Les conséquences des droits de douane américains sur l’économie des États-Unis

Les conséquences des droits de douane américains sur l’économie des États-Unis

(Dossier sur la nouvelle guerre commerciale)

Dans le domaine de la politique commerciale, la présidence de Donald Trump marque un tournant décisif. En imposant des droits de douane au monde entier, l’administration Trump a pour objectif de redéfinir les règles du commerce mondial à l’avantage exclusif des États-Unis. Va-t-elle y arriver ? Difficile de le dire, tant les inconnues restent nombreuses à ce stade. Mais ce qui est sûr, c’est que cette politique commerciale agressive comporte des risques et a déjà de nombreuses conséquences socioéconomiques, tant aux États-Unis que dans le reste du monde.

Dans ce dossier, nous faisons un tour d’horizon de ces risques et conséquences, en répondant chaque fois à une question précise.

Question 1 : est-il vrai que les droits de douane actuels sont les plus élevés depuis 100 ans ?  

Question 2 : De décisions en rétropédalages, où en sont les droits de douane aux États-Unis ?

Question 3 : quelles sont les conséquences des droits de douane américains sur l’économie mondiale et européenne ?

Question 4 : quelles sont les conséquences des droits de douane américains sur l’économie des États-Unis ?

Absurdité économique ou l’art du deal ?

La politique commerciale de Donald Trump, extrêmement agressive et semblant dénuée de fondement économique[1], ne serait en réalité qu’une stratégie visant à négocier de manière bilatérale des nouveaux accords avec chaque pays, consistant notamment à leur acheter toute une série de biens et services, en plus particulièrement de l’armement, ou encore inciter des grandes entreprises à venir se relocaliser sur le sol américain.

Mais quoi qu’il arrive, Trump doit faire face à un autre sérieux problème, celui des conséquences très concrètes et très négatives sur la situation socioéconomique aux États-Unis : contraction économique, forte inflation à venir, taux de chômage persistant, réaction des marchés financiers, mécontentement des grands groupes industriels, mais aussi une popularité en forte baisse.

Débâcle sur la bourse américaine

Le jour même de l’annonce des nouveaux tarifs douaniers le 2 avril, la bourse américaine a plongé, entraînant une perte de plus de 3.000 milliards de dollars en valeur boursière en quelques jours (voir tableau ci-dessous). Les Gafam ont été fortement touchés (Apple -4,5 %, Amazon -4 %, Microsoft -2 %…) mais les actions des grandes entreprises importatrices ont également plongé : Nike a perdu 6 %, tandis que General Motors a chuté de 3 %. Entre février et début mai, la bourse a perdu pas moins de 6.500 milliards de dollars de capitalisation.

Tout en gardant à l’esprit que les cours boursiers ne devraient pas déterminer la politique économique d’un pays, il faut cependant signaler que cette débâcle boursière est l’exact opposé de ce qu’avait prévu Trump. Celui-ci s’était en effet présenté pendant la campagne comme le plus grand défenseur de la bourse, et avait affirmé à plusieurs reprises que si Kamala Harris était élue, le résultat serait un krach économique et boursier comme en 1929. La réalité est que la politique de Trump a créé une des pires débâcles boursières pour un Président arrivant au pouvoir aux États-Unis.

Au cours du mois de mai, les bourses américaines se sont relevées, mais elles restent très volatiles.

Signalons également ici que les marchés financiers, en particulier le marché de la dette publique, ont joué un rôle important dans les rétropédalages de l’administration Trump. En effet, selon beaucoup d’analystes et économistes, l’augmentation des taux d’intérêts sur les titres du Trésor américain survenue le 9 avril (passant de 3,9 % à 4,5 %) aurait joué un rôle-clé dans la décision de Trump de faire marche arrière le lendemain (10 avril) en annonçant une pause de 90 jours sur toute une série de nouvelles taxes douanières, dont les 20 % pour l’UE.

Contraction économique « surprise »

Alors qu’il annonçait des miracles économiques pour les États-Unis dans les jours qui suivraient son investiture, c’est tout le contraire qui est en train de se passer.

L’économie américaine s’est contractée à un rythme annualisé de 0,3 % au premier trimestre 2025[2], marquant son premier recul depuis le premier trimestre 2022. Il s’agit d’un retournement brutal après une croissance de 2,4 % au trimestre précédent.

Notons également que les investissements publics américains ont chuté de 5,1 %, la plus forte baisse depuis le premier trimestre 2022.

Taux de croissance aux États-Unis

Comme à son habitude, Trump nie toute responsabilité dans ce retournement économique, et remet l’entièreté de la faute sur l’administration Biden. Il a notamment écrit sur les réseaux sociaux : « « This is Biden’s stock market, not trump’s, ». I didn’t take over until january 20th. Tariffs will soon start kicking in, and companies are starting to move into the USA in record numbers …  Our country will boom, but we have to get rid of the Biden ‘overhang.’ … « This will take a while, has nothing to do with tariffs, only that he left us with bad numbers, but when the boom begins, it will be like no other. Be patient!!! » »[3]

Soyez patients ? Assez cocasse pour quelqu’un qui prédisait le retour immédiatement à un nouvel âge d’or (comme il affirmait mettre fin à la guerre en Ukraine en 24 heures) …

Pour la suite, le FMI prévoit une croissance de 1,8 % en 2025, ce qui représente une baisse de 0,9 point par rapport aux précédentes estimations (février 2025) et 1 point de moins par rapport à 2024.

Le tout récent rapport de l’OCDE (4 juin 2025) conforte ces estimations : « Alors que le PIB avait progressé́ à un rythme soutenu de 2.8 % en 2024, en grande partie grâce à la consommation privée et aux dépenses publiques, La croissance devrait fortement ralentir pour s’établir à 1.6 % en 2025, puis à 1.5 % en 2026. Ceci s’explique par l’augmentation notable des taux effectifs des droits de douane sur les importations et les mesures de rétorsion prises par quelques partenaires commerciaux, par la forte incertitude économique liée à l’action publique, par la contraction prononcée de l’immigration nette, ainsi que par une réduction non négligeable des effectifs de fonctionnaires fédéraux. »

Signalons que plusieurs institutions financières prévoient une récession d’ici la fin 2025. À titre d’exemple, les économistes de Morgan Stanley anticipent désormais une contraction de 0,3 % de l’économie américaine cette année, avec un taux de chômage grimpant à 5,3 %, soit une hausse d’un point de pourcentage.

Forte inflation à venir

L’inflation actuelle aux États-Unis peut paraître relativement maîtrisée. En avril 2025, le taux d’inflation annuel aux États-Unis s’est établi à 2,3 %, marquant son niveau le plus bas depuis février 2021.

Cette diminution est essentiellement due à la baisse des prix à la pompe : -9,8 % sur un an. Mais attention, cette diminution des prix du pétrole peut aussi s’interpréter comme une crainte quant au niveau d’activité économique future. De la même manière, les prix des billets d’avion ont aussi reculé (-5,3 %) mais ici aussi, les analystes américains y voient surtout un signe que les consommateurs évitent de dépenser dans les loisirs, vu l’incertitude ambiante.

Cependant, ces « bons » chiffres concernant l’inflation ne devraient pas durer et on peut s’attendre à un rebond important de l’inflation américaine dans les semaines et mois à venir[4]. Selon les prévisions de l’OCDE, l’inflation annuelle aux États-Unis devrait atteindre 3,9 % d’ici la fin de 2025, principalement en raison de la hausse des prix à l’importation liée aux nouveaux droits de douane.

Notons que face à ces pressions inflationnistes, la Réserve fédérale (Fed) refuse de baisser ses taux d’intérêts. Alors que la Banque centrale européenne (BCE) a procédé à sa huitième baisse consécutive des taux d’intérêt le 5 juin 2025, ramenant son taux de dépôt à 2 %, la Fed maintient son taux directeur dans une fourchette de 4,25 % à 4,50 %, avec un taux effectif de 4,33 % depuis janvier 2025.

Cette politique n’arrange pas du tout les affaires de Trump, qui ne cesse de faire pression pour que la Fed baisse ses taux, afin de relancer l’économie, les investissements et l’emploi. Mais la Fed reste très réticente, notamment après des données décevantes sur l’emploi en mai.

Conséquences négatives sur l’emploi

Sur le terrain de l’emploi, la situation n’est pas non plus réjouissante. Bien que le taux de chômage soit relativement stable depuis un an (4,2 %), le marché de l’emploi aux États-Unis montre des signes de ralentissement.

En mai, les entreprises ont créé nettement moins de postes que prévu : 37.000 emplois ont été créés dans le secteur privé, contre 60.000 en avril, tandis que les analystes s’attendaient au contraire à un rebond, autour de 110.000 créations d’emplois. Ce rythme de créations d’emplois est le plus faible depuis mars 2023.

Par ailleurs, des grands plans sociaux sont en cours aux États-Unis. Ainsi, le groupe américain de livraison de colis UPS vient d’annoncer qu’il allaitlicencier 20.000 de ses salariés dans le monde pour réduire ses coûts en raison de la guerre commerciale et du contexte économique (tout en affichant un bénéfice trimestriel supérieur aux attentes). 

Popularité en baisse et contre-offensives 

Suite à ses nombreuses attaques brutales et anti-démocratiques, et vu les résultats assez désastreux de ces politiques, Donald Trump est en train de perdre beaucoup de points en termes de popularité, y compris au sein de sa propre base électorale. Après 100 jours, il est le Président avec la cote de popularité la plus basse depuis 25 ans.

Source : Le Soir

Selon un récent sondage réalisé pour le site d’informations touristiques NYC.eu, près de six Américains sur dix ont honte de Trump et un quart de ses électeurs regrettent leur vote.

Par ailleurs, ses attaques contre les droits sociaux et la démocratie sont en train de provoquer des réactions venant de toute part :

  • La prestigieuse université de Harvard va en justice contre le gel de ses subventions par l’administration Trump, dénonçant une ingérence politique sans précédent.
  • Bernie Sanders, le socialiste le plus célèbre des États-Unis, accompagné par Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), députée démocrate, a lancé une grande tournée « Combattre l’oligarchie » sur tout le territoire national, rassemblant des dizaines de milliers de personnes lors de chaque évènement.
  • Au niveau de la politique commerciale, douze États américains ont décidé d’aller en justice contre les tarifs douaniers de Trump, affirmant que ces mesures sont illégales et anticonstitutionnelles. La Constitution américaine garantit en effet à la branche législative (le Congrès) un pouvoir exclusif sur la politique douanière. Or, le Président a décrété, « l’état d’urgence national » afin d’imposer ses droits de douane sans l’accord du Congrès[5].

En guise de conclusion : le pays le plus hot du moment vraiment ? Comme à son habitude, Donald Trump nie absolument tous les problèmes qui sont en train de s’accumuler, conséquences directes de sa politique. Une de ses dernières déclarations  résume parfaitement son état d’esprit, où il affirme que les États-Unis sont le pays le plus chaud du monde : « Nous avons maintenant 14.000 milliards de promesses d’investissement, alors que Biden n’avait pratiquement rien. Avec Biden, ce pays était en train de mourir. Tu sais, nous avons le pays le plus chaud du monde. Je suis allé en Arabie saoudite. Le roi m’a dit que nous avons le pays le plus chaud du monde en ce moment. Il y a six mois, ce pays était complètement mort. Nous avions un pays mort. » Plutôt que l’art du deal, Donald Trump semble exceller dans l’art de la méthode Coué.


[1] Les taux présentés fièrement par Trump lors du Liberation day le 2 avril s’avèrent n’avoir aucun fondement économique et ont été calculés de manière totalement fantaisiste. Pour déterminer le taux appliqué à un pays tiers, l’administration Trump a en effet divisé le déficit commercial américain par le montant de leurs importations vis-à-vis du pays tiers, pour ensuite le diviser par deux, par « gentillesse » : (Déficit commercial US / Exportations vers USA) / 2. Prenons la Chine à titre d’exemple. En 2024, la Chine a enregistré un excédent commercial de 295 milliards de dollars avec les États-Unis, pour des exportations totales de 438 milliards de dollars, soit un ratio de 68 %. Divisé par deux, cela donne donc un taux de droits de douane de 34 %.

[2] Cette contraction est essentiellement due à une très forte hausse (+41,3 %) des importations (les entreprises et les consommateurs ont accéléré leurs achats en anticipation de la hausse des prix dû aux tarifs douaniers).

[3] « C’est le marché boursier de Biden, pas celui de Trump. Je n’ai pris mes fonctions que le 20 janvier. Les tarifs douaniers vont bientôt entrer en vigueur, et les entreprises commencent à revenir aux États-Unis en nombre record… notre pays va prospérer, mais nous devons nous débarrasser du “fardeau Biden”… Cela prendra du temps, cela n’a rien à voir avec les tarifs, c’est simplement qu’il nous a laissés avec de mauvais chiffres. Mais quand la reprise commencera, elle sera sans précédent. Soyez patients !!! »

[4] Au niveau micro-économique, plusieurs grandes entreprises sont déjà en train d’augmenter leur prix de vente aux USA pour les produits qui y sont importés.

[5] « Douze États américains vont en justice contre les tarifs douaniers de Trump », L’Écho, 24 avril 2025.

Olivier Bonfond
Rédacteur MaTribune.be et économiste au Centre de coordination, d’études et de formation (CCEF) |  Plus de publications

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