
Sous un vernis rigide, on connaît peu le Didier Reynders artiste désintéressé. Presqu’un peu bohème. Et donc poète.
On s’acharne, je trouve. On le soupçonne de blanchiment d’argent sale. On suppute de la corruption. Et franchement, on exagère. Peut-être que Didier Reynders a simplement été victime d’un malheureux concours d’insu de son plein gré en cascade. Et d’ailleurs, moi je vais vous dire ce qui s’est exactement passé avec toutes ses brouettes de fric. Ou, en tout cas, ce qui aurait pu se passer.
Peut-être que Didjé avait une vieille tante célibataire et sans héritier, si ce n’est lui. Et Nénenne Josiane avait accumulé toute sa vie du cash qu’elle retirait à son Bancontact pour si jamais c’est toujours mieux d’avoir du liquide sur soi. Mais Nénenne était aussi très près de ses sous et ne le dépensait pas, ce cash. Ou si peu. Alors elle le rangeait dans le tiroir en bas à droite de sa belle commode Louis-Philippe, à côté des vignettes de la mutuelle et des carnets d’épargne de la CGER. Et voilà qu’avec les années, chemin faisant, ça lui a fait un million. Mais avec les voleurs et l’insécurité et tout ça, Nénenne Josiane s’est sentie angoissée. Alors elle a confié ses billets à son Didier qu’est quand même miniss’ des Finances et qu’a tout plein des alarmes Verisure à sa belle villa à Uccle. Le gentil neveu a donc précautionneusement mis le million dans une boîte à chaussures Gucci et l’a rangée dans sa penderie, sous ses costumes Smalto.
Et puis vous savez comment ça va. Un jour, Nénenne a quitté ce monde. Didier, lui, était tellement occupé à travailler pour le bien public qu’il en a oublié la boite à chaussures. C’est son côté tête en l’air. Toujours est-il qu’un jour de 2009, Madame Reynders décide de faire son samedi, et même son nettoyage de printemps. Une courageuse, la Bernadette. Parce qu’en plus d’être juge à la Cour d’appel de Liège, Bernadette Prignon met un point d’honneur à bien tenir sa maison. Et qu’est-ce qu’elle retrouve derrière les chaussettes en soie de Didjé d’Amour ? La boîte Gucci. Elle : « Dis Chou, c’est quoi ça ? » Lui : « Oh purée, le million de Nénenne ! On en fait quoi maintenant ? » Elle : « Ben tu vas le déclarer. » Lui : « M’enfin, Nadette, ça fait six ans que Nénenne est dans le caveau ! Ça va faire comme si j’avais voulu niquer les droits de succession. Et puis on ne va pas payer des impôts là-dessus, je suis libéral quand même ! » Elle : « Oui, c’est vrai. »
Voilà peut-être comment Didier a été obligé de déposer 800.000 euros par petits paquets de liquide sur son compte. Méthodiquement. Jusqu’à ce que, près de dix ans plus tard, ING signale au Commissaire européen (à la Justice !) que tous ces dépôts en cash, ça n’est pas trop, trop légal. Pas du tout, même. La banque « oubliera » d’alerter le fisc, mais ça doit s’arrêter. Subito-presto, Didjé et Nadette ont donc été obligés d’acheter en liquide pour 200.000 boules de billets à gratter de la Loterie, et de reverser les gains sur leur compte. Ce qui ressemble très fort à une lessive d’argent sale. Mais donc non, rien à voir. C’était juste la faute à Nénenne. Peut-être.
Pardon, que me dites-vous là ? Les enquêteurs de la police fédérale ont perquisitionné chez un antiquaire bruxellois du Sablon, un certain Olivier Theunissen. Et aussi chez Jean-Claude Fontinoy, ex-bras droit ministériel de Didier Reynders et un grand amateur d’objets d’art. Ils voulaient vérifier si, des fois, noss’ Didjé n’aurait pas un peu blanchi bien plus qu’un petit million via un système opaque (mais très connu) d’achats-ventes d’œuvres d’art. Ceci grâce aux bons conseils artistiques, aux contacts et au réseau de ses amis ? Meuh non !
Si jamais mon Didier a acheté des œuvres bien chères et vilaines, d’abord je crois savoir d’où vient le cash. Un jour, peut-être qu’un petit avion, alors qu’il survolait Uccle, transportait des millions issus de la vente de cocaïne au Peterbos d’Anderlecht. Et qu’il était poursuivi par un avion de la police (si, ça existe !). Et là, pour ne pas être pris en flagrant délit, ah ben les trafiquants ont balancé les valises de cash qui sont tombées pile dans le jardin de Didjé et Nadette. C’était pas de chance : après Nénenne Josiane, les narco-trafiquants. Enfin, ça pourrait.
Et donc que faire ? Signaler la chute d’argent dans son jardin à la police et être soupçonné de complicité ? Impossible. C’est là que le grand homme a probablement eu une grande idée bien généreuse. Ah mais ça se sait trop peu, ça ! Sous ses airs de barreau de chaise, Didjé est un poète un peu fou-fou. Au tréfond de lui-même, il se sent artiste. C’est d’ailleurs pour ça que Georges-Louis Bouchez et lui, ça ne va pas du tout : il est trop poète, pas assez ingénieur. Raison assez simple pour laquelle Didier ne s’est plus réaffilié au MR. Question de poésie. Tout ça pour dire que peut-être qu’il s’est mis à acheter des objets d’art pour soutenir les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Par altruisme. Et aussi parce qu’il n’a plus de job. Didier Reynders envisage peut-être tout bêtement de se reconvertir en antiquaire. Ou plutôt, parce qu’il a toujours été très humble, en brocanteur. Peut-être même que vous le verrez bientôt à la brocante de Temploux devant sa camionnette « Didier la Brocante ». Comme quoi, il ne faut pas tirer de conclusions hâtives. Et puis brocanteur, c’est fait pour lui : recycler, ça le connaît.

Vincent Peiffer
Après 40 ans au Moustique, Vincent rejoint l’équipe de MaTribune.be pour mettre son grain de sel dans notre si beau monde. Où, à part ça, tout va bien…