Matteotti et nous

Matteotti et nous

En organisant le Congrès statutaire de l’IRW-CGSP les 30 et 31 mai 2024, nous n’avions pas à l’esprit que cette date correspondait, à cent ans près, à celle du dernier discours du député Giacomo Matteotti devant le Parlement italien. C’est la Camarade Anne Morelli, professeure honoraire d’Histoire à l’Université libre de Bruxelles (ULB), qui nous l’a rappelé alors que nous l’avions invitée à nous parler de la naissance du fascisme et de Giacomo Matteotti pour élaborer nos résolutions destinées à renforcer la lutte syndicale contre l’extrême droite[1].

Car le député socialiste italien était un farouche antifasciste. Peu de temps après ce dernier discours où il révélait les violences et les corruptions du gouvernement Mussolini, Matteotti est enlevé et assassiné le 10 juin 1924 par les squadristes. À lui seul, ce meurtre prouve tout ce que Matteotti dénonçait. L’onde de choc est telle que l’aura du député socialiste dépasse les frontières de l’Italie pour devenir un symbole international de la lutte antifasciste[2].

À cette date, le fascisme, qui se voulait gardien de l’ordre, se révèle pour ce qu’il est : une sanglante tyrannie ! C’est ce qu’a voulu rappeler le Centre d’Histoire et de Sociologie des Gauches (CHSG) de l’Université libre de Bruxelles (ULB) en organisant, à l’initiative du professeur Morelli, le 5 juin 2024, une journée d’études précisément dénommée « Il y a 100 ans, le fascisme italien dévoilait son vrai visage : L’assassinat le 10 juin 1924 de Giacomo Matteotti, député socialiste ».

La plupart des intervenants de ce colloque signent les textes repris dans ce Cahier de l’IRW. Je tiens à les en remercier.

Ce Cahier de l’IRW s’appelle « Matteotti et nous ». Car l’éclairage intense que ses rédacteurs projettent sur cette période sombre nous permet de prendre conscience de la pleine actualité des enjeux qui tentent de se renouer. Ils nous alertent de la même manière que Matteotti sonnait le tocsin, le Campane a stormo, sur la nature profonde du fascisme qui est de tendre vers le contrôle absolu de la société. Matteotti a donné sa vie pour que nous n’ayons plus à perdre notre liberté. Son assassinat, le 10 juin 1924, est le point de bascule du régime. Les masques tombent, le peuple doute, des intellectuels comme Benedetto Croce se détournent de Mussolini, le pouvoir vacille. Le 27 juin, 127 députés d’opposition refusent de siéger et se retirent dans une salle voisine du Parlement.

Cette « sécession de l’Aventin[3]» voulait porter l’estocade au fascisme mais la division ronge l’opposition qui n’arrive pas à obtenir du roi Victor-Emmanuel III l’arrestation de Mussolini. Fragilisé, mais en l’absence de réelle opposition, Mussolini se réorganise et contre-attaque. Le 3 janvier 1925, celui qui se fait appeler Le Duce, annonce au Parlement assumer toutes les responsabilités des actes passés et se présente comme le seul garant de la stabilité du pays. Il retourne la situation et durcit le régime. En quelques mois, Mussolini édicte les tristement célèbres lois fascistissimes qui marquent le passage à la dictature et l’établissement du premier totalitarisme.

Aujourd’hui, les fascistes et leurs idées reviennent. Ils portent à nouveau le costume et la cravate. Une fois encore, ils prétendent incarner l’ordre et la stabilité dans un monde en crise permanente. Sans vergogne, les partis d’extrême droite actuels ne supportent pas d’être assimilés au fascisme d’où pourtant ils proviennent tous. Nous sommes là pour le leur rappeler ! Autant Mussolini a-t-il tout fait afin que le mot « antifasciste » disparaisse du vocabulaire, autant nous le prononçons fièrement à chaque fois que nous dénonçons l’intrusion du populisme dans le langage politique, à chaque fois que l’Histoire est manipulée, niée, relativisée, révisée, à chaque fois que nous fustigeons le laxisme envers le cordon sanitaire, à chaque fois que nous affrontons les rassemblements d’extrême droite partout où ils se tiennent encore !

« Matteotti et nous » concrétise cette promesse faite lors de notre Congrès de « préciser les enjeux, analyser les discours, rappeler l’histoire et appeler à lutter pour le monde meilleur que nous voulons. »

Je remercie toutes celles et tous ceux qui y contribuent activement.

Patrick LEBRUN, Secrétaire général de l’IRW-CGSP

SOMMAIRE du Cahier III de l’IRW

MATTEOTTI & NOUS

04 / Préface – Matteotti et nous – Patrick Lebrun

06 / Pourquoi on DOIT se souvenir de Matteotti – Anne Morelli

08 / Le plus grand martyr de l’antifascisme ? – Pierre M. Delpu

12 / Le souvenir de Giacomo Matteotti à l’étranger – Giacomo Colaprice

16 / Unité d’action pour Matteotti dans la presse anarchiste italienne en exil (Paris, 1924) – Isabelle Felici

20 / Le culte de Giacomo Matteotti chez les socialistes belges – Joffrey Liénart

24 / L’attitude des communistes belges face à l’assassinat de Giacomo Matteotti – François Belot

28 / Les évocations de la figure de Matteotti dans la presse de la Commission syndicale (1924-1939) – Francine Bolle

34 / La mémoire de Matteotti en Italie après le fascisme – Stefano Gallo

38 / En guise de conclusion…


[1] Ces résolutions de l’IRW-CGSP sont reprises dans la Tribune de juin 2024 : https://www.irwcgsp.be/wp-content/uploads/tribune-juin-2024-web.pdf.

[2] Anne Morelli a évoqué l’histoire de Matteotti dans notre Tribune de mai 2024 : https://www.irwcgsp.be/wp-content/uploads/tribune-web-mai2024.pdf.

[3] La sécession aventiniana fait référence à la sécession de la plèbe romaine sur l’Aventin, en 494 avant notre ère. Elle démontrait ainsi que les Patriciens et le Sénat ne pouvaient rien sans elle.

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