Le 5 juillet 2024, l’Écho titrait : « La dette coûtera près d’un milliard à la Wallonie en 2029 ». Ces estimations étaient et restent correctes, mais elles n’incluent pas les intérêts de la dette indirecte. Or, ceux-ci sont également en forte augmentation, et si on les prend en compte, la charge de la dette en Région wallonne atteint déjà 1 milliard d’euros par an en 2025.
La dette continue d’augmenter, malgré les mesures d’austérité
Selon le dernier rapport de la cour des comptes, la dette brute consolidée de la Région wallonne a fortement augmenté ces dernières années. Elle est passée de 23,2 milliards en 2019 à 38,9 milliards en 2024, soit une augmentation de 70%. Cette augmentation provient essentiellement de dette de la Région en tant que telle, ce qu’on appelle la dette directe : celle-ci est passée de 12,6 milliards en 2019 à 27,6 milliards d’euros en 2024, soit une augmentation de plus de 100%. La dette indirecte, c’est-à-dire la dette des unités d’administrations publiques (UAP), tels que la Sofico, l’OTW, l’AViq etc., est restée quant à elle relativement stable au cours de cette même période : elle est passée de 10,6 en 2019 à 11,2 milliards en 2024, soit une augmentation d’un peu plus de 5%.
Cette tendance à l’augmentation de la dette – essentiellement la dette directe – va se poursuivre. En effet, la trajectoire budgétaire du gouvernement wallon estime que, en tenant compte des mesures d’économies prévues, la dette brute consolidée s’établira à 47,5 milliards d’euros à la fin 2029, soit une augmentation de 9 milliards supplémentaires sur 5 ans[1].
Les intérêts de la dette directe explosent : + 65% en deux ans !
Les intérêts de la dette directe wallonne sont en train d’exploser. Ceux-ci vont quasiment doubler entre 2023 et 2025, passant de 370 millions à 605 millions en 2025 :

Cette forte augmentation était prévisible et prévue. Globalement, elle est le fruit de l’augmentation des taux d’intérêts sur les marchés financiers depuis 2022. Pour résumer, entre 2015 et 2022, la Région wallonne empruntait à 10 ans à des taux variant entre 0,5% et 1,5%. Aujourd’hui, elle emprunte à du 3,5%. Concrètement, cela signifie que le financement d’un déficit de 3 milliards va maintenant couter 105 millions par an à la Région, alors qu’il coutait entre 15 et 45 millions précédemment. Sans compter toutes les dettes qui arrivent à échéance et qu’il faut également refinancer avec ces nouveaux taux beaucoup plus élevés. En moyenne, on parle de 700 millions de dette arrivant à échéance chaque année, mais l’année 2025 va couter plus cher, avec justement un emprunt de 1,4 milliards d’euros contracté en 2020 à très bas taux (0,5 %) et qui arrive à échéance en 2025.
On le voit, cette tendance à l’augmentation est forte, et presque inéluctable dans le cadre de taux d’intérêts qui restent élevés. Les intérêts de la dette vont-ils devenir la première dépense de la Région wallonne, comme c’est déjà le cas en France, et empêcher la Région de répondre à ses obligations sociales et démocratiques ? N’est-il pas temps de remettre en cause ce paiement aveugle et d’affronter les marchés financiers ?
Ajoutons un élément. Alors qu’officiellement le gouvernement MR-Engagés fait de la maitrise de l’endettement son objectif prioritaire, dans la réalité il ne semble pas très préoccupé de cette question de l’évolution des taux. Citons la Cour des comptes : « Pourtant obligatoire, aucune analyse de la sensibilité́ des charges de la dette à une variation des taux d’intérêt et de croissance n’a été présentée dans l’exposé général du budget[2]. »
Les intérêts de la dette indirecte : un taux moyen deux fois plus élevé que la dette directe
Les intérêts de la dette indirecte sont les intérêts payés par les organismes d’intérêt public (UAP). Ces organismes publics réalisent également des emprunts et doivent donc aussi payer des intérêts. Ces intérêts sont payés par de l’argent public et rentrent donc dans le périmètre consolidé du budget de la Région wallonne.
Or, ces intérêts sont également en augmentation : en 2022, ils s’élevaient à 331 millions[3]. En 2023, ils étaient de 402 millions d’euros[4]. Malheureusement, aucun chiffre n’est disponible pour les années 2024 et 2025, mais vu l’augmentation généralisée des taux d’intérêts, il est plus que probable qu’ils vont continuer à augmenter.
Ce montant de 400 millions d’euros payés en 2023 est doublement interpellant. Premièrement, il signifie que, pour la première fois, les intérêts de la dette indirecte dépassent ceux de la dette directe (372 millions en 2023). Deuxièmement, ce montant de 400 millions d’intérêts est payé sur la base d’une dette deux fois moins élevée (11,2 milliards pour la dette indirecte et 25,3 milliards pour la dette directe en 2023). Cela signifie que le taux d’intérêt moyen (on parle également de taux implicite) que les UAP paient pour leur dette (3,6%) est deux plus élevé que celui de la Région wallonne (1,8%).
Cela s’explique en partie par le fait que les UAP empruntent aux banques et non pas aux marchés financiers, mais cette différence est telle que le gouvernement a annoncé qu’il allait investiguer la question. Il compte l’inscrire comme une des thématiques dans le prochain « spending review » de la Région, afin de voir s’il est possible de diminuer ces coûts exorbitants dans le cadre d’une politique de financement intégrée. Affaire à suivre.
Dans tous les cas, si on prend en compte les intérêts de la dette indirecte, nous serons déjà à plus d’un milliard d’euros de charge de la dette en 2025 (600 millions pour la dette directe et 400 millions pour la dette indirecte).
Les intérêts de la dette vont-ils devenir la première dépense de la Région wallonne ? N’est-il pas temps de remettre en cause cette dépense que même les libéraux s’accordent à juger, bien qu’inéluctable, comme la plus inutile qui soit ? Est-elle réellement inéluctable ? Plusieurs propositions crédibles existent pour réduire la charge de la dette et diminuer notre dépendance aux marchés financiers, comme par exemple une émission bien pensée de bons d’Etat wallon. En débattre enfin sérieusement serait une première étape positive. Mais une chose est certaine : on pourrait faire beaucoup d’investissements productifs et utiles socialement avec un milliard d’euros par an…
[1] Parlement de Wallonie – Session 2024-2025 – CRIC n° 46 – Commission des affaires générales, du budget, des relations internationales et du bien-être animal – Mardi 3 décembre 2024, p. 21, https://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2024_2025/CRIC/cric46.pdf.
