Pourquoi l’Université est en colère ?

Pourquoi l’Université est en colère ?

L’orientation du regard médiatique vers des sujets géographiquement fort éloignés est le meilleur moyen de dissimuler ce qui se cache au plus près de nous. L’exemple du sort réservé au monde universitaire, et plus largement à l’enseignement public, en est un beau symptôme.

Nombreux sont ceux et celles qui s’indignent des attaques répétées du nouvel exécutif américain à l’encontre d’Harvard et d’autres universités « prestigieuses » : volonté de censure, musellement, licenciements, combat culturel et idéologique et, surtout, définancement massif rythment ces politiques hostiles à l’idée même d’Université. Ne parlons pas du concept d’« université publique ».

Il ne s’agit pas de relativiser cette violence réelle mais de constater qu’il est pratique de regarder vers les États-Unis et de refuser de voir ce qui est déjà, ici en Belgique, également à l’œuvre. Rappelons ainsi que ces mesures austéritaires – que l’on théâtralise par le recours à l’imaginaire de l’élite américaine menacée – ne sont qu’une face visible de logiques plus profondes qui sous-financent la recherche et l’enseignement universitaires les plus fondamentaux partout dans le monde. Et cette menace se déploie à un échelon tant local qu’international. Y compris en Fédération Wallonie-Bruxelles.

 1. Parce qu’elle entend lutter contre la précarité étudiante

Alors que La Libre s’inquiétait du sort de la Princesse Elisabeth, nombreux sont les étudiants et étudiantes moins dotés qui risquent de voir leur enseignement mis à mal, encore davantage dégradé par son définancement et par la remise en cause du principe de gratuité. On renverra notamment au projet d’augmentation des minervaux, en Fédération Wallonie-Bruxelles, pour une cohorte étudiante venue de l’international et qui n’a pas le capital – économique et social – d’une princesse.

Le collectif Université en colère(2025)a mis en exergue le risque d’une précarisation de la communauté étudiante et l’incitation toujours plus grande au job étudiant flexible. La Fédération des Étudiant·es Francophones (2023) a déjà alerté l’opinion publique sur le coût des études – estimé aux alentours de 10.000 euros par an.

Choisir d’augmenter le nombre d’heures de travail autorisées pour les étudiants – comme l’a proposé le gouvernement depuis ce 1er janvier 2025 –, sans diminuer le coût des études est une manière de renforcer les inégalités de condition. Le risque est même très grand que certains étudiants délaissent leurs études au profit d’une rémunération qui relève parfois de l’urgence de vie.

Un nombre inquiétant d’entre eux restent très proches du seuil de pauvreté, parmi lesquels des bénéficiaires du CPAS. L’attaque du gouvernement fédéral à l’encontre des allocataires sociaux, qui touchera très durement les CPAS par ricochet, va renforcer la fragilité financière de ces structures. Or, elles sont d’une absolue nécessité pour certains étudiants précarisés.

2. Parce qu’elle voudrait bénéficier d’un refinancement structurel

Toujours en Fédération Wallonie-Bruxelles, le mécanisme de l’enveloppe fermée qui cadenasse les budgets universitaires depuis de longues années (avec l’absence de levier fiscal) vient de se voir complété par un projet de destruction des pensions du secteur public. Chaque communauté de l’université – enseignante, administrative, ouvrière et scientifique – sera dès lors soumise à une réduction drastique de ses droits. Cette réduction passera notamment par une modification de la prise en compte des années pour le calcul de la pension (de 10 à 45 ans à l’horizon 2062).

Cette attaque, bien qu’elle soit présentée par le gouvernement Arizona comme la suppression d’une « inégalité » par rapport aux salariés et indépendants (voir l’accord de janvier 2025), est avant tout symbolique : elle vise à mener un combat de front contre la fonction publique (voir à ce titre l’ouvrage La haine des fonctionnaires de Gervais, Lemercier et Pelletier 2024 et la recension que nous en avons fait en février 2025).

Faut-il rappeler que ce statut de fonctionnaire a été précisément pensé parce qu’il s’extrait des normes de l’économie classique et des pressions politiques ? Ses agents, qui servent un intérêt collectif et non une finalité économique, doivent être protégés de toute ingérence politique ou idéologique (loi Camu de 1937). Cette protection a également été pensée pour que la fonction publique ne soit pas soumise aux aléas d’une économie marchande, qui se délecte de la pression salariale, du licenciement abusif et de la flexibilisation des travailleurs et travailleuses.

Les sauts d’indexation et les déficits de financement préconisés par les gouvernements Azur (wallon et communautaire) et Arizona (fédéral) montrent que les politiques libérales et anti-étatiques vont à l’encontre du principe des services publics libérés des règles économiques.

3. Parce qu’elle défend une recherche publique

Le Fonds national de la recherche (FNRS) et l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES) ont déjà été touchés par des coupes budgétaires voulues par le gouvernement communautaire d’Elisabeth Degryse, preuve de la convergence austéritaire des niveaux de pouvoir (fédéral, régional et communautaire). La recherche et l’enseignement universitaires, qui sont déjà soumis à une concurrence extrêmement dure, se dirigent toujours plus vers des carrières fragmentées et précaires. Les chercheurs et chercheuses devront se tourner de plus en plus massivement vers des financements européens, beaucoup plus concurrentiels et difficiles d’accès (ERC, Horizon, etc.).

La recherche en Haute École, qui peine à se déployer, sera pleinement touchée par le projet de réduction de 21 % de la dotation de l’ARES. Son budget, qui était déjà insignifiant par rapport au FNRS, ne permettra en aucun cas au supérieur non-universitaire de rattraper son retard en matière de recherche par rapport au supérieur universitaire. Bien au contraire.  

Des leviers fiscaux seraient pourtant envisageables (au niveau fédéral et régional). Une taxation des entreprises et industries polluantes, par ailleurs souvent financées par une recherche privée (mais aussi parfois publique), permettrait une meilleure répartition des efforts budgétaires. Les sciences humaines et sociales (SHS) pourraient bénéficier de cette répartition juste. Nombreuses sont en effet les recherches en SHS dont les retombées sont avant tout sociétales et les ambitions et les pratiques plus nettement écologiques. Mais la rentabilité et la production guident encore l’imaginaire de dirigeants politiques fort peu soucieux de l’impact environnemental de ces paradigmes.

En guise d’ouverture à cette réflexion, on renverra à l’article « Dévoiler les schémas de mobilité : comportement de voyage international et émissions des scientifiques dans un établissement de recherche supérieur » (Höbling, Kirchengast et Danzer 2023). Il ouvre la voie à une autre conception de la recherche et à une autre manière de penser son financement.

Voilà quelques-unes des nombreuses raisons de la colère universitaire.

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