Comme analysé précédemment, l’accord commercial signé fin juillet entre les États-Unis et l’Union européenne constitue une capitulation totale. Non seulement un droit de douane global de 15 % sera désormais appliqué (à de très rares exceptions près), mais en plus l’accord inclut des engagements considérables de la part de l’UE, tous en sa défaveur et quasiment sans aucune contrepartie. Analysons maintenant les impacts de cet accord sur l’économie wallonne avec des chiffres actualisés.
Précédemment sur MaTribune.be :
Question 1 : est-il vrai que les droits de douane actuels sont les plus élevés depuis 100 ans ?
Question 2 : De décisions en rétropédalages, où en sont les droits de douane aux États-Unis ?
Guerre commerciale USA/UE : une capitulation totale
- Situation synthétique du commerce extérieur wallon
- Les exportations wallonnes ont atteint un montant de 55,2 milliards d’euros en 2024 (diminution de 3,2 % par rapport à 2023).
- Sur ces 55 milliards, 70 % sont exportés vers les pays de l’UE.
- Sur ces 55 milliards, 14,2 % (6,8 milliards) sont exportés vers les USA, ce qui en fait le troisième client de la Région wallonne, après la France et l’Allemagne, pays limitrophes (graphique 1).
- Tous pays confondus, la Région wallonne exporte essentiellement des produits pharmaceutiques. En effet, les exportations de ce secteur représentent 40 % des exportations totales wallonnes, soit 22 milliards. Sur ces 22 milliards, 14 milliards sont constitués d’exportations de vaccins et 8 milliards de médicaments.
Graphique 1 : Tendances géographiques

Source AWEX
- Évolution des exportations wallonnes
Après plusieurs années de croissance, les exportations sont en baisse depuis deux années : elles sont passées de 60,6 milliards en 2022 à 55,2 milliards en 2024 (graphique 2).
Graphique 2 : Évolution des exportations wallonnes

Source : AWEX
Cette diminution des échanges extérieurs de la Wallonie en 2024 s’est concrétisée dans quasiment tous les secteurs. Seuls 3 secteurs du top 10 wallon ont affiché des exportations en hausse en 2024. Il s’agit des produits pharmaceutiques (+8,3 %), des instruments et appareils d’optique et de précision (+2,3 %) et des animaux vivants et leurs produits dérivés (+1,9 %). Tous les autres secteurs ont connu une diminution : matériel de transport (-31,4 %) ; produits et combustibles minéraux (-28,7 %) ; produits métalliques (-14,5 %) ; machines et équipements (-12,2 %) ; matériaux de construction et produits en verre (-10,9 %) (graphique 3).
Graphique 3 : Tendances sectorielles

Source : AWEX
Les causes de cette diminution sont connues et multifactorielles : état morose de la conjoncture mondiale, croissance faible dans les pays de la zone euro, enlisement de la guerre en Ukraine, conflit au Proche et Moyen-Orient, et, évidemment, la politique commerciale protectionniste mise en place par l’administration Trump, qui déstabilise le commerce international et perturbe les chaines d’approvisionnement au niveau global.
Ajoutons que si cette tendance à la diminution des exportations est généralisée au sein de la zone euro, la Région wallonne est particulièrement touchée ces dernières années (graphique 4). Ce résultat (-3,2 % en 2024) doit cependant être relativisé. En effet, si on prend en compte la période 2017 à 2024, la croissance moyenne annuelle des exportations wallonnes est de +5,0 %, ce qui équivaut à celle de la Flandre (+5,0 %) et de la zone euro20 (+5,0 %), et qui est meilleure que celle des Pays-Bas (+4,3 %), de la France (+3,9 %) et de l’Allemagne (+3,5 %).
Graphique 4 : Évolution des exportations en 2024 selon les pays

Source AWEX
- Impacts sur le secteur pharmaceutique wallon
Avec 22 milliards, c’est le secteur pharmaceutique qui porte les exportations wallonnes (40 % du total). Et sur ces 22 milliards, 2,4 milliards (11 %) sont exportés vers les États-Unis. Alors que ce n’était pas prévu et que ce secteur était jusqu’à présent exempté de droits de douane, les produits pharmaceutiques entrant aux USA seront maintenant taxés à 15 %.
Un droit de douane de l’ordre de 15 % va nécessairement peser sur le prix final, soit en amont (marge du producteur) soit en aval (prix client US), avec les risques de substitution et perte de volumes que cela implique : des acheteurs américains (hôpitaux, distributeurs) pourraient chercher des fournisseurs alternatifs, en particulier américains, non frappés par ces droits de douane, ou encore négocier de fortes remises, ce qui pèsera sur le chiffre d’affaires et les marges du secteur wallon.
NB : Seuls les médicaments génériques sont exemptés, l’impact sera donc plus fort sur tous les produits innovants/biotech, or ce sont précisément dans ces segments que la Wallonie est très active.
Les entreprises wallonnes de ce secteur vont donc très probablement être affectées, avec un chiffre d’affaires et/ou des marges en baisse et la probabilité que certains investissements soient retardés ou annulés, voire déplacés vers les États-Unis afin d’éviter la taxe de 15 %, ce qui les amènerait à procéder à des licenciements sur le territoire wallon. Le 17 septembre, le géant pharmaceutique britannique GSK, qui emploie environ 9.000 personnes en Belgique sur ses trois sites principaux (Wavre, Rixensart et Gembloux) a annoncé qu’il allait investir 30 milliards de dollars aux États-Unis sur cinq ans…
Notons également qu’en mai 2025, la société de biotechnologie wallonne iTeos Therapeutics, cotée sur le Nasdaq américain, a annoncé son intention de cesser ses activités et une procédure de licenciement collectif touchant 133 emplois a été lancée sur son site de Gosselies, près de Charleroi. Avec la nouvelle taxe, ce genre de scénario risque de se multiplier.
Sans oublier les effets potentiels sur la sous-traitance régionale : fournisseurs d’emballage, logistique, contrôle qualité, sous-traitance R&D pourraient également subir une baisse d’activité. BioWin et partenaires régionaux (clusters) sont concernés par cet effet domino. Selon Essenscia, la fédération sectorielle belge de l’industrie chimique et des sciences de la vie, le secteur chimique, des matières plastiques et des sciences de la vie représentait environ 30.000 emplois directs et 70.000 emplois indirects en 2022.
- Impacts indirects sur l’automobile et l’équipement industriel
Le nouvel accord maintient donc jusqu’à nouvel ordre une taxe de 27,5 %. Les constructeurs européens vont donc subir une perte de compétitivité, et plusieurs fournisseurs wallons (pièces, assemblage, électronique voiture) sont exposés via leurs clients allemands et néerlandais.
Ajoutons que plusieurs grands groupes européens pourraient délocaliser une partie de leur production aux États-Unis pour éviter les droits de douane, avec pour conséquence des commandes aux fournisseurs wallons en baisse.
- Impacts sur l’acier et l’aluminium
Les droits américains sur l’acier et l’aluminium sont de 50 % et restent donc exclus de la taxe générale de 15 %.
Même si ce n’est pas du tout comparable en volume avec la pharma-biotech, la Wallonie exporte bien de l’acier et de l’aluminium.
L’acier représente encore une part non négligeable des exportations industrielles wallonnes, surtout vers l’Europe (Allemagne, France, Italie). Vers les États-Unis, la part de l’acier wallon est très marginale (environ 1 % du total exporté).
En ce qui concerne l’aluminium, la Wallonie produit notamment de l’aluminium transformé (plaques, barres, profilés), comme par exemple Hydro Aluminium à Raeren. Là aussi, le marché principal est européen, mais une partie des flux va vers les États-Unis. Aucun chiffre précis n’est disponible mais on peut l’estimer également autour de 1 à 2 % des exportations totales wallonnes.
- Impact sur la bière
Les bières belges subissent désormais 15 % de droits de douane à l’entrée sur le marché américain. Les distributeurs et importateurs US vont sans doute répercuter la hausse sur le prix final, ce qui va fragiliser la compétitivité des bières belges face aux bières locales.
Même si ce secteur est beaucoup moins important que le secteur pharma en termes de volumes exportés vers les États-Unis, il est tout de même important. En effet, les États-Unis sont l’un des principaux marchés d’exportation hors Europe pour les brasseries belges, aux côtés de la Chine et du Canada : les exportations belges de bière vers les USA représentent environ 15 à 20 % des volumes exportés hors UE.
Les grandes multinationales (AB InBev, propriétaire de Stella Artois/Leffe, très implantée aux États-Unis) devraient avoir les moyens d’absorber la hausse, les brasseries artisanales wallonnes (souvent PME ou micro-entreprises) devraient plus en souffrir, surtout face aux microbrasseries américaines qui dominent déjà le marché.
Les brasseries trappistes (Chimay, Orval, Rochefort) conservent quant à elles une image forte et un public de niche prêt à payer plus cher. Elles subiront probablement un recul limité de volumes.
Les emplois directs ne semblent pas directement menacés (les volumes exportés restent modestes comparés à la production totale), mais la croissance des exportations US sera doute freinée.
- Impacts liés au ralentissement des économies voisines
Le ralentissement économique mondial va avoir des conséquences sur les exportations et sur l’activité économique de la Région wallonne.
Ceci est particulièrement vrai concernant le ralentissement des économies voisines. En effet, les 3 grands voisins (France, Allemagne, Pays-Bas) pèsent pour plus 43 % des exportations wallonnes (graphique 1).
Or l’Allemagne et la France et le Royaume-Uni connaissent des difficultés importantes. L’Allemagne est en récession depuis plus de deux ans. La France est quant à elle plongée dans l’instabilité politique et mise sous pression par sa dette publique et ses déficitsrécurrents les plus importants de la zone euro (graphique 5). Sans oublier que ces pays vont également être touchés par les nouvelles taxes américaines, ce qui ne fera qu’empirer la situation.
Graphique 5 : Croissance du PIB 2024-2025

- En guise de conclusion
Étant donné l’ampleur des nouvelles taxes, et l’importance des États-Unis dans le cadre de son commerce extérieur, cet accord va nécessairement avoir des impacts sur l’économie wallonne.
Une chute des ventes vers les États-Unis pèserait directement sur le chiffre d’affaires export et donc sur la croissance régionale à court terme.
Les risques de pertes d’emploi dans les activités exposées (production, logistique, sous-traitance) sont réels, surtout chez les PME qui n’ont pas les moyens d’absorber des chocs de marge.
Les investissements directs étrangers pourraient diminuer : les taxes additionnelles peuvent freiner de nouveaux investissements ou pousser des projets d’expansion à être relocalisés hors d’Europe, et la Wallonie est évidemment concernée par ce phénomène.
S’il est encore trop pour évaluer les impacts réels de cette nouvelle donne sur l’économie wallonne en général et son secteur exportateur en particulier, il est fort probable qu’ils seront importants. Affaire à suivre de près …
