Bons d’État : et à la fin, c’est la banque qui gagne (partie 1/3)

Bons d’État : et à la fin, c’est la banque qui gagne (partie 1/3)

Début septembre 2023, l’État belge récoltait auprès des particuliers 22 milliards d’euros, en particulier grâce à l’émission d’un bon d’État à un an avec un rendement attractif. Les banques ont très peu apprécié, et n’ont pas manqué de le faire savoir. Elles ont alors fait pression pour qu’une telle opération ne se reproduise pas, et ce fut le cas. Un an plus tard, les banques voulaient absolument récupérer ces 22 milliards, ce qui fut également le cas.

Sommaire :

Partie 1

  1. Septembre 2023 : Le succès du bon d’État et la colère des banques
  2. Un an plus tard, les banques récupèrent tout le magot
  3. Un État passif et soumis aux banques

Partie 2 (à suivre le lundi 27 janvier)

  1. Les épargnants sont-ils vraiment gagnants ?
  2. Cinq solutions immédiates
  3. En guise de conclusion : pour une banque au service de l’intérêt général

1. Septembre 2023 : Le succès du bon d’État et la colère des banques

Fin août 2023, le gouvernement fédéral lance un bon d’État pour les particuliers, avec une durée d’un an et un taux net de 2,8 % (taux brut de 3,3 % et précompte réduit de 15 %). Cette initiative connait un grand succès : elle permet de récolter 22 milliards d’euros via la souscription de plus de 250.000 personnes.

Du côté des banques, qui voient disparaitre 22 milliards de leurs comptes c’est la douche froide, et un manque à gagner de plusieurs centaines de millions d’euros. En effet, depuis la remontée des taux de la Banque Centrale Européenne (BCE) en 2022, les banques déposent une partie importante de cette épargne citoyenne dans les comptes de (BCE), qui rémunère ces dépôts à un taux proche de 4 %. Quand on sait que les banques rémunèrent les comptes d’épargne à un taux compris entre 0 et 1 %, on comprend que les banques n’ont pas envie de voir ce business très simple et très juteux remis en cause.

Pour les institutions bancaires, il s’agit alors de tout faire pour qu’une telle opération ne se reproduise pas. Très rapidement, elles vont monter au créneau et faire savoir au gouvernement fédéral qu’elles ne veulent plus d’un bon d’Etat à un an, et encore moins avec un précompte réduit de 15 %[1].

Cela fonctionne : le bon à un an est abandonné pour l’émission de décembre 2023, et très rapidement le gouvernement abandonne l’idée d’un précompte réduit pour toutes les émissions futures. Le secteur bancaire a gagné, contre les intérêts de l’État et des épargnants.

2. Un an plus tard, les banques récupèrent tout le magot

Certes, l’objectif officiel des bons d’État émis à l’initiative du ministre Van Peteghem (CD&V) – à savoir pousser les banques à augmenter les taux sur les comptes d’épargne classiques (et non sur les comptes à terme) – n’a pas été atteint (cf. point 4). Néanmoins, cette opération peut être considérée comme positive à plusieurs égards : diminution de la dépendance à l’égard des marchés financiers, nouvelles rentrées fiscales, jugement positif des agences de notation, nouvelle relation de confiance entre l’État et les épargnants …

L’État fédéral aurait donc pu, un an plus tard, agir afin de garder une partie importante de cette épargne via l’émission d’un nouveau bon d’État qui serait intéressant pour le particulier. Il n’en sera rien. L’État reste soumis et passif face à l’appétit des banques.

À l’approche de l’échéance, l’État, via l’Agence de la dette, s’apprête à reverser aux épargnants ces 22 milliards, assortis de 620 millions d’intérêts, tout en annonçant l’émission de deux nouveaux bons d’État, l’un avec une maturité d’un an et l’autre avec une maturité de 10 ans, avec les taux suivants :

Bon à un an : 1,93 % net (2,75 % brut et précompte de 30 %)

Bon à 10 ans : 1,96 % net (2,8 % brut précompte de 30 %)

À grands coups de communication, les 4 grandes banques belges (Belfius, ING, KBC et BNP Fortis) mais aussi les autres (Beobank, MeDirect, …) se livrent bataille et proposent des comptes à terme à un an avec des rendements variant de 2,2 % à 2,8 % net. Il apparait alors clairement qu’il sera plus intéressant de placer son argent dans les banques commerciales plutôt que dans de nouveaux bons d’État. Et ce qui devait arriver arriva : sur les 22 milliards « remis en jeu », ces bons d’État ne récoltent que 400 millions, tandis que le reste du magot, à savoir 21,6 milliards, retournent dans les comptes bancaires, en particulier dans des comptes à terme.

3. Un État soumis et passif

On ne peut que constater et regretter le manque de volonté politique et la passivité du gouvernement dans cette affaire. Et cela d’autant plus que, comme dit précédemment, cette opération a été positive pour l’État.

Bien sûr, il aurait été difficile de proposer des taux bruts beaucoup plus élevés que ceux proposés lors de l’émission de septembre 2024 car, comme l’a rappelé Jean Deboutte, le directeur de l’Agence de la dette : « le bon d’État à un an ne peut pas coûter plus cher que notre financement auprès des professionnels sur les marchés. Cela ne serait pas logique et nous éloignerait de notre mission, soit financer au mieux la dette[2] ».

Mais il était, politiquement et juridiquement, possible de proposer des bons avec un précompte de 15 %. Pour rappel, c’est suite au mécontentement affiché par les banques que le gouvernement fédéral a décidé de se « coucher », et d’appliquer un précompte de 30 % pour les émissions suivantes.

Par ailleurs, le directeur de l’Agence de la dette explique que, malgré qu’il faut financer la dette belge avec le coût le plus bas possible, il était possible, en plus d’un précompte réduit, d’augmenter les taux proposés.

Premièrement, l’agence pouvait augmenter le rendement de 0,3 %, correspondant à la commission versée aux banques qui distribuent le bon. En effet, lorsque les émissions sont réalisées auprès du service des Grands Livres (département de l’Agence) – ce qui fût largement le cas lors des émissions de septembre 2023 – il n’y a pas de frais pour l’Agence.

Deuxièmement, il faut tenir compte du fait que la grande majorité des intérêts versés sur les comptes d’épargne sont exonérés de précompte mobilier, « contrairement au bon d’Etat qui rapporte donc de nouvelles recettes à l’État. C’est aussi l’un des arguments qui pourraient peser en faveur du rendement pour l’investisseur particulier[3]»

Aucune de ces trois possibilités n’a été envisagée sérieusement.

Et à la fin, c’est la banque qui gagne.

Ajoutons qu’en mai 2024, l’agence de la dette avait entamé une initiative intéressante, qui prévoyait la possibilité pour les particuliers de réinjecter automatiquement, via un simple « clic » l’argent prêté à l’État un an auparavant dans le nouveau bon. Le 24 juillet, on apprenait que cela ne serait finalement pas le cas. Les banques ont-elles fait à nouveau pression pour empêcher cette initiative ? Dans tous les cas, le constat est clair : une fois de plus, c’est la banque qui gagne.

(à suivre… prochain épisode le lundi 27 janvier 2025)


[1] Lire « Bons d’État : après la « fuite » massive de 21,9 milliards d’euros, le secteur bancaire réplique », La Libre, 24 janvier 2024.

[2] « L’Agence de la dette a un peu de marge pour booster le rendement du futur bon d’État à un an », Le Soir, 27 août 2024.

[3] Le Soir, 27 août 2024.

Olivier Bonfond
Rédacteur MaTribune.be et économiste au Centre de coordination, d’études et de formation (CCEF) |  Plus de publications

ARTICLES APPARENTÉS

Laisser un commentaire

Le trait d'Oli x