreprises qui ne gagnent « que » 30.000 euros par mois d’augmenter leur salaire ! Et les autres, ébahis par tant de clairvoyance, ont tous répondu en chœur : oh ouais, bonne idée ça, c’est que dalle 30.000 boules par mois !
Alors tous les ministres autour de la table ont décidé que, dès ce 1er juillet 2025, les entreprises privées ne paieraient plus de cotisations patronales sur les tranches au-dessus d’un salaire brut de 340.000 euros par an. Oui parce que jusqu’ici, scandaleusement, les entreprises devaient verser à l’État 25 % de cotisations patronales sur la totalité du salaire brut. Maintenant, pour ce qui dépasse ces 340.000 boules, c’est zéro coti. Et comme les patrons et cadres supérieurs sont ceux qui décident de leurs salaires, ah ben leur entreprise a pu les augmenter. Et voilà ! Justice salariale est faite.
Le cerveau qui a inventé ce truc appartient à David Clarinval. Qui n’est pas que le ministre de l’Emploi tout binauche d’envoyer 180.000 chômeurs à la casse sociale. Il est aussi ministre fédéral de l’Économie. Et à ce titre, comme il est ministre MR, c’est normal qu’il aide les entreprises à mieux fonctionner. Surtout les PME, qui emploient 99 % des travailleurs du privé en Belgique. Donc il booste la compétitivité des entreprises en retenant ses plus précieux talents qui, sinon, fileraient ailleurs. Ah vous ne saviez pas ? Un patron mieux payé, ça fait augmenter la compétitivité (de son personnel). Si, c’est automatique, qui dit Clarinval.
Petit souci auquel le Cerveau n’avait peut-être pas songé : aucun patron ou cadre supérieur d’une PME ne touche plus 340.000 boules par an. Ou très rarement. Et donc ? Eh bien ce plafonnement profitera uniquement aux plus grosses boîtes, voire aux grands groupes dont les (très hauts) salaires sont déjà alignés sur la concurrence étrangère. Ça ne concerne potentiellement que 1.500 patrons et cadres (très) supérieurs. Essentiellement ceux des entreprises du « Bel MID » : celles qui sont cotées en bourse mais sans faire partie des vingt plus grandes (le Bel 20). Où ils gagnent combien, déjà ? Pour un CEO de ce Bel MID, la rémunération médiane de base (donc hors bonus, actions, assurance pension complémentaire, bagnole, etc.) est de… 722.000 euros par an. Donc 382.000 euros au-dessus des 340.000 nouvellement plafonnés en cotisations. Avant, son entreprise payait 180.500 euros de cotisations sur son salaire, maintenant elle ne verse plus que 85.000. Et le CEO pourra donc s’augmenter de… 95.500 euros par an si ça le chante. Avec un tel plafonnement de cotisations sur leurs (très hauts) salaires, ces (grosses) entreprises payeront en moyenne 15,7 % de cotisations patronales en moins.
Cotisations qui servent à quoi, au fait ? Ah oui : à financer la sécurité sociale. Qui, nous disent les mêmes beaux cerveaux arizoniens, est dans un état de délabrement financier avancé. Et qui donc nécessite « les efforts de tous ». Or cette opération Saint-Nicolas pour les CEO fera un trouloulou de 75 millions dans la sécu en 2026. Et comme en 2027 il est prévu d’encore rabaisser le seuil à 270.000 euros bruts/an, ça fera des tas de millions d’euros de cotisations qui n’entreront pas dans les caisses de la sécu. Chaque année. Tout ça devrait ravir la clientèle du MR. Comme les petits indépendants martelés de cotisations sociales. Comme aussi les dirigeants des petites entreprises, qui eux payent toujours 25 % de cotisations sur la totalité des salaires, y compris le leur. Pour financer la sécu, justement.
Mais un peu de patience, que diable ! Avec les autres cerveaux de l’Arizona, The Brain a aussi prévu pour bientôt une baisse des charges des entreprises sur leurs bas salaires. Et pour 900 millions d’euros par an, dites donc ! Donc on résume ce qui se passera à partir dès 2026 : un cadeau à 75 millions pour 1.500 très hauts revenus (soit pour la sécu 50.000 euros de « non-recette » par tête) contre 900 millions à répartir sur des centaines de milliers de travailleurs à bas revenus… Très équitable.
Au cabinet du Cerveau, on admet quand même que « pour le travailleur, ce plafonnement des cotisations patronales n’a pas d’impact direct ». On avait subodoré. Mais, mais ! Par une sorte d’effet ricochet partageur, cette mesure « pourrait toutefois permettre d’augmenter les salaires des travailleurs ». La fameuse théorie du ruissellement : tu arroses les gros et les petits en profitent aussi. Ce qui ne s’est jamais produit dans l’histoire de l’humanité. Mais ici ça devrait, semble-t-il. Juste pour vérifier, je lance donc un appel : est-ce qu’un seul gentil patron d’entreprise bénéficiant de cette exonération de cotisation inventée par The Brain a augmenté les salaires de son personnel depuis le 1er juillet ? Ou compte bientôt le faire ? J’attends… Allo ? Y’a quelqu’un ? Houhou ! Tiens, personne.
Mais là n’est pas l’essentiel. L’important, pour le Cerveau de notre économie, c’était avant tout « de rester attractif aux yeux des investisseurs nationaux ou internationaux dans un monde toujours plus concurrentiel et de conserver les talents de notre pays pour des profils hautement qualifiés ». Éviter une fuite de ces précieux cerveaux, en somme. Et ça, il sait comment on fait, David. Pour conserver le sien, de cerveau, ainsi que ceux des quatorze autres ministres au sein du gouvernement, il a fallu rendre la fonction ministérielle « attractive ». Raison pour laquelle, très probablement, les quinze ministres fédéraux se sont auto-octroyé, en plus de leur salaire à 11.000 euros nets, une petite « indemnité de logement et de frais domestiques » de 1.932 euros non fiscalisés, et soumise à aucune justification. Ceci alors que la plupart peuvent se loger gratuitement dans leur cabinet à Bruxelles. Tout en conservant son indemnité, David Clarinval jouit même d’un bel appartement payé par la Régie des bâtiments. Peut-être parce qu’il est le cerveau le plus précieux du gouvernement.

Vincent Peiffer
Après 40 ans au Moustique, Vincent rejoint l’équipe de MaTribune.be pour mettre son grain de sel dans notre si beau monde. Où, à part ça, tout va bien…