Taxer les plus-values = épargner les grandes fortunes ?

Taxer les plus-values = épargner les grandes fortunes ?

Le nouvel accord gouvernemental instaure une taxe sur les plus-values générées par les actifs financiers. Les grandes fortunes vont-elles la payer ? Combien va-t-elle rapporter ? Participera-t-elle à réduire les inégalités ? Peut-on la considérer comme un pas dans la bonne direction ? Autant de questions sur les effets attendus de cette nouvelle taxe qui ne seront sans doute pas concrétisés.

1. Cette taxe ne concerne-t-elle que les riches ?

Oui. Commençons par rappeler que près d’un quart de la population belge ne dispose d’aucune forme d’épargne. Acheter des actions et réaliser une plus-value ne fait donc pas partie de la réalité vécue par une très grande partie de nos concitoyens.

Par ailleurs, en Belgique comme ailleurs, les actifs financiers sont répartis de manière très inégalitaire. La plupart des actions et obligations sont concentrées dans les mains de quelques-uns. Dans son rapport de 2024, Oxfam montre que les 10 % des Belges les plus riches s’accaparent 80 % de toutes les actions cotées, tandis que le 1 % des plus riches concentrent 30 % des actifs financiers.

En réalité, même une personne faisant partie de la classe moyenne supérieure ne sera que très peu touchée par cette taxe. Reprenons l’exemple de Thibaut. Il avait réalisé une plus-value importante de 54.530 € en 2024. Il n’a pas été touché par cette taxe vu qu’elle n’était pas en vigueur. Imaginons maintenant qu’en 2026, après que la taxe soit entrée en vigueur, il réinvestit de nouveau 100.000 € dans différentes actions, et que ces actions prennent globalement 12 % de valeur. S’il les revend fin 2026, il réalise une plus-value de 12.000 €. Étant donné l’exonération sur les premiers 10.000 € de plus-value, il devra payer une taxe de 10 % sur 2.000 €, soit 200 €, c’est-à-dire une taxe effective de 1,6 % sur son gain. C’est particulièrement raisonnable…

2. Cette taxe participe-t-elle à la lutte contre les inégalités ?

A priori, on pourrait le penser, mais en réalité, ce n’est pas le vraiment le cas, pour trois raisons.

D’abord, parce que, comme on l’a vu précédemment, les grands investisseurs sont largement favorisés par rapport aux petits ou moyens investisseurs, avec une exonération totale pour le premier million d’euros de plus-value, puis des taux commençant à 1,25 % plutôt que 10 % …

Ensuite, parce que les super riches auront la possibilité de contourner cette taxe, en passant par des sociétés holdings ou autres structures juridiques d’optimisation fiscale.

Enfin parce que, comme le rappelle Bruno Colmant dans L’Écho, « les grandes fortunes ne vendent pas leurs titres, mais les transmettent, et (que) les personnes vivant des revenus de leurs titres n’ont pas besoin de réaliser de plus-values. Cette taxation frappera donc l’investisseur à risque modeste tandis que les rentiers ne seront pas concernés. »

Contrairement aux apparences, cette réforme ne va donc toucher que la classe moyenne supérieure, tout en laissant les grandes fortunes profiter de stratégies d’évasion fiscale pour échapper à cette taxation.

3. Combien cette taxe va-t-elle rapporter à l’État ?

Dans son tableau budgétaire présenté il y a quelques semaines, le gouvernement belge table sur les recettes suivantes : 250 millions en 2026, 300 millions en 2027, 400 millions en 2028 et 500 millions en 2029.

Ces montants seront-ils atteints ? Il est permis d’en douter sérieusement, pour toute une série de raisons :

  • Si cette taxe a constitué, en quelque sorte, une concession accordée à Vooruit dans le cadre de sa participation au gouvernement, les forces politiques en présence au sein de la coalition restent défavorables à cette mesure
  • Il est possible que cette taxe n’entre pas en vigueur au 1er janvier 2026, pour des raisons politiques ou techniques, car plusieurs détails restent encore flous à ce stade et devront être négociés et finalisés, comme par exemple la façon dont seront valorisées les entreprises non cotées en bourse, ou encore la manière dont les moins-values seront traitées.
  • Certains partis veulent déjà atténuer la taxe, comme par exemple le CD&V qui a récemment proposé d’exonérer les plus-values sur actions jusqu’à 20.000 € et non plus 10.000 €.
  • Les personnes qui risquent d’être touchées par cette taxe pourraient anticiper et chercher à éluder cette taxe, par exemple en transférant un maximum de leurs actions en sociétés.
  • Ce ne sera pas la première fois, loin de là, qu’une taxe sur le capital rapporte beaucoup moins que prévu. Citons à titre d’exemple, la taxe caïman visant l’argent que les Belges ont logé dans des paradis fiscaux qui a rapporté 5 millions en 2017, alors qu’elle était censée rapporter 510 millions

4. Cette taxe constitue-t-elle une victoire ?

Commençons par dire que cette taxe a enfin le mérite d’exister en Belgique. Et il était temps de mettre fin à cette anomalie. Par ailleurs, une fois la taxe en vigueur, il sera toujours possible de jouer sur les taux et d’augmenter son rendement. En étant positif, on peut donc dire qu’il s’agit d’un petit pas dans la bonne direction.

Néanmoins, comme nous l’avons démontré, il s’agit malheureusement d’un très très petit pas. Cette nouvelle taxe est beaucoup trop faible, en particulier si on la compare avec la France (30 %), elle est mal pensée (de nombreuses incertitudes demeurent), elle sera sans doute remise en cause (elle l’est déjà), elle va rapporter très peu (et sans doute encore moins prévu), elle ne participe pas à réduire les inégalités (les grandes fortunes vont pouvoir y échapper) et elle est dans tous les cas totalement insuffisante par rapport aux défis à relever, qu’ils soient  budgétaires, économiques, sociaux ou écologiques.

Il importe donc d’agir, chacun à son niveau, pour que cette taxe soit renforcée et surtout qu’elle s’inscrive de manière cohérente dans un ensemble d’autres mesures, comme l’augmentation de la progressivité de l’impôt, la globalisation de tous les revenus ou encore la lutte contre la fraude fiscale, afin de faire rentrer les milliards nécessaires dans les caisses de l’État et avancer concrètement vers plus de justice fiscale dans notre pays.

Olivier Bonfond
Rédacteur MaTribune.be et économiste au Centre de coordination, d’études et de formation (CCEF) |  Plus de publications

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