Après les sous-pensionnés, les sous-malades de longue durée, les sous-accidentés du travail, voici les sous-sportives de l’Arizona…
Le Sénat, ça coûte gros bonbon. Pas loin de 60 millions de patates par an. Et on n’a jamais trop bien su à quoi ça servait, au juste. À pas grand-chose, disait-on quand on n’y était pas. Puis il devenait subitement très utile quand, parfois faute de mieux, on y entrait. En y touchant bien évidemment le (confortable) salaire de sénateur·rice. Comme GLB qui, en 2019, s’y consolait d’un énième échec électoral en devenant sénateur « coopté » (donc non élu, mais désigné par son parti). Notez qu’en tant que coopté, le garçon ne percevait qu’un demi-salaire sénatorial. Ce qui était déjà énorme au vu de sa présence dans les locaux.
Tout ça pour dire que vous avez là un vieux con – moi – assez partagé sur l’utilité d’un Sénat. Parce que ce même schnock fut jadis ravi de son existence. Parfois, entre deux séances intensives de bâillements, on y réfléchissait. Pas vite, mais c’était tant mieux. Nos 60 sénateur·rices écoutaient des expert·es, phosphoraient de manière pondérée, moins partisane, plus attentive au bien commun. L’exact contraire de l’hystérie particratique de la Chambre, où les député·es jouent à qui sera le ou la plus outrancier·ère du cheptel. C’était donc là, au Sénat, qu’on abordait les délicats sujets « éthiques ». Et c’est ainsi que la remarquable loi de dépénalisation de l’euthanasie a pu être élaborée, puis adoptée en 2002. La Belgique, juste après les Pays-Bas, devenait pionnière. En 2014, elle sera même la première au monde à étendre la loi aux mineurs. Toujours grâce au Sénat.
Ce préambule assez peu guilleret pour constater que ça, c’était avant. Parce que là, c’est tout bien plié et rangé dans la naphtaline. Un indice ? Pas plus tard que la semaine dernière, le Sénat se penchait sur une résolution qui, normalement, devait passer crème. En Commission de l’Égalité des Chances était discutée une proposition portée par deux sénatrices PS, et qui visait à « promouvoir l’égalité des genres dans le sport ». C’est-à-dire que quoi qu’est-ce ? Rien que du basique : tendre à une égalité salariale entre sportives et sportifs, à une meilleure médiatisation du sport féminin pour un accès équitable au sponsoring, à une parité dans les instances sportives de décision, à une lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde du sport. Le babebibobu. Et c’était juste une « résolution ». Un objectif vers lequel tendre. Donc rien de coercitif. La base de la base de la base, donc, question respect et droit des sportives.
Arriva le vote. Et c’est là qu’on s’agrippe à son siège : les sénateurs (et sénatrices !) de l’Arizona ont tous·tes rejeté l’affaire ! Houlàlà, mais c’est bien trop progressiste, ça, l’égalité des genres ! Respecter les droits de nos sportives comme ceux de nos sportifs ? Vouloir protéger les jeunes sportives de prédateurs sexuels et leur éviter des violences ? C’est limite ultra-féministe, comme truc ! Si pas wokiste à mort ! Vade retro satanas, bande de sportives bobos islamo-gauchistes ! Et donc, ahurissant, la proposition a été rejetée par les sept voix du MR, des Engagés, de la N-VA et du CD&V (dont celles de femmes !) contre trois voix « pour » venant du PS et d’Ecolo, et une abstention (une cooptée des Engagés). Les sénatrices libérales étaient « excusées » le jour du vote. Avec ou sans certificat médical de complaisance ? On ne sait pas. Mais on a bien compris la stratégie politique : surtout ne pas soutenir une proposition de l’opposition. Jamais ! Quelle qu’elle soit. Et même si c’est indigne.
Et donc ? Résultat ? Vous avez bien entendu le message qui vous est adressé, les filles ? Nafissatou Thiam est triple championne olympique et meilleure athlète belge de tous les temps. Eh bien, Nafi, voilà ce que te disent nos dignes sénateurs et sénatrices arizoniens : tu n’es qu’une sous-sportive, comparée aux mecs. Les Belgian Cats, championnes d’Europe en titre ? Des sous-basketteuses. Les Red Panthers ? Des clettes du hockey. Et sur ton vélo, Lotte Kopecky, tu n’as produit que des sous-efforts pour gagner trois Tour des Flandres, un Paris-Roubaix et deux fois le Championnat du Monde. D’ailleurs rétrospectivement, Justine Henin et Kim Clijsters, sachez que vous n’étiez que des sous-talents du tennis mondial. Quant aux gamines qui rêvent de pratiquer leur sport sans être tripotées et/ou brutalisées par un entraîneur, eh bien il faudra vous y faire. Vu ? Les partis de l’Arizona peaufinent donc leur concept de « valeur travail » et de méritocratie « choisie ». Après le « t’avais qu’à pas avoir un cancer » et le « t’avais qu’à pas avoir un accident de travail » pour ta pension ou ton chômage, voici donc le déjà très utilisé « t’avais qu’à pas être une femme », mais appliqué au monde du sport. On progresse.
Vincent Peiffer
Après 40 ans au Moustique, Vincent rejoint l’équipe de MaTribune.be pour mettre son grain de sel dans notre si beau monde. Où, à part ça, tout va bien…
