2022, 2023, 2024 et maintenant 2025, la crise énergétique se prolonge durablement au cœur des inquiétudes. En matière d’approvisionnement mais également et surtout en termes de prix pour les citoyens, les entreprises et les administrations : le gaz, le mazout et désormais l’électricité sont autant de « ressources essentielles » dont l’accès à toutes et tous n’est plus garanti.
À cet égard, les débats sur le prix de l’électricité ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Pointons quelques enjeux cruciaux sur lesquels des choix politiques doivent être débattues démocratiquement.
- Le rôle de la puissance publique dans la production électrique redevient un sujet politique chez nos voisins français. Alors qu’en Belgique, le secteur tout entier est aux mains des acteurs privés (avec un prix qui n’est qu’en partie régulé)[1], qu’ils s’agissent de grandes entreprises ou de petites coopératives. À l’heure où la planification écologique monopolise (c’est le cas de le dire) les discussions, le modèle de l’État simplement régulateur ne tient plus. Non, la libéralisation du marché de l’énergie n’a pas fait baisser les prix, que du contraire. À quand un pôle énergétique public wallon ou belge qui mette d’urgence en place un plan d’investissement électrique en Belgique ? Et qui ne se contente pas de subsidier les acteurs privés. En effet, s’il y a un grand nombre de projets d’énergie renouvelable en Belgique, c’est bien parce que l’État les subsidie, tout en les laissant aux mains du privé (les appels à projets de parcs éoliens e.a.). Comme dans le cas des partenariats public-privé, il y a collectivisation des risques et privatisation des bénéfices.
- Dans le cas où la Belgique produirait moins d’électricité (en arrêtant par exemple le nucléaire sans être en capacité de compenser ou en subissant une mise à l’arrêt pour raison d’entretien/réparation de la moitié du parc nucléaire, ce fut le cas de la France), il faudrait importer de l’électricité auprès de pays européens – via leur production par des centrales d’énergies fossiles ou nucléaire. Mais cette dernière est de plus en plus compromise compte tenu des choix politiques posés par la Norvège et vu les enjeux géopolitiques à l’Est de l’Europe. À tout le moins, elle sera impactée par une très grande hausse des prix qui se répercutera sur le prix final.
- La place de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique (entre atome, ressources fossiles et énergies renouvelables) est remise sur le tapis. Au-delà des risques d’incident à cause radiologique (dans le stockage des déchets radioactifs entre autres) se joue l’indépendance de l’approvisionnement électrique des citoyens et entreprises sur tout un territoire (et le risque de pénurie inhérent). Ce mix inclut également des données techniques qui caractérisent chaque source d’électricité. Ainsi, l’ordre de priorité d’usage des sources d’électricité sur le réseau belge est un choix politique mais pas stratégique. En premier vient l’énergie renouvelable (une énergie qui est modulable), puis la production nucléaire (une énergie plus difficilement modulable). Ne serait-il pas plus logique d’utiliser d’abord le non-modulable (et donc l’énergie nucléaire) et ensuite l’énergie modulable, c’est-à-dire les sources renouvelables ? Ces choix politiques nécessitent autant un débat argumenté qu’un vrai pôle énergétique public.
- Il est nécessaire de systématiquement rappeler l’ampleur de la précarité énergétique qui touche une part de plus en plus importante de la population. Et on ne parle plus seulement de se chauffer, ce qui était déjà pour beaucoup une gageure au vu de la flambée des prix, mais aussi d’allumer la lumière, laver son linge, stocker ses aliments au frais, cuisiner, se connecter à internet, recharger son téléphone… Quelles politiques mettre en place pour protéger les plus vulnérables ?
- Enfin, le risque de pénurie et de déconnexion de parties du réseau est plus que réel, et il ne concerne plus seulement les potentiels longs hivers rigoureux ou très humides. Les grandes chaleurs ont multiplié la consommation de climatiseurs qui, loin de résoudre le problème, rafraichissent l’intérieur mais réchauffent l’atmosphère extérieure, rendant l’effet de la canicule encore plus intense. Le black out, c’est possible toute l’année désormais, Londres l’a évité de justesse à l’été 2022. Cette crainte a sans doute favorisé la mise en place progressive, sur base européenne, des « compteurs communicants » qui pourraient gérer des délestages ciblés en cas de nécessité.
- Vous connaissez ces derniers sous le nom français de « compteurs intelligents ». En Belgique, on préfère parler de « compteurs communicants », il s’agit de compteurs électroniques (et non plus électromécaniques) qui récoltent et transmettent des données de consommation électrique en temps réel et peuvent recevoir en retour des informations ou des ordres d’exécution. Et qui fonctionneront désormais avec des incitants à consommer davantage quand la production de renouvelable est la plus forte et la demande la plus faible. De quel incitant parle-t-on ? De tarifs variés selon les moments de consommation : lorsqu’une large partie de la population rentrera de l’école et du travail, la hausse de consommation se répercutera sur le prix de l’électricité à ce moment-là, qui partira à la hausse. Ce sont les gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) qui sont à la manœuvre pour mettre en relation la demande des consommateurs avec l’offre variable des producteurs sur le marché des sources d’énergie locales et intermittentes (énergie éolienne, solaire). Moyennant un tarif moins élevé, les foyers pourraient accepter d’autoriser leur GRD à couper à distance l’alimentation électrique ou diminuer l’ampérage.
C’est ce qu’on appelle un « client actif » : un client qui prend sa responsabilité individuelle, quand le GRD ne prend pas sa responsabilité collective. Car pour pouvoir effectuer le mix renouvelable correctement, il aurait fallu renforcer le réseau domestique basse tension par des sections de câbles plus importantes. Mais c’est un investissement plus coûteux que la mise en place des compteurs communicants – qui fonctionnent par ondes, via les antennes relais ou par réseaux câblés télécom. À la place des travaux de mise en forme par le GRD, c’est une régulation du réseau qui se réalise aux frais du citoyen.
[1] Le prix de vente de l’électricité est composé de l’addition du coût des 4 activités qui amènent celle-ci dans les foyers et entreprises : la production (les centrales, le photovoltaïque, l’éolien), le transport (Elia au niveau fédéral), la distribution (les GRD wallons Resa, Ores) et enfin les fournisseurs (voir l’encadré pour plus d’informations). Seuls les coûts de transport et de distribution sont régulés par la CREG pour Elia et par la CWAPE pour Resa et Ores.