Bons d’État : et à la fin, c’est la banque qui gagne (partie 2/3)

Bons d’État : et à la fin, c’est la banque qui gagne (partie 2/3)

(suite de l’article publié le lundi 20 janvier 2025)

Dans son édito du 26 août 2024, L’Écho titrait : « Bon d’État : et à la fin, c’est l’épargnant qui gagne ». En réalité, dans cette histoire, ce n’est pas l’épargnant qui a gagné, mais bien, une fois de plus, la banque. Pour que cela change, pour que les banques redeviennent des outils au service de l’humain et de l’économie réelle, des solutions existent et devraient être mises en œuvre.

Sommaire :

Partie 1 (publié le 20 janvier 2025)

  1. Septembre 2023 : Le succès du bon d’État et la colère des banques
  2. Un an plus tard, les banques récupèrent tout le magot
  3. Un État passif et soumis aux banques

Partie 2

  1. Les épargnants sont-ils vraiment gagnants ?
  2. Cinq solutions immédiates
  3. En guise de conclusion : pour une banque au service de l’intérêt général

1. Les épargnants sont-ils vraiment gagnants ?

Dans l’édito de L’Écho intitulé :  Bon d’État : et à la fin, c’est l’épargnant qui gagne[1], on peut lire : « Pour la première fois depuis longtemps, les épargnants peuvent bénéficier d’une véritable concurrence commerciale dans le secteur bancaire, avec une offre large, variée et attractive de produits financiers peu risqués au capital et au rendement garantis ».

Cette affirmation doit être plus que relativisée :

Il ne faut pas confondre « épargnants » et « ménages ». En effet, 25 % des ménages belges ne possèdent pas d’épargne liquide[2]. Il faut également écarter les petits épargnants. Un ménage qui a 10.000 ou 20.000 euros de côté hésitera fortement à placer cet argent dans un compte bloqué, préférant légitimement garder un matelas financier disponible à tout instant en cas de coup dur.

Les « promotions » offertes par les banques n’ont pas accru la concurrence en général, car celles-ci se sont concentrées en priorité sur les 22 milliards à récupérer. En effet, dans la plupart des institutions bancaires, il était possible de profiter de ces conditions intéressantes sur les comptes à terme, uniquement s’il s’agissait « d’argent frais », c’est-à-dire venant d’ailleurs, du bon d’Etat ou d’une autre banque, tout en sachant que les Belges ont une propension très faible à changer de banque (cf. point 5).

Rien ou quasiment rien n’a bougé en ce qui concerne les taux d’intérêts sur les comptes d’épargne classiques, où est logée la grande majorité des dépôts des Belges. Les 270 milliards qui sont sur les comptes d’épargne[3] sont en effet rémunérés en moyenne à du 0,9 %[4]. . Ce taux est bien loin des 2,55 % en France ou 1,5 % aux Pays-Bas, ou encore 3,5 % en Autriche. Les banques belges n’ont pas fait d’effort et rémunèrent encore très mal les épargnants du pays.

Enfin, y compris pour les épargnants qui ont pu réaliser des placements sur les comptes à terme lors de ce « black Friday bancaire », les rendements doivent être aussi relativisés. S’ils sont à première vue intéressants, en particulier en comparaison à ceux pratiqués ces dernières années, ils le deviennent beaucoup moins lorsqu’on tient compte de l’inflation. Un rendement annuel de 2,7 % et une inflation qui devrait s’élever à 3,1 % pour l’année 2024, équivalent finalement à un rendement négatif …

Au final, cette opération a permis des gains relatifs pour une petite partie des épargnants. De là à affirmer que cette opération a poussé les banques à offrir une bonne rémunération aux épargnants, il y a un pas qu’il ne faut pas franchir.

2. Cinq solutions immédiates

1. Émettre des bons d’État avec 4 grands objectifs

L’objectif officiel du bon d’État fédéral d’août 2023 était de pousser les banques à augmenter leurs taux sur les comptes d’épargne. Si cet objectif n’est pas mauvais en soi, l’émission de bons d’État devrait se fixer d’autres priorités, en particulier les quatre objectifs suivants :

  1. Diminuer notre dépendance à l’égard des marchés financiers.
  2. Dégager des ressources pour financer des projets d’intérêt général et stratégiques.
  3. Proposer un placement intéressant aux détenteurs d’épargne, via notamment un précompte réduit.
  4. Pousser les banques à rémunérer correctement les comptes d’épargne.

2. Contraindre les banques à rémunérer correctement les épargnants

La question de la rémunération des comptes d’épargne peut donc rester un des objectifs à poursuivre dans le cadre des bons d’État. Mais cette question pourrait se régler autrement, notamment via une contrainte légale qui imposerait aux banques un taux plancher, défini en fonction de la situation du marché.

Dans tous les cas, il est scandaleux que les banques réalisent des superprofits, simplement en plaçant les dépôts des épargnants à la BCE et en touchant du 4 %, pendant que ces mêmes épargnants reçoivent moins de 1 %.

3. Limiter la rémunération des dépôts des banques à la BCE

Il est scandaleux que les banques réalisent des profits « magiques » en plaçant les dépôts des épargnants à la BCE, en recevant pour cela une rémunération de 4 %, pendant que ces mêmes épargnants reçoivent des rémunérations dérisoires, et voient la valeur de leur épargne s’éroder du fait de l’inflation.

Ce système de dépôts à la BCE a permis et permet encore aux banques de gagner énormément d’argent sans rien faire. L’an dernier, les banques centrales de la zone euro ont, en effet, versé 124 milliards d’euros sous forme d’intérêts aux banques commerciales. En Belgique, la Banque nationale (BNB) a rémunéré de 4 milliards d’euros les quatre grandes banques belges en 2024. Ce mécanisme doit être dénoncé et modifié, et cela d’autant plus que les pertes records des banques centrales se traduisent par l’absence de versement de dividendes à leurs « actionnaires », les États. L’économiste Paul De Grauwe propose de diminuer fortement ces rémunérations aux banques qui déposent de l’argent sur les comptes de la BCE[5].

4. Augmenter la concurrence entre les banques en supprimant la prime de fidélité et en concrétisant la « portabilité des comptes »

Les banques savent très bien que les Belges ont une faible propension à changer de banques, et, en l’absence de concurrence, elles ont donc tendance à ne faire aucun effort sur les taux des comptes d’épargne. Ce manque de concurrence, qui a été confirmé par l’Autorité belge de la concurrence, provient notamment de deux règles.

Premièrement, le système de « prime de fidélité » complique la comparaison des offres bancaires et décourage les ménages de changer d’établissement. En effet, cette prime n’est accordée que si l’argent reste au moins un an dans la banque. Pour remédier à cela, il est urgent de supprimer ce système et d’imposer aux banques de proposer un taux unique, comme cela se pratique dans d’autres pays européens.

Deuxièmement, changer de banque implique aujourd’hui de changer de numéro de compte bancaire, ce qui entraîne une série de démarches administratives fastidieuses (mise à jour auprès de l’employeur, modification des ordres permanents, etc.). La solution réside dans l’introduction de la « portabilité des numéros de compte », permettant aux clients de conserver leur numéro de compte même en changeant de banque, à l’image de ce qui existe pour les numéros de téléphone.

Ces deux propositions sont portées par plusieurs organisations, comme l’Autorité belge de la concurrence ou encore Test-Achats. Il s’agit de changer les règles du jeu, où c’est toujours la banque qui gagne, et de les concrétiser rapidement.

5. Instaurer un Livret d’épargne populaire réglementé par les pouvoirs publics

Nous avons, chez nos voisins, un système de compte bancaire réglementé qui, bien que comportant certaines faiblesses, fonctionne très bien depuis de longues années : le fameux Livret A français. Il joue un rôle doublement positif : garantir une rémunération correcte aux épargnants et financer des projets de long terme, en particulier la construction de logement sociaux. Ce livret A rapporte du 3 % net et dispose d’une manne de 380

Ajoutons qu’à côté du livret A, il existe également en France le Livret d’épargne populaire, uniquement destiné aux personnes aux revenus modestes. Ce livret propose un taux net de 4 % (ce taux réglementé était de 5% avant le 1er août 2024) –, et dispose d’une manne de 20 milliards d’euros…

Pourquoi ce qui est possible en France ne le serait-il pas en Belgique ?

3. En guise de conclusion : pour une banque au service de l’intérêt général

Ces propositions sont des mesures immédiates visant à mettre fin à des aberrations et à améliorer un peu le système en faveur des pouvoirs publics et des citoyens. Si elles doivent être mises en œuvre, elles sont cependant insuffisantes.

Il est donc fondamental de réfléchir à la mise en place de solutions plus structurelles. Ces solutions existent, sont connues et pourraient être mises en œuvre avec de la volonté politique : la séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires, l’interdiction de toute une série d’opérations spéculatives et de produits financiers ; la création d’une banque publique avec mission de service public et/ou la création d’un pôle bancaire public, ou encore la réforme de la Banque centrale européenne. Aujourd’hui, comme cette affaire de bons d’État l’a une fois de plus montré, c’est la finance qui dirige le monde, et à la fin, c’est toujours la banque qui gagne. À quand une inversion des rapports de force et de cette situation, pour que le secteur bancaire se mette au service de l’économie réelle et de l’intérêt général ?


[1] L’Écho, 26 août 2024.

[2] L’Écho, 1er février 2024.

[3] Encours au 31 juin 2024, source BNB.

[4] « Epargne : toujours en deçà de 1 %, les taux sur vos livrets sont bien plus bas qu’ailleurs en Europe », Le Soir, 25/08/2024.

[5] « Quatre milliards de super-bonus pour les quatre grandes banques belges », Le Soir, 4 juin 2024.

Olivier Bonfond
Rédacteur MaTribune.be et économiste au Centre de coordination, d’études et de formation (CCEF) |  Plus de publications

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