La crise écologique est une crise sociale (3/3)

La crise écologique est une crise sociale (3/3)

Contenir le réchauffement bien en dessous de 2°C, et si possible à 1,5°C, par rapport à l’ère préindustrielle, comme le prévoit l’accord de Paris de 2015 ? Si ce défi n’est pas relevé, ce ne sera pas la fin du monde mais ce sera la fin d’un monde, avec des conséquences catastrophiques sur tous les écosystèmes et sur les conditions de vie de toutes les espèces vivantes, dont l’être humain. Petit tour des enjeux.

Sommaire :

Partie 1

  1. Des (non-)réponses clairement insuffisantes
  2. L’investissement public pour placer l’intérêt général avant le profit
  3. Des ressources inestimables

Partie 2

  1. Sauve qui peut !
  2. Mais pas dans le même bateau…
  3. La bataille ne fait que commencer
  4. Et elle sera internationale

Partie 3

  1. Le capitalisme au cœur de la crise écologique
  2. Marxisme et double exploitation
  3. Le travail est un enjeu de la lutte écologique
  4. Une stratégie viable ?

1. Le capitalisme au cœur de la crise écologique

Il y a deux moyens pour les travailleurs de se réapproprier les questions environnementales sous un angle radical : une approche en termes d’inégalités et une approche par l’exploitation.

Une autre approche marxiste de la crise écologique et climatique peut s’appuyer sur les travaux du philosophe belge Paul Guillibert qui croise la destruction de l’environnement et l’exploitation du travail[1] : « C’est en repartant de la domination conjointe du travail et des natures par le capital qu’on peut repenser des stratégies écologistes depuis les lieux de travail. » 

Rejoignant les analyses de l’historien Andreas Malm, il invite à lier le début de la crise écologique et l’émergence de l’économie fossile à une lutte stratégique des capitalistes, en réaction à des luttes ouvrières industrielles du début du XIXe siècle, pour garder le contrôle. En cela, il rappelle que la technique est toujours inscrite dans les rapports de production, c’est-à-dire dans la manière dont une société organise des moyens techniques et une division du travail et de classe. 

2. Marxisme et double exploitation

À la lumière de la relecture récente des travaux de Marx, on découvre également que l’écologie n’était pas absente de son analyse et qu’il peut être stratégiquement fondamental d’endiguer le pouvoir du capital afin de pouvoir transformer le rapport humanité-nature pour lui donner une configuration soutenable[1].

Dès le départ, le capitalisme repose sur une division internationale du travail qui est aussi une division raciale et qui implique des crises écologiques multiples (effondrement de la biodiversité dans les colonies, destruction radicale des écosystèmes, pollutions industrielles dans les pays du centre…).

Le capitalisme, ce n’est pas juste une masse d’argent, c’est un rapport social entre deux classes, dont l’une, pour accumuler plus de capital, exploite les deux seules sources de richesses : la nature et la classe des travailleurs.

3. Le travail est un enjeu de la lutte écologique

L’épuisement des ressources est dû à une recherche du profit capitaliste qui nécessite l’exploitation du travail. Dans l’histoire du capitalisme, la colonisation, l’esclavage et le dispositif de la plantation inaugurent ainsi une appropriation gratuite du travail et de la nature, exploitant leurs caractéristiques pour les rendre plus productifs et générer du profit.

L’accumulation du profit par le capital ne se réalise qu’à travers un travail exploité qui s’approprie les ressources du vivant et de la terre. C’est en cela que les luttes écologistes doivent prendre à bras le corps la question du travail et que les travailleurs doivent inclure la question environnementale et écologique dans leur combat.

4. Une stratégie viable ?

À partir de là, comment penser stratégiquement cette alliance entre écologie et lutte contre l’exploitation capitaliste ? Comment dépasser l’opposition entre d’un côté, les travailleurs qui souhaitent de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail et de l’autre côté, le mouvement écologique qui voudrait baisser la production pour limiter les dégâts de l’extractivisme et de la pollution (ce qui supposerait dans ce modèle une baisse de salaire globale) ? Mais n’est-ce pas un faux dilemme ?

Selon P. Guillibert, une stratégie écologique et anticapitaliste viable implique de sortir du travail exploité et du travail du vivant et de repenser les activités de subsistance, au-delà de la croissance qu’elle soit capitaliste ou communiste. Modifier les rapports de production et les rendre plus égalitaires ne suffira pas pour régler le problème environnemental. Il faut repenser le tout : la production, ses rapports, la technique et la consommation, notamment en abolissant la production pour le profit et à travers une planification momentanément étatique, pour reconfigurer la production, la consommation, la propriété… 

Et pour cela on n’a rien inventé de mieux que de socialiser les ressources et les secteurs stratégiques pour les soustraire au profit capitaliste. La sécurité sociale, par exemple, est tout sauf une réalisation du capitalisme, c’est une conquête sociale qui va à l’encontre de la logique du profit et sort du cycle capitaliste une part importante de la richesse produite par les travailleurs.


[1] Koheï Saïto, La nature contre le capital : L’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital, Syllepse, Paris, 2021.


[1] Paul Guillibert, Exploiter les vivants, Une écologie politique du travail, Éd. Amsterdam, Paris, 2023, p. 139. Voir aussi l‘extrait paru dans Ballast sous le titre « Écologie ouvrière, écologie populaire », www.revue-ballast.fr, 27 septembre 2023, l’article d’Elsa Gautier, « Pourquoi l’écologie n’est pas populaire », Socialter n°62, 9 février 2024, www.socialter.fr, la recension de Jean-Marie Harribey sur son blog d’Alternatives économiques, https://blogs.alternatives-economiques.fr/harribey, 15 décembre 2023 et celle du podcast Le Book Club sur France Culture, www.radiofrance.fr, épisode du 5 octobre 2023.

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